PEOPLESCES ORDINATEURS SONT DANGEREUX ★ CHAPITRE VII ★

Ces Ordinateurs Sont Dangereux: L'aventure Amstrad - Chapitre 07

QUO NON ASCENDET
où l'on découvre de dures péripéties et des impérities notoires

Vendredi 9 janvier 1987


Jour sombre. La veille au soir, Raymond Barre à la télévision annonce qu'il est le non-candidat tortue qui regarde sereinement les candidats lièvres se précipiter vers une présidence de la république hypothétique.

Patatras.
Catastrophe.
Requiescat in pace.
Mort où est ta victoire ?
L'ennui est un visage de la mort.
La mort attrape d'abord ceux qui courent.
La mort est le commencement de l'immortalité.
Si jeune, il venait de fêter ses trois ans.
L'informatique est en deuil, le sel de nos vendredis matins a disparu dans un amas d'ennui désabusé et de dettes.
Chacune des citations précédentes pourraient lui servir d'épitaphe.
Le numéro 169 de l'HHHHHebdo n'a pas paru.
Hebdogiciel est Kaput...
Incroyable nouvelle.
Mais que s'est il donc passé ?

Signes prémonitoires, dans le numéro 167 avec le grand triste titre « TRISTE NOËL », le mot comateux est placé en travers dans un rectangle jaune et le texte de couverture n'est pas très enthousiasmant :

« Cette fois, ça y est : la micro-informatique se meurt ! Sous perfusion depuis six mois, elle attendait les achats massifs de fin d'année pour essayer de se remettre sur pied. Hélas, trois fois hélas, le chiffre d'affaires salvateur n'est pas au rendez-vous et on envisage sérieusement de débrancher les tuyaux ! »

Dans le dernier numéro, le no 168, à côté de l'édito, qui se termine par : « À part ça, je ne vous promets rien », il y avait le pseudo dicton « les absents sont souvent morts », ce qui annonçait l'absence dans les kiosques la semaine suivante.

En un mot, Gérard Ceccaldi, rédacteur en chef et propriétaire en avait ras le bol. D'une part, trouver toutes les semaines des accroches et des centres d'intérêt devenait de plus en plus ardu, il voyait arriver gros comme une maison la domination des compatibles sur le marché, intéressant pour la standardisation du marché mais qui donnerait peu matière à des articles, tous les compatibles se ressemblant ; il voyait arriver la normalisation de la micro-informatique et la disparition des constructeurs innovateurs. Dur de faire de la copie dans de telles conditions.

D'autre part, l'HHHHEbdo s'étant lancé dans la vente de logiciels, ses protagonistes avaient des problèmes de gestion et de stocks insurmontables ; ils n'arrivaient pas à obtenir les logiciels du hit-parade qui se vendaient bien et avaient des nanars plein les caves. Gérer un catalogue de plusieurs centaines de logiciels et plus de 10 000 clients, ils n'étaient pas équipés pour cela. L'abonnement au club avait payé pour l'infrastructure mais leurs marges bénéficiaires étaient trop réduites à moyen terme.

Mais la raison principale était la saturation. Ils n'étaient que trois ou quatre à faire le journal, semaine après semaine, et l'adrénaline ajoutée à des boissons plus ou moins fortes leur avait permis de tenir le coup pendant trois ans, ce qui était déjà une performance.

Disons que les fêtes de fin d'année ont cristallisé la crise de rejet qui couvait in petto (bien qu'aucun ne fut cardinal).

Gérard Ceccaldi mit donc la clef sous la porte, paya ses créanciers (?!!!), fit un bras d'honneur à ceux avec qui il était en procès, et se perdit dans la nature.

Comme les gens d'Amstrad, les journalistes d'Hebdogiciel avaient vécu une aventure enthousiasmante pendant trois ans, épuisante surtout. D'autant plus que Ceccaldi avait lancé un an auparavant un journal satirique (dont le titre était l'Intox, je crois), du genre Charlie Hebdo + Canard enchaîné + Grosse Bertha. Après y avoir engouffré quelques bâtons, il avait abandonné.
Rerequiescat

Je versai une larme, et pas une larme de crocodile, contrairement à ce que vous pensez, sans cœurs.

Notre dilatateur de rate du vendredi matin nous manquerait. N'est-ce pas Jean, François, Philippe et les autres ?

évidemment, AmstradHebdo disparut en même temps qu'Hebdogiciel. Son rédacteur en chef était un certain Philippe Martin, dont nous aurons peut-être l'occasion de reparler.

Passons.
Durons.
Disque durons.

Résumé des chapitres précédents. Dans un premier temps, Alan Sugar avait prévu un pourcentage relativement peu élevé de machines équipées de disques durs, de 10 à 15 %, les machines étant montées en Corée. Voyant que ce pourcentage allait être plus élevé, de l'ordre de 30 %, Alan Sugar avait trouvé des disques durs aux états-Unis, chez Tandon. Mais ces disques durs devaient être montés en Europe, sur des machines à simple lecteur de disquettes ; il fallait donc installer des chaînes de montage, et comme la demande était importante, chaque pays allait être chargé des opérations pour son propre approvisionnement en machines à disque dur.

Dur. Disque, j'entends. Mais qu'entends-je, couije, qu'est-ce que ce dur qui n'est pas de la feuille ? Adressons-nous à un expert.

Interlude
Gulliver au pays de winchester

Gulliver comme chacun le sait avait beaucoup voyagé de par le monde, dans des contrées à jamais inconnues. Il avait été géant à Lilliput, tout le monde le sait. On sait moins qu'il avait été un nain à Brobdignag, le pays des géants, et qu'il avait traversé avec stupéfaction le pays des Houyhnhnms, ces chevaux qui se faisaient servir par des hommes dégénérés. Quant à sa connaissance de la science, son voyage à Laputa au pays des savants fous lui en avait beaucoup appris. Aussi il ne fut qu'à moitié surpris quand il arriva au pays de Winchester, à la suite des pérégrinations susnommées.

La première personne qu'il rencontra au pays de Winchester fut évidemment un contrôleur :

— Vous n'avez pas idée, lui dit le contrôleur, du travail qu'on m'oblige à faire dans ces fichus disques durs !

Il poursuivit :

— Imaginez que j'ai la bagatelle de 20 millions d'octets à m'occuper, à faire travailler à une vitesse que vous aurez du mal à imaginer, près de 30 000 tours par minute. Et encore, j'ai de la chance, il y a des contrôleurs de mes amis qui ont 40, 80, 100 ou 200 millions d'octets à contrôler. Vous parlez d'une galère ; rien que d'y penser, ça me noue l'aiguillette !
— Mais, demanda Gulliver, en quoi exactement consiste votre travail ? Ça m'a l'air de tourner comme une horloge !
— Détrompez-vous, ça a l'air évident comme cela, mais rentrons un peu à l'intérieur.

À l'intérieur du disque dur où, lui précisa le contrôleur, l'atmosphère était plus pure qu'en haut de l'Himalaya, Gulliver remarqua quatre disques empilés les uns sur les autres, à la manière d'un juke-box. Entre chaque disque et au-dessus de chaque disque, il y avait un bras avec une petite tête de lecture qui se baladait à une vitesse phénoménale sur ledit petit bras.

— Voyez-vous, la tête de lecture se balade à une distance de 0,2 microns du disque, pour ainsi dire, elle plane au-dessus. Et voyez-vous, une particule de fumée de cigarette a plus de 5 microns d'épaisseur, et si elle s'introduisait dans mon disque dur, elle flinguerait quelques milliers de mes bons octets, que dis-je, des dizaines de milliers de mes petits bits.
— Surprenant, indeed, dit Gulliver, qui avait des origines anglo-irlandaises.
— Chaque fois que l'ordinateur m'envoie des informations à chercher ou à changer, il faut que je prévienne mes têtes de lecture où se trouve l'information et elles vont voir la nature des drapeaux affichés par chaque bit. Chacun des bits de mon disque dur a droit à deux drapeaux, un blanc pour zéro, un noir pour le un. Quand il s'agit de lire l'information, la tête regarde la couleur de chaque drapeau, quand il s'agit d'écrire l'information, elle dit à chaque bit de changer la couleur de son drapeau ou pas, suivant le cas...
— Je vois, dit Gulliver pensivement...
— Vous ne voyez rien du tout, répliqua le contrôleur, car en réalité, c'est une image, et les petits drapeaux correspondent plutôt à des impulsions magnétiques...

En fait, Gulliver voyait des foultitudes de petits bits qui s'allumaient et s'éteignaient suivant les ordres du contrôleur, à des vitesses inimaginables. Comme l'activité sur un porte-avions, multiplié par dix ou cent mille.

— Et c'est vous qui commandez tout cela ?
— Oh, non, je ne fais qu'obéir aux ordres du pacha, vous savez, le processeur Intel 8086 qui dirige la musique. Mais, sans moi et la carte que je contrôle, il aurait bien du mal...
— Et puis, à la fabrication, tout a été mis dans une enceinte hermétique... il ne faudrait pas que la fumée d'un cigare patronal viennent tout bousiller...
— Pourquoi, vos bits et vos octets sont syndiqués ?
— Oh, que oui, et si vous leur en faites trop voir, ils se mettent en grève. Quelquefois, on est même obligé de pratiquer le lock-out pour quelques milliers d'octets. On les met sur la liste noire.
— Et si tous vos octets se mettent en grève ?
— Alors, là, il faut renvoyer tout le disque dur à l'usine. Et moi, je prends un sacré savon !

Gulliver se donna un air compatissant.

— Et je vais vous donner un truc pour avoir moins de pépins, chaque fois qu'on me dit de m'arrêter, je vais mettre mes têtes de lecture sur un parking. Il y a moins de chance que ça coince quand ces foutus disques se mettent à tourner à 30 000 t/min.
— Finalement, c'est un peu comme les tourne-disques de papa ? dit Gulliver.
— Oui, à la différence que vos disques n'ont qu'un seul sillon par face, alors que les miens ont des centaines de pistes concentriques, et ce n'est pas une sinécure pour que les têtes se placent au-dessus de la bonne piste !
— Mais tout cela ne m'explique pas pourquoi on les appelle disques durs... s'enquit enfin Gulliver pour répondre à la question que vous vous posiez depuis le début et que j'avais failli oublier dans les méandres de pistes et des secteurs.
— Mais mon jeune ami, c'est par opposition !
— Quoi, feriez-vous de la politique ?
— Que nenni... quoique l'informatique soit fondée sur la dichotomie oui-non. Non, c'est par comparaison avec ces infâmes disquettes souples que vous introduisez dans ces ouvertures qu'on appelle lecteurs de disquettes. Celles-là sont des disques plastiques flexibles magnétisés qui peuvent facilement se rayer. Mes disques à moi sont en bon alliage d'aluminium avec une fine couche d'oxyde magnétisable dessus. Le fin du fin de la technique...

Gulliver remercia le contrôleur, flegmatique comme tout anglo-saxon qui se respecte ; mais pour Gulliver, c'était un spectacle à perdre la tramontane.

Donc un disque dur, pour nous, c'était une petite boîte rectangulaire hermétiquement close, avec une prise extérieure sur laquelle on mettait un câble qui rentrait dans la carte contrôleur, laquelle carte venait s'enficher dans un des trois slots d'extension qui se trouvaient sur la machine.

Le travail n'était pas excessivement compliqué : ouvrir le carton, sortir l'unité centrale (avec un seul lecteur de disquettes), ouvrir le boîtier, découper la face avant, monter les pattes de fixation, visser le disque dur en place, mettre le câble, enficher la carte contrôleur, monter le ventilateur (celui qui faisait voir Sugar rouge ou rose), remonter le boîtier, vérifier la machine sur un banc de test, parquer les têtes de lecture, remettre la machine dans le carton d'origine, mettre un carton de suremballage avec plein de polystyrène car un disque dur c'est fragile (et les tests de la Redoute consistent à faire tomber les cartons d'une hauteur de trois bons mètres), ranger le carton, mettre les étiquettes avec toutes les informations nécessaires et recommencer dix mille fois en trois mois : ouvrir le carton, sortir l'unité centrale (voir plus haut, je ne vais pas vous raconter la même chose dix mille fois).

Fin janvier, Alan Sugar nous annonça qu'il avait les disques durs, que nous avions les unités centrales pour monter les disques durs et que nous en aurions dix mille à faire.

Fissa.

Fin février, l'unité de production tournait et en mars nous avons livré plus de trois mille machines avec disque dur made in Amstrad France.

Pas mal pour des débutants.

Non que je veuille vous dorer la pilule et emboucher les trompettes de la renommée.

Mais parce que c'était symptomatique de la philosophie d'Amstrad et d'Alan Sugar.

Dans une grosse boîte genre multinationale bon teint (Thomson ou Bull), on va commencer par des études de marché, des études d'implantation, des études de faisabilité (oui, oui, ça existe), des réunions pour étudier les études, des comités pour statuer sur les réunions qui ont étudié les études, des niveaux hiérarchiques à remonter et à redescendre les décisions : six mois après, vous aurez accouché soit d'une souris, soit d'un mastodonte genre Beaubourg modifié Villette.

Avec Alan Sugar c'est :

« Je me suis gouré dans mes prévisions sur les disques durs, j'ai réussi à trouver des disques durs à court terme, si vous voulez en vendre dans les trois mois qui suivent, débrouillez-vous pour monter une unité de production en France ; vous aurez toute l'aide que vous voulez, mais c'est à vous de jouer... à moins que vous ne préfériez attendre vos machines à disques durs six mois... »

Car il est évident qu'il avait réagi pour la production ultérieure coréenne : cinq à six mois plus tard, les machines à disque dur arriveraient de Corée directement.

Mais tout le monde voulait les disques durs pour hier : nous, les commerciaux d'Amstrad, les revendeurs Amstrad, les clients Amstrad.

Marion engagea pour la circonstance un de nos revendeurs qui avait travaillé dans la production industrielle et que ce défi intéressait plus que la vente. Jean-François fut un chef de production à la hauteur, tatillon quant à la qualité, efficace quant à l'organisation et bavard comme un technico-commercial.

Pas de ruban bleu pour la France

5 février 1987

La coupe de l'America a été reconquise par les états-Unis, qui, ô scandale, l'avaient perdue face à l'Australie en 1983. Le bateau français, French Kiss, barré par Marc Pajot, n'a pas réussi à se qualifier mais s'est comporté de manière honorable (ah, les médias et nos défaites honorables, bis repetita, l'histoire, Pajot, Ville de Paris, chichi, chouchou... Je me marre...)

Coïncidence, le sponsor comme disent les médias alors que le mot mécène me convient très bien, le mécène est Serge Crasnianski de la société Kis (les clefs minutes) qui a installé une filiale qui commercialise des photocopieuses couleur dans le même immeuble qu'Amstrad. Cette filiale étant tombée en quenouille, Amstrad y récupéra une demi-douzaine de commerciaux qui n'auront pas grand chemin à faire.

Vous avez vraiment dit compatible ? ...

Amstrad est la vedette incontournable du forum IBM PC et compatibles au Palais des Congrès à la porte Maillot qui a eu lieu du 3 au 6 février 87. En 1988 le même forum perdra le parrainage d'IBM et ne sera plus que le forum PC et compatibles (avec la présence d'Apple, faut pas chercher à comprendre).

Petit détail qui est à l'origine de l'abandon du patronage d'IBM, je crois, dans le catalogue officiel du salon, Amstrad est le seul constructeur à faire de la publicité sur quatre pages couleurs : la première page imite un livre NRF Gallimard (blanc cassé à filets rouges) avec le titre : PC 1512, LE COMPATIBLE. En travers, la bande rouge avec le rappel classique : « déjà 150 000 exemplaires vendus ». En page 2 et 3, les PC 1512 avec le slogan connu « compatible avec qui vous savez... », en page 4 la quatrième de couverture du livre et son prière d'insérer (sa prière ?)

Il paraît que les responsables de la mercatique chez IBM n'ont pas beaucoup apprécié... Un catalogue FORUM IBM, vous ouvrez et pan, dans la figure, la pub Amstrad..., non j'ai la berlue...

Voilà comment j'explique le passage du nom forum IBM à la dénomination forum PC, mais je peux me tromper.

Toujours est-il que les PC 1512 sont mis à rude épreuve, la campagne anti-Amstrad était toujours aussi vive dans le groupe Tests. Les clients qui ont déjà obtenu leur PC 1512 viennent faire l'article à ceux qui ont commandé ou qui hésitent et ils n'ont pas de mal à convaincre les indécis que tout ce que disent les journalistes du groupe Tests, c'est des menteries. Et que je t'enfourne les disquettes Compatest, Lotus, Word dans les 1512 qui n'en peuvent mais.

La cour des comptes

C'est gagné au niveau du client individuel et privé. Pour ce qu'on appelle les grands comptes, c'est une autre histoire. Les grands comptes, cela fait partie de la mythologie de la commercialisation des micro-ordinateurs. Tant que vous n'êtes pas rentrés dans les grands comptes, la légende veut que vous n'ayez pas vendu de micro-ordinateur.

Mais qui c'est les grands comptes ?

En parlance micro-informatique, c'est en principe ceux qui sont capables d'acheter des centaines de micros, voire des milliers d'un seul coup, pour équiper tout leur personnel, du PDG au balayeur.

Dans la pratique, le petit revendeur du quartier à qui l'on reproche de ne pas vraiment être professionnel (quelquefois à tort) vous répond :

« Mais, moi, monsieur, je vends en grands comptes »,

et il a en partie raison, parce qu'il a vendu une machine à un contremaître de chez Renault et une autre à une secrétaire de l'Aérospatiale.

En réalité, ce marché est le domaine réservé d'IBM et des constructeurs qui font aussi de gros ordinateurs : Hewlett Packard, Olivetti, et Bull parce qu'il est français et équipe les administrations, et de quelques constructeurs haut de gamme comme Compaq.

Amstrad va commencer par rentrer dans les administrations, les banques et les assurances, à l'unité et par la petite porte : dans la mesure où un PC 1512 tout équipé coûte moins de 10 000 francs ttc, il rentre dans la catégorie équipement de bureau et a rarement besoin de passer par une voie hiérarchique compliquée.

Une grande banque française sera toute surprise de constater après enquête que plus d'une centaine d'Amstrad équipent ses agences alors qu'aucune machine n'a été commandée au niveau de la direction générale. Ce qui nous vaudra de polémiquer une fois de plus :

— Amstrad ne vend pas en grands comptes !!!
— Et ta sœur, elle n'a pas de PC 1512 ?

Tout constructeur de micro-ordinateurs a tendance à faire une fixation sur les grands comptes : comment rentrer dans les grands comptes, quels revendeurs vendent en grand compte, quelle remise accorder aux grands comptes, et tel constructeur vend-il plus que nous en grand compte ?

Dès potron-minet, les commerciaux se réveillaient en se disant : « Quelle action commerciale, quelle publicité pourrions-nous faire pour attirer les grands comptes ? »

Ils n'en dormaient plus, encore moins que le financier à l'écoute du savetier.

La recherche des grands comptes, c'est le Saint-Graal de la micro-informatique, c'est le monstre du Loch-Ness qui s'accouple à l'Arlésienne pour aboutir à la Berezina, c'est la peau de l'ours du commercial bon teint.

Nous avons commencé à parler des grands comptes à l'intérieur d'Amstrad à la mi-86. En 1990, quand j'ai quitté Amstrad, on en parlait toujours autant et j'en avais les oreilles rebattues. Le grand compte, c'était le veau d'or invisible devant lequel tous les commerciaux d'Amstrad ou d'ailleurs se prosternaient sans savoir ce à quoi il ressemblait.

Un bon revendeur professionnel ne pouvait être vraiment professionnel que s'il vendait aux magiques grands comptes.

Il y aura donc à l'intérieur d'Amstrad (aussi bien en France qu'en Angleterre ou ailleurs) un secteur professionnel qui s'appellera à partir de 1988 Amstrad Systèmes, chargé de se chatouiller le grizzli sur le problème des grands comptes. Les discussions homériques en interne ou avec les revendeurs verront affluer et refluer toutes sortes d'arguments :

— Comment peut-on vendre un PC 1512 à un grand compte alors qu'on peut le trouver dans un hypermarché ?!
— Vous n'êtes pas assez professionnel pour vendre en grands comptes.
— Le boîtier plastique du PC 1512 n'est pas assez professionnel... (Les Allemands n'auront de cesse tant qu'Alan Sugar ne leur aura pas fourni un PC avec un boîtier métallique plus costaud qu'un Panzer).
— Tant qu'il n'y aura pas d'AT chez Amstrad, nous ne pourrons pas rentrer dans les grands comptes...

Et badadi et badadoit, la meilleure o, c'est la micreau !

Entrefilet dans Amstrad News no 2 de juillet-août 87 :

« Les grands comptes qui ont choisi Amstrad : AéROSPATIALE, ALCATEL, ASSEMBLéE NATIONALE, BOSSARD CONSULTANT, CCF, CDF CHIMIE, CGE, CRÉDIT LYONNAIS, EDF, éDUCATION NATIONALE, EUROPEAN BUSINESS SCHOOL, FéDéRATION FRANÇAISE INFORMATIQUE MéDICALE, FéLIX POTIN, HEC, HOESCHT LABORATOIRE, MINISTèRE DE L'ARMEMENT, PARISBAS, RAZEL, SOLVAY, SPIE BATIGNOLLES, THOMSON (? tiens, tiens), UNAPEC, VIA, VILLE DE PARIS, WAGONS-LITS.

Nous avons pour soutenir votre argumentation en entreprise une liste des grands comptes qui ont déjà acquis en quantité des PC 1512... »

Comme quoi Amstrad vendait en grands comptes, na ! et nous étions fiers de l'annoncer dans notre journal interne destiné aux revendeurs. Oui, je n'ai pas encore présenté Amstrad News, dont le numéro 1 est paru en juin 87. Et pour cause, nous sommes encore en février-mars 87, à monter des disques durs, à vendre tout plein de nos compatibles pas vraiment compatibles selon les envieux, et même que nous en avons vendu 10 347 sur le seul mois de mars et que même IBM il est derrière nous et qu'il n'est pas content et qu'il réagit.

Nouvelles : un petit bleu

2 avril 1987

De la même manière que Mitterrand n'a pas voulu annoncer qu'il avait troqué un Bérégovoy contre une Cresson un premier avril par peur du ridicule, de même IBM qui est un fin politique, annonce son PS qui succède à son PC le 2 avril 1987. Fanfare, présentation vidéo spectaculaire, laser dans tous les coins, la presse, la radio et la télévision sont là, c'est l'apothéose...

Mais que vois-je ici paraître : un ordinateur où tout est intégré sur la carte-mère, un boîtier compact en plastique, une présentation esthétique, moins de slots d'extensions, une alimentation de moins de 100 watts, une architecture ISA du PC, bref un ordinateur qui ressemble à un clone Amstrad...

Pensez-vous que la presse du groupe Tests émet la moindre critique ? Voyons, voyons, vous voulez rire, ce qui était néfaste sur le PC 1512 devient un atout pour le PS IBM ; quels hypocrites, ces journalistes, je dirais même plus, des hypocrites de sodium !

Je prépare quelques slogans pour l'agence de publicité :

— Amstrad félicite IBM pour la sortie de son compatible PC 1512...
— Amstrad, n°1 de la micro-informatique en France, félicite le no 2, IBM, pour la sortie de son PS2.

Ces slogans furent refusés, because publicité comparative. Je ne voyais pas ce qu'il y avait comme comparaison, et je me rappelais la double page de publicité qu'Apple avait sorti en 1981 à la sortie du PC IBM :

— Apple accueille avec joie le nouveau-né d'IBM.

Aux états-Unis

Mais ceux qui réglementent la publicité en France sont des tartufes et des rabat-joie.

Exit mes slogans genre coup de poing.

Plutôt du genre coup de pied au c... du CSA (qui s'appelait alors CNCL... après s'être appelée HACA, tu parles d'un coup dans le pif du PAF).

De son côté, sur son rocher d'Albion, Alan Sugar déclarait à la presse :

« C'est une excellente chose pour nous, dans la mesure où nous nous posions la question de savoir où était le futur et quelles seraient les tendances à venir. Maintenant nous savons dans quelle direction il faut travailler pour les prochains dix-huit mois. »

Nouvelles : encore un bleu

6 avril 1987

TF1, privatisée, est attribuée au groupe Bouygues, face à Hachette (tiens... tiens). Quel rapport avec Amstrad ? Aucun. Pourquoi en parler alors ? Mais c'est pour vous resituer dans le bain, cher lecteur, pour que vous puissiez établir les concordances des temps. Après tout, cinq ans c'est long. C'est moins long qu'un septennat, mais il y a des septennats qui dureront peut-être cinq ans. De 5 à 7, il n'y a pas loin. C'était mon petit interlude pour vous faire souffler.

Nouvelles : oh, la belle bleue !

6 avril 1987 (même jour)

Le Sicob ouvre à Villepinte, Paris Nord. Le Sicob a quitté le CNIT à la Défense car le CNIT devenait trop petit et que le bâtiment du CNIT allait être refait de fond en comble pour devenir Infomart.

Ce fut donc Villepinte, moins central mais plus agréable pour les exposants : de la place, des accès faciles pour le matériel et l'équipement des stands. Nous y avons un beau stand de 300 mètres carrés avec un auditorium pour faire des démonstrations. Il y a plus de monde qu'au CNIT, mais comme c'est gigantesque, cela paraît moins achalandé. Nous pouvons respirer (un peu) plus. En dehors de cela, le train-train exténuant des salons, plus ça change et plus c'est pareil. On change l'arrangement des stands, tous les deux ans, nous changeons de concepteur réalisateur pour donner de la variété et du piment. Il y a des formes carrées, puis hexagonales, puis rondes, puis rectangulaires, puis ellipsoïdales. Il faut des néons puis plus de néons, des parasols pour faire penser aux vacances, on met un peu de HI-FI et de vidéo Amstrad pour montrer qu'on est différents. Et il faut faire cela quatre, cinq, six fois par an... Donner des milliers de documentations, des centaines de dossiers de presse ; c'est difficile de ne pas tomber dans la routine. Heureusement que nous sortons nos petites bombinettes régulièrement. Et pour nous distraire, le 8 avril, il y a un dernier combat de Ray Sugar Leonard que nous regardons dans l'auditorium de notre stand. Ça nous change des bits, des octets, des compatibles et des démonstrations tournantes sur grand écran. Et Ray Sugar est un grand styliste, même s'il ne boxe pas dans la même catégorie qu'Alan Sugar.

Leçon de choses pour les bleus

Justement, le 28 avril 1987, Alan Sugar s'invite à Sèvres avec Malcom Miller (son bras droit) pour nous envoyer quelques uppercuts destinés à nous faire garder le moral. Ce genre de réunion a lieu environ tous les mois, une fois à Sèvres, une fois à Brentwood. La réunion d'avril est particulièrement importante car c'est à ce moment-là qu'il faut s'engager pour la production des machines qui seront vendues sur les trois derniers mois de l'année. Quelques correctifs peuvent être apportés en mai ou en juin, mais cela fait varier les chiffres dans une fourchette de plus ou moins 10 %.

Sugar attaque bille en tête : « Et alors, que deviennent les ventes du PCW face à la déferlante du PC 1512 ? J'ai l'impression que vous vous laissez aller... »

Ça, c'est le premier crochet du droit. « En outre, vous deviez vendre 12 000 PC 1512 par mois, 10 300 en mars, mais pour le mois d'avril vous arriverez à peine à 5 000 unités. Que se passe-t-il ? »

Un direct du gauche pour suivre en quelque sorte :

« D'autant plus que l'arrivée du PC 1640 et des PCW 9512 début septembre va changer la donne autant pour les compatibles que pour les machines de traitement de texte. Il va falloir vous décarcasser si vous voulez qu'on vous donne ces machines à vendre... »

Allusion voilée en forme de KO technique.

Mais en même temps, surprise étonnée de la plupart des commerciaux d'Amstrad. Car la politique d'Alan Sugar est d'annoncer l'apparition des machines le plus tard possible à ses commerciaux, ceux-ci ayant tendance à en parler à leurs clients pour les allécher en oubliant alors leur objectif primordial, qui est de vendre les machines actuelles. Donc black-out presque total en interne, seules deux ou trois personnes étant mises au courant pour des raisons techniques et de marketing évidentes.

Le PC 1640 était un compatible, avec 640 K de mémoire au lieu de 512 et surtout avec un écran graphique plus net et plus joli, aussi bien en monochrome ou en couleur, à la norme EGA (Enchanced Graphics Adaptor). En dehors de cela, c'est du pareil au même.

Quant au PC 9512 ; c'était un PCW 8512 recarrossé, avec des disquettes de 512 K et surtout avec une imprimante à marguerite au lieu de l'imprimante matricielle. En dehors de cela, c'était du même au pareil. évolution dans la continuité. Disons que c'était pour répondre à certaines critiques et élargir la gamme.

— De toute façon, ajouta Alan Sugar, le PC 1640 ne sera disponible qu'à la fin de l'année en Europe, même si nous l'annonçons dès le mois de juillet aux états-Unis. Et il va falloir soigner la communication, car il ne faudrait pas que son apparence gêne la commercialisation du PC 1512. Après tout, vous en avez commandé près de 100 000 à vendre d'ici la fin de décembre... à propos, quel est votre plan pour stimuler les ventes ?
— Comme nous avons un peu trop de modèles monochromes, nous avons prévu un bundle (traduction littérale, un baluchon, en termes de marketing, c'est une offre spéciale groupée) avec PC 1512 monochrome, une imprimante et les logiciels Wordstar plus Supercalc. Avec le slogan : « équipez votre bureau en Amstrad. Cet été c'est 1 700 francs plus léger. »

La plupart d'entre nous parlions anglais, mais les slogans, il fallait se décarcasser pour en traduire les subtilités à Alan Sugar. Vous brûlez de savoir ce que ça donne en anglais ? “Have an Amstrad office. This summer, it's 1 700 F lighter” tout en gardant le rime interne...

— Pas mal, pas mal, mais qu'avez-vous prévu pour l'ensemble de la gamme pour la fin de l'année ? En Angleterre, nous allons vendre un logiciel intégré, Ability et un pack de quatre jeux sans changer le prix...
— Nous prévoyons aussi un intégré, mais le pack de quatre jeux est une bonne idée. Combien vous payez pour un pack de quatre jeux ?
— Entre cinq et six livres sterling pour près de 200 000 unités
— François, faites donc un appel d'offres à vos amis du logiciel. Essayez de les avoir à 60 francs pour 100 000 exemplaires...

Arrive ensuite la pause détente : déjeuner avec des sandwiches (des entre-deux pains pour les Français). Alan Sugar apprécie les sandwiches au fromage et aux crudités. Pas question de déjeuner au restaurant, ce n'est pas dans les traditions anglo-saxonnes d'Alan Sugar. Et c'est vite expédié en vingt minutes. Pas de temps à perdre en frivolités.

Début de la deuxième reprise.

Pour commencer, un cours de marketing appliqué, par le maître :

— Le PC 1512, c'est le compatible pour tous, avec 16 couleurs, pas cher, que les gens achèteront pour la maison, principalement. Souvent ce sera l'achat d'un professionnel, qui utilise un IBM ou un Compaq au bureau, mais qui s'offrira un 1512 pour lui, chez lui. C'est pour cela que la distinction entre les machines familiales et professionnelles est superfétatoire... quand le client achète, c'est l'équation prix/possibilités qui intervient, que ce soit un artisan, une petite entreprise ou une multinationale. Quoique... dans le cas d'une multinationale, les pesanteurs et les services fournis par le revendeur ont leur importance. Mais ce que nous faisons avec nos produits, c'est ouvrir de nouveaux marchés, ou plutôt élargir le marché. D'où l'introduction du PC 1640, qui va vous permettre d'attaquer un marché différent, plus orienté vers l'image de marque. Mais il ne faut pas oublier que ce qui nous fait gagner de l'argent, c'est de vendre des ordinateurs à des gens qui en ont envie. Tout le reste est faiblesse...

La dernière phrase n'est pas d'Alan Sugar, il a plutôt dit, tout le reste, c'est du pipeau. Mais son message est clair, ce qui compte, c'est servir les desiderata des clients utilisateurs en oubliant les élucubrations des journalistes et des revendeurs, qui regardent trop souvent l'arbre qui cache la forêt.

Alan Sugar continua avec le PCW : « Je sais que c'est plus valorisant de vendre des PC 1512 que des machines à écrire. Vous avez changé de communication en le présentant maintenant comme tueur de machines à écrire ; avec la baisse des prix, qu'est ce que ça donne ?

— Un peu plus que 16 000 au cours des six derniers mois, c'est-à-dire depuis le lancement du PC 1512...
— Savez-vous que les Espagnols en ont vendu plus de 10 000 en février... Je devrais peut-être leur confier la commercialisation du PCW en France ! »

étonnement et scepticisme du côté français. Nous savons qu'Alan Sugar aime à montrer en exemple les autres filiales pour entretenir une saine émulation ; il doit faire la même chose avec les ventes de CPC 6128 français quand il a sa réunion espagnole. Pour bien montrer que ce n'est pas de la blague, il sort des listings, avec les comparatifs des filiales produit par produit. Et c'est vrai qu'il y a 10 000 PCW dans la colonne février pour l'Espagne alors qu'il n'y en a que 2 000 pour la France.

Sugar marque un point. Mais il ne montre pas les chiffres de mars et de janvier 87 qui sont de 1 000 machines environ ces deux mois. Car Amstrad Espagne a fait une promotion d'enfer en février : les revendeurs sont bourrés de la cave au grenier et il leur faudra 3/4 mois pour liquider leur stock.

Sugar est un malin.

Il n'empêche. Nous arriverons à atteindre les 3 780 PCW en novembre, grâce à l'apport du PCW 9512 mais nous n'atteindrons jamais la moitié d'un mois ordinaire des Angliches. Plutôt même le quart. Pourtant 21 000 exemplaires sur un an face au PC, je trouve rétrospectivement que c'était une performance, en France. À l'époque, nous nous demandions comment diable ils procédaient de l'autre côté de la Manche. Dire qu'ils en vendent encore à l'heure actuelle en Angleterre. C'est dément.

— Parlons du Sinclair... please.

Grand silence blanc.

— Invendable, hasardai-je ...
— Pourtant, il se vend très bien en Angleterre, en Espagne et même en Italie, rétorqua Sugar, même qu'en Espagne ils en vendent plus que de CPC 464
— Tras los montes, c'est un autre marché ; pour nous 3 568 Sinclair contre 55 071 CPC 464 en neuf mois, c'est la nuit et le jour. Pourtant, on a tout essayé, vente par correspondance, offres spéciales, incitations à la limite de la corruption, rien n'y fait...
— À votre place, je prendrais un chef de produit Sinclair pour trouver des idées...
— Invendable... murmura Jean Cordier.

Alan Sugar nous traita à nouveau de saboteurs. Il fut donc décidé d'engager un chef de produit Sinclair ; après tout, il nous en restait plus de 21 000 en stock.

Les autres points de la réunion étaient variés : je vous les livre en vrac :

— Organisation du transport et des livraisons à partir d'un dépôt de 4 000 mètres carrés situé aux Ulis ; jusqu'à présent, tout le transport matériel était sous-traité.
— Commercialisation et campagnes publicitaires pour les chaînes audio et les nouveaux magnétoscopes, passage de la gestion sur un IBM 38 et sélection du système logiciel à adopter.
— Lancement des nouvelles imprimantes DMP 4000 et LQ 3500, relations avec la presse et réponses aux rumeurs, préparation d'Amstrad Expo, j'en oublie volontairement et involontairement.

La densité de ce type de réunion est difficile à imaginer ; on comprenait mieux ensuite le succès d'Amstrad : avec Alan Sugar, le sens du mot efficacité devenait évident ; pas de palabres inutiles, des argumentations, oui, mais qui devaient obligatoirement mener à une décision. Pendant la réunion même, il y avait une noria de télécopies entre la France et l'Angleterre au fur et à mesure que les décisions étaient prises, on voyait la théorie de l'information en action, un vrai plaisir. Et cette efficacité rejaillissait à tous les échelons, dans tous les domaines.

Des intégrations

Action
Action intégrale.
Intégrale.

Il nous fallait trouver un logiciel intégré pour habiller le PC 1512. Un logiciel intégré est un logiciel qui réunit en même temps un traitement de texte, un tableur et une base de données avec quelques possibilités graphiques en prime. Il faut que les différentes composantes puissent échanger des informations, comme l'introduction d'un tableau venant du tableur dans un document du traitement de texte ou la reprise d'éléments de la base de données dans le tableur.

Certains intégrés ne sont que la juxtaposition de logiciels peu compatibles entre eux, et l'échange des données est souvent compliqué et peu naturel.

Dans ma recherche, je suis tombé sur de vieux produits qui dataient de Mathusalem et ne valaient pas grand-chose. Ou des produits beaucoup trop chers ; n'oublions pas que le produit devait être offert avec le PC 1512 et il n'était pas question de prendre des produits à 7 000 ou à 8 000 francs ; même en discutant ferme avec le distributeur, le prix n'arrivait pas à descendre au-dessous de 1 000 francs, alors que l'objectif était un prix minimum, pour un produit le plus maximum possible. Le miniMir du logiciel, en somme.

Les deux intégrés les plus cotés à l'époque étaient Symphonie de Lotus et Framework de la Commande électronique. Symphonie était hors de question (trop lourd et trop cher). La Commande électronique nous proposa une version simplifiée du Framework, qu'elle renomma Framework Premier. Mais, même avec moult marchandages nous n'arrivions pas à descendre en dessous de 400 francs, tout en faisant miroiter près de 100 000 ventes probables (ce qui aurait représenté un chiffre d'affaires de 40 millions pour le distributeur, pas tout à fait de la roupie de sansonnet.) Mais Hugues Leblanc, le patron de la Commande électronique est carré en affaires, et il resta intraitable.

Resta à inventer une solution. Le PC 1512 tournait sous GEM, l'interface graphique. L'idéal serait d'avoir un intégré sous GEM. Il existait des logiciels sous GEM, mais pas d'intégrés. J'en parlai avec Philippe Olivier, le patron de Micro-Application, principalement connu pour ses livres de micro-informatique. Il avait d'ailleurs été le premier à sortir un livre sur le PC 1512 et était un fervent supporter d'Amstrad.

— J'ai une base de données fantastique sous GEM, Superbase, un tableur honnête sous GEM appelé Calcomat. Reste à trouver un traitement de texte.
— J'ai vu Evolution de Priam, un traitement de texte performant et novateur, mais il est trop cher à près de 4 000 francs.
— Combien tu veux payer pour ton intégré ?
— Moins de 100 francs...
— ???!!!, ça va être dur.
— Mais tu sais que tu peux compter sur 50 000 ventes certaines, probablement plus de 100 000...
— Pour y mettre Calcomat, pas de problème, ce produit m'appartient. Pour Superbase, il va falloir discuter avec le concepteur, je ne suis que distributeur. Quant à Priam, peut-être qu'on peut voir pour une version simplifiée.
— On peut leur faire miroiter qu'ils pourraient vendre la version complète ultérieurement ...
— Et il faut qu'il soit prêt pour quand ton produit ?
— Il me faudra une première livraison de 5 000 dans la première quinzaine de septembre ...
— Tout ça pour un produit qui n'existe pas encore. Je ne sais pas si on peut y arriver, mais on va essayer.
— À propos cela s'appellera l'Intégrale PC. J'ai déjà déposé le nom à l'INPI avec le logo, une espèce de trèfle à quatre feuilles.

Car j'avais déjà déposé le nom, ou du moins entamé les formalités de dépôt du nom. Ça ne coûtait pas la lune et ça permettait de faire avancer le schmilblick.

Les négociations furent rapides. Une quinzaine. Nous nous entendîmes sur un prix de 80 francs. Le contrat fut signé. Il fallait maintenant finaliser le produit, réaliser la documentation, dupliquer les disquettes, imprimer le manuel.

Une gageure.

Je signai le bon à tirer le 15 juillet et les premiers exemplaires furent livrés à notre dépôt des Ulis le 13 septembre. Philippe Olivier, les gens de Micro-Application et ceux de Priam eurent des vacances studieuses.

Mais je frémis rétrospectivement : la campagne publicitaire du PC 1512 tout habillé était articulée autour de l'Intégrale PC, les clichés et les films ayant été pris et tournés avec un exemplaire unique bricolé du manuel et des disques (du moins les étiquettes, les disquettes étaient vierges, of course, pardon, pour sûr !).

L'Intégrale PC représente l'archétype du produit Amstrad au niveau du logiciel : un produit qu'on ne trouvait pas au-dessous de 5 000 francs, qu'on trouvera un peu plus tard aux alentours de 2 500 francs chez d'autres éditeurs (comme Works de Microsoft), facile d'emploi, complet mais sans fioritures inutiles, un produit que les autres constructeurs auraient aimé avoir.

Un prix que l'on m'avait dit impossible à obtenir. Il m'avait fallu voir noir sur blanc le prix qu'Amstrad avait payé pour l'intégré Ability pour croire moi-même que c'était possible : puisque les Anglais y arrivaient, je fus aiguillonné et poussé à faire aussi bien.

Enfin une réalisation dans des délais apparemment impossibles à tenir. Même si 70% du produit existait déjà, il restait à produire les 30 % restant et à fabriquer le produit, qui plus est pendant les vacances d'été.

Une gageure.

Je sais, je l'ai déjà dit. Enfin je l'ai déjà écrit. Car il faut dire gajur. C'est encore plus gageure. Vous avez remarqué, bis repetita me placent beaucoup. C'est mon côté enseignant qui remonte à la surface.

Micro-Application et Priam n'y ont pas perdu. Ils y ont même gagné quelques millions de francs, car plus de 100 000 Intégrale PC ont fait la joie des acheteurs de PC 1512.

Amstrad n'y a pas perdu non plus. Amstrad y a gagné un atout non négligeable dans la promotion du PC 1512.

Allez les bleu(e)s

12 juin 1987

Margaret Thatcher remporte les élections en Angleterre pour la troisième fois consécutive. Ils sont vraiment conservateurs, ces Anglais. Et la couleur des conservateurs en Angleterre est le bleu ; ça ne s'invente pas..., vous me voyez inventer une troisième Maggie !...

Amstrad France lance Amstrad News, un petit journal interne destiné aux revendeurs. Un éditorial de Marion Vannier, ma foi très bien tourné (devinez qui l'a rédigé !). Des nouvelles, des trucs et astuces, de bonnes adresses, des essais logiciels, des infos, des actualités, des annonces. Trois télex en première page qui méritent mention :

... FILIALE COMMUNE AMSTRAD FUNAÏ...

Amstrad a créé une filiale commune avec le constructeur japonais Funaï pour produire en Angleterre des magnétophones VHS. À l'heure où nous mettons sous presse, les premières machines devraient sortir de l'usine Shoeburyness... Alan Sugar craint-il un nouveau Poitiers ?

... AMSTRAD No 1 EN EUROPE...

D'après la société IDC, Amstrad est devenu le no 1 de la micro-informatique en Europe, avec 1 750 000 machines vendues. Une augmentation de 127 % de ses ventes, le no 2 étant Commodore.

... AMSTRAD SUR ORBITE...

Amstrad participe à un consortium qui a obtenu le feu vert pour un satellite de télévision. Son rôle sera de fournir les antennes paraboliques et probablement des téléviseurs spécialement équipés.

En outre, le journal permet de communiquer aux revendeurs quelques opinions bien senties en réaction à une certaine presse et aux rumeurs de tout bord. Je ne résiste pas au plaisir de vous reproduire l'article sur les rumeurs que j'avais murmurées à l'époque.

DES BRUITS QUI COURENT À PLUS DE 8 MHZ.

Dans la « Rumeur d'Orléans », Edgar Morin a disséqué l'origine et la manière dont les rumeurs se propagent dans une ville française. Il y aurait certainement un livre à écrire sur les rumeurs qui courent à propos d'une société comme Amstrad en France. Certains diront que c'est la rançon du succès, une sorte d'hommage que les concurrents rendent à une entreprise dynamique, tout comme l'hypocrisie est un hommage que rend le vice à la vertu (François de la Rochefoucauld 1613-1680).

Depuis qu'un container de moniteurs couleur est tombé à la mer en 1986 (ce qui explique pourquoi les poissons rendent intelligents : ils s'informatisent sur des ordinateurs Amstrad), je peux dire qu'il y a des rumeurs fondées même si elles semblent invraisemblables.

Dans l'ensemble, il y a en effet deux types de rumeurs,

— Les rumeurs fondées sur des faits réels ou inéluctables qui parfois dégénèrent ou s'amplifient.
— Les rumeurs non fondées, lancées par des concurrents mécontents ou des journalistes en mal de copie ou par des gens qui prennent leurs désirs pour des réalités.

Deux exemples pour illustrer mon propos :

  1. Rumeurs fondées : Amstrad va sortir un nouvel ordinateur. Je ne démens jamais ce genre de rumeur, pour la raison qu'elle est toujours vraie, et ce depuis le lancement du CPC 464. Il est évident que nous préparons le futur à tout instant et qu'il y a toujours une ou plusieurs machines en préparation. Saviez-vous par exemple (attention SCOOP !) que le CPC 464 a failli être une machine à base de 6502 et que la première machine Amstrad n'a jamais été produite en série ? Et que d'autres machines sont restées dans des cartons ? Aussi peut-on toujours affirmer qu'Amstrad va sortir un nouvel ordinateur. Seule la date de sortie et le type d'appareil font dériver les rumeurs vers la fantaisie, d'autant plus que nous n'avons la certitude de la sortie d'une machine que trois mois avant sa commercialisation. Ces rumeurs s'accompagnent malheureusement d'autres bruits dont les raisons sont moins évidentes quoiqu'explicables.
  2. Rumeurs sans fondement : Amstrad va abandonner le CPC 464 (ou le 6128, ou encore le PCW). Quand un revendeur me rapporte ce genre de rumeur et me demande mon avis, j'ai des doutes sur le sens commercial dudit revendeur.

... pourquoi abandonner une machine dont les ventes mensuelles dépassent les 5 000 exemplaires... on ne change pas une équipe qui gagne...

... quant au PCW, savez-vous qu'il s'en est plus vendu en France depuis la sortie du PC 1512 que d'Atari toutes machines confondues, alors que bien des gens nous prédisaient sa fin à la sortie du PC 1512...

Pour finir, je vais confirmer et infirmer un certain nombre de rumeurs :

Non, Amstrad n'a pas racheté TF1.

Oui, Amstrad va se lancer dans la télé par satellite.

Oui, il est possible que les prix des 464 et 6128 augmentent (mais si, mais si, la livre remonte dangereusement).

... Le Bruiteur de Service

Pas mal, n'est-il pas ? Et encore, je prenais des gants à l'époque.

Autre information à noter, sous le titre « Des appareils dangereux !!! » nous mettions en garde contre des appareils CPC 6128 venant des états-Unis ; ils avaient été bidouillés pour passer du 110 au 220 volts et la transformation n'était pas exempte de dangers. Un importateur avait dû tomber sur un lot d'invendus et flairer la bonne affaire.

À partir de juin, nous préparons notre service Minitel, 3615 code Amstrad. Maintenant, tous les constructeurs ont leur service Minitel, mais en juin 1987 nous sommes parmi les premiers à faire un serveur dédié aux utilisateurs d'ordinateurs Amstrad. Pour des raisons légales, nous sommes « hébergés » sur le serveur d'un organe de presse, en l'occurrence celui du Nouvel Observateur.

C'est marrant, la création et la conception d'un serveur sur Minitel. C'est plutôt facile, c'est pas cher et ça peut rapporter gros.

Pour nous, au départ, c'est un outil pour soulager le standard téléphonique et le service technique. Car l'un et l'autre sont toujours surchargés et pour répondre le plus souvent aux mêmes questions : l'adresse du revendeur à Chilleurs aux Bois, où trouver un PC 1512 couleur, comment charger le logiciel Wordstar, je n'arrive pas à justifier mon texte, etc, etc...

Avec un service Minitel bien conçu, les clients peuvent trouver les informations produits, les bonnes adresses, les trucs et astuces les plus demandés. Ils peuvent même nous poser leurs questions sur Minitel, et nous, leur répondre de la même manière concise et précise sur le même Minitel.

Et vous avez le concours, les quizz, les prix à gagner, les jeux, les attrape-nigauds, les pièges à gogos. C'est ce qui rentabilise un service (en dehors des messageries roses), permet de gagner au tirage et au grattage. La folie Minitel, quoi, qui permettait aux parents innocents de se retrouver avec une facture de téléphone astronomique et incompréhensible jusqu'au moment où ils réalisaient que leurs chers bambins étaient les fautifs drogués du Minitel.

Pour le moment, c'est pour nous l'époque de la découverte et de la recherche. La découverte d'un outil, son jargon à base d'arborescence, de menus, de pages, d'écrans, de connexions. La recherche d'un style, d'une image à base de crocodile convivial et d'ordinateur ludique, tout en installant une dose de professionnalisme, PC oblige. Au départ nous pensions pouvoir nous limiter à une trentaine de pages-écrans, mais l'inflation a vite gagné, le service commercial ajoutant ses bonnes adresses (de revendeurs, évidemment) presque chaque jour.
Juillet-août 87

C'est l'été. (Tiens donc !). La France est en vacances. Peu d'événements notables. Il paraît que le nombre d'êtres humains atteint 5 milliards le 5 juillet, dixit l'ONU. Il paraît aussi que ce chiffre est véridique à plus ou moins 200 millions. La démographie et la statistique ne donnent pas une science exacte. Stephen Roche, un Irlandais, remporte le tour de France le 26 juillet. Il est probable que le monstre du Loch Ness fit sa réapparition dans les journaux, vu le peu d'événements notables.

Pendant ce temps Amstrad ne chôme pas. Alan Sugar rachète VIDCO, l'importateur d'Amstrad aux états-Unis, pour 2 millions de dollars cash et une poignée d'actions ; il crée des filiales en Australie et en Italie et prépare le lancement d'une filiale en Allemagne où les relations avec l'importateur, Schneider deviennent tendues. Schneider veut devenir constructeur à part entière.

Petit changement, le logo d'Amstrad est modifié et prend des couleurs, avec une barre rouge fuchsia sur fond gris.

Petite anecdote, pendant l'été 87, les ventes d'ordinateurs Amstrad représentent 70 % du fret aérien entre Londres et Varsovie. étonnant non ?

Petite nouvelle, le groupe Tests lance ses petites piques (il ne nous fend pas le cœur mais c'est devenu comique), utilisant un titre après l'autre ; j'y réponds sans vergogne et avec le marteau-pilon dans Amstrad News no 2 (numéro de juillet-août, nous aussi on se la coule douce).

Voyez plutôt à la rubrique des actualités :

INDÉCISION INFORMATIQUE

incorporant l'ordinateur solitaire

AMSTRAD N'ATTEINT PAS SES OBJECTIFS !

IL EST SEULEMENT N°1 DEVANT IBM EN FRANCE, EN GRANDE-BRETAGNE ET EN ESPAGNE.

LES VENTES D'AMSTRAD PC 1512 NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES PRéVISIONS DES JOURNALISTES... APRèS AVOIR LANCé LE PC 1512 EN SEPTEMBRE 86, AMSTRAD N'A RéUSSI QU'À ÊTRE NUMÉRO UN DEVANT IBM EN FRANCE, EN GRANDE BRETAGNE ET EN ESPAGNE...

Selon notre confrère Décision Informatique, Alan Shugart (sic...) est préoccupé : les ventes du PC ne sont pas à la hauteur de ses espérances... et le PC 1512 est boudé. La société Intelligent Electronics n'a pu dénombrer que 20 000 livraisons par mois en Grande-Bretagne depuis le début de l'année (note importante : 20 000 livraisons en Grande-Bretagne ! Bof ! Le reste de l'Europe ne compte pas, ou alors certains journalistes ont appris la méthode ultra-rapide de lecture). Plus fort encore, alors que le PC 1512 est le PC le plus vendu en Europe depuis le 1er janvier 87, Décision Informatique arrive à faire un éditorial consacré au bilan de la mi-87 sans mentionner Amstrad ; le comique atteint des hauteurs insoupçonnées : Amstrad a 2,1 % du marché en 1986, alors que les livraisons n'ont vraiment commencé qu'en février 1987. D'après d'autres études plus récentes, Amstrad (qui a beaucoup de problèmes !) aurait dépassé IBM en France, en Grande-Bretagne et en Espagne. C'est vraiment la catastrophe. Non, les journalistes du groupe Tests ne sont pas partiaux. Leur objectivité à l'égard d'Amstrad est exemplaire, puisque dans un essai comparatif publié dans l'Ordinateur Individuel, ils ont montré qu'un Amstrad PC 1512 double lecteur et moniteur couleur est plus cher que tous les autres compatibles à simple disquette et à moniteur monochrome. Pourquoi pas ? Il est vrai que les bénéfices d'Amstrad ne vont atteindre que 120 millions de livres sterling (environ 1,3 milliard de francs)... et ça continue, encore et encore...

Donc vous ne verrez pas le titre suivant dans un journal du groupe Tests :

L'AMSTRAD PC 1512 NUMÉRO UN EN FRANCE. EN GRANDE-BRETAGNE ET EN ESPAGNE AU PREMIER SEMESTRE 1987

J'ai dit marteau-pilon, j'aurais peut-être dû dire bazooka. Il n'est pas certain que ce genre d'article ait eu beaucoup d'impact, mais c'est indéniablement bon pour le défoulement.

J'avais sous-estimé les chiffres d'Amstrad pour les douze mois 86-87, qui furent en réalité de 512 millions de livres pour le chiffre d'affaires et de 136 millions de bénéfices, avec une augmentation respective de 68 % et 80 % par rapport aux 12 mois précédents : si Amstrad n'atteignait pas ses objectifs, qu'aurait-il fallu qu'ils fussent ? En termes hexagonaux, Amstrad se serait placé parmi les dix premières sociétés françaises pour les bénéfices avec un chiffre d'affaires qui l'aurait classé en 75e position. Vous voyez un peu la marge commerciale.

Que diriez-vous d'un petit jeu ?

Puisque c'est la période des vacances, distrayons-nous un peu et parlons de jeu. Jeux sur ordinateurs, bien sûr, et sur PC et compatibles Amstrad pour changer. Quels sont donc les jeux dont on parle en ce bel été 87, les jeux qui font s'éclater les jeunes et moins jeunes ?

Pour commencer les compilations (ouahou ! les compil) qui mettent dans un beau paquet cadeau trois ou quatre logiciels (ou plus, j'ai vu des compilations de cinquante jeux tous plus nuls les uns que les autres). Lesdits logiciels sont quelquefois un peu vieux (démodés ?) mais pas toujours. Sur les quatre, il y a une locomotive et trois nanars en général. Mais ce n'est pas obligatoire.

Il y a donc le hit PC 1512 avec Top Gun, Strip Poker, Great Escape et Dambusters par Océan et US Gold. 245 francs, pas génial, mais papa s'amuse avec le poker (surtout pour le strip) tandis que fiston s'imagine qu'il est le Top Gun.

Puis la collection PC 1512 que nous allons offrir avec les PC 1512 pour Noël. 295 francs quand nous n'en faisons pas cadeau. Ça comprend World Class leader Board, World Games, Arkanoid, Super Tennis. Pas mal pour le golf et Arkanoid, les deux autres j'ai oublié et j'ai bien fait.

La compil EPYX, c'est du jeu jeu. Winter Games, ça vaut pas Albert et sa ville. Pitstop II comme course automobile c'est archinul. Summer Games II peut difficilement vous intéresser plus de 30 secondes, disons 2 minutes. Ça se vend 225 francs, ça ne les vaut pas et en plus, ils osent mettre « les meilleurs au monde » sur la pochette. C'était pas vrai en 87, alors vous imaginez...

Petite parenthèse, méfiez-vous des jacquettes de jeux et des descriptions dithyrambiques du scénario. Parfois il arrive que ce soit aussi palpitant que la cinq après le 15 avril 1992. Une description de science-fiction digne d'Isaac Asimov recouvre parfois un jeu plus nul que Chabat sans Lauby ni Faruggia.

La mallette FIL qui est une compilation vendue dans une mallette comme vous ne l'aviez pas deviné contient pour deux cent nonante cinq francs zéro centime, Infiltrator avec un spationaute en couverture, échecs 3D qui se veut un jeu d'échecs en trois dimensions, et numéro 10, une simulation de football avec, devinez qui, en couverture ? Michel Platini. Rien que pour ça, ils ont dû vendre. Pour Noël. Et pour les fanas de foot ; car pour le reste, je n'ai vu personne y jouer chez Amstrad. Ni avant, ni pendant le travail. Car certains privilégiés du service technique pouvaient tester des jeux pendant les heures de travail. La durée du test m'indiquait la valeur du jeu. Il a fallu plusieurs semaines à Marie-France pour tester Arkanoid. Je crois que Xavier a mis moins de 5 minutes pour tester toute la mallette FIL. Mais je peux me tromper.

Voilà pour les compil (ou farce) de l'été. Loriciels, Infogrammes, Cobra, Ubi Soft, Cocktail Vision, Microprose ou ère Informatique, n'avaient pas encore de compilation spéciale PC.

Pour ceux qui ne sont pas in, les noms précédents sont des noms d'éditeurs de Soft en 1987 ; pour ceux qui ne sont pas out, ça pourrait leur rappeler de bons souvenirs.

Pour les autres logiciels (on est toujours dans le domaine PC) voici une liste quasi exhaustive de A à Z en cette fin d'été 87. Après la liste (après le dernier zombie) je prendrai quelques exemples pour en extraire la substantifique moelle et pour votre éducation. Pour information, les prix variaient de 149 francs (pour Nécromancien !?) à 490 francs (pour Flight simulator II)... et puis, allons, pour que vous ne me reprochassiez pas de ne pas vous avoir donné votre bouillon de 11 heures, je vous rajoute les prix, gratuitement :

  • ACE OF ACES 349 F
  • ALTER EGO FEMELLE 245 F
  • ALTER EGO MÂLE 245 F
  • ARKANOÏD 195 F
  • ASTÉRIX 249 F
  • ANCIENT ART OF WAR 290 F
  • BACKGAMMON 250 F
  • BALANCE OF POWER 295 F
  • BLUEBERRY 245 F
  • BOB WINNER 240 F
  • BOULDER DASH 120 F
  • BRUCE LEE 227 F
  • BRIDGE PLAYER 2000 199 F
  • LE CASQUE DES FORGERONS 250 F
  • CHAMPIONSHIP GOLF 290 F
  • CHIFFRES ET LETTRES 260 F
  • COMMANDO 349 F
  • CHESS MASTER 2000 280 F
  • CRUSADE IN EUROPE 270 F
  • DEFENDER OF THE CROWN 249 F
  • ÉCHECS 3D 219 F
  • FER ET FLAMMES 295 F
  • FLIGHT SIMULATOR II 490 F
  • F15 STRIKE EAGLE 239 F
  • GHOSTBUSTEURS 295 F
  • GRAND PRIX 500 199 F
  • GUNSHIP 349 F
  • HACKER 290 F
  • HELLCAT ACE 195 F
  • THE HOBBIT 298 F
  • IZNOGOUD 299 F
  • INFILTRATOR 195 F
  • JET 490 F
  • KARATEKA 295 F
  • KARMA 240 F
  • MACADAM BUMPER 290 F
  • MARCHE À L'OMBRE 245 F
  • MICRO SCRABBLE 245 F
  • MEAN 18 245 F
  • MISSION 220 F
  • MISSIONS EN RAFALE 245 F
  • MEURTRE EN SéRIE 295 F
  • NÉCROMANCIEN 149 F
  • PASSAGERS DU VENT 290 F
  • PHALSBERG 295 F
  • PROHIBITION 290 F
  • LES RIPOUX 195 F
  • ROADWAR 2000 249 F
  • SAPIENS 240 F
  • SILENT SERVICE 220 F
  • SOLO FLIGHT 219 F
  • SPITFIRE ACE 195 F
  • SRAM 245 F
  • STAR GLIDER 199 F
  • SUMMER GAMES II 245 F
  • SUPER TENNIS 195 F
  • TOP GUN 199 F
  • TRIVIAL PURSUIT 295 F
  • WINTER GAMES 245 F
  • WORLD GAMES 245 F
  • ZOMBI 245 F

En tout, une soixantaine de jeux, la quintessence de la lucidité sur un ordinateur professionnel PC, en 4 couleurs beurk la plupart du temps. Sur chaque jeu, je pourrais facilement écrire une ou deux pages, quoique, pour les jeux nuls, une ligne devrait suffire ; mais dans les jeux, c'est comme pour les livres, une critique littéraire met parfois des pages et des pages pour descendre un livre en flammes. Mais je n'irai pas jusque-là. Je sais que votre temps est précieux, le mien aussi, je prendrai donc des exemples symptomatiques et significatifs, d'autant plus que je vais commencer par une classification clarificatrice des catégories ludiques ordinatrices.

En effet, il y a jeu et jeu, jeux et jeux. Je ne parlerai pas du bésigue et de sa variante le bésigue chinois : en effet, qui sait qu'il a son origine dans le bezy du Limousin vers 1820, et que c'est la combinaison de la dame de pique et du valet de carreau ? Je ne parlerai pas non plus du bidou, ni du triboulet, ni de la passe anglaise. Point non plus de marelle ou du halma ou encore moins du jeu de la mère garuche. En informatique ludique, on parle peu des jeux de patience ou des jeux d'esprit ou des jeux de mots (quoique...) des jeux de malice et d'observation, pas plus que de jeux de mains, jeux de vilains.

Non, sur le PC, on peut classer les jeux dans les catégories suivantes :

— Les jeux d'aventures, adaptés parfois d'un livre ou d'une bande dessinée, dans lequel le temps ne presse pas et où il faut savoir poser les bonnes questions.
— Les jeux d'arcades, genre Macadam Bumper ou Commando (où il faut tirer sur tout ce qui bouge) et qui comprennent (enfin, il n'y a pas grand-chose à comprendre, mais je m'entends) les jeux de combat comme Kung Fu et les jeux d'adresse comme Tetris et Arkanoid.
— Les jeux de simulation de sport, golf, tennis, ski, athlétisme, y en aura pour tous les sportifs, même les adeptes du billard et des fléchettes.
— Les jeux de réflexion, échecs, backgammon, bridge, et jeux de mots et de chiffres. Après tout, il existe peut-être un jeu de bézigue sur PC !?
— Les jeux de simulation de pilotage, en avion, en voiture, à moto et même en bateau. Il rejoint le jeu d'arcade quand l'avion doit zigouiller un maximum d'ennemis pour gagner. Silent Service est une simulation de sous-marin, par exemple.
— Les jeux de stratégie, où vous pouvez vous mettre dans la peau de Napoléon ou de Wellington ou des deux et refaire Waterloo, El Alamein, ou même toute la Deuxième Guerre mondiale en attendant la troisième.
— Enfin les jeux qui mélangent plusieurs genres en même temps, comme un jeu d'arcade très combattant qui stimule la réflexion dans un jeu d'aventure très stratégique.

Des noms, des noms ! Vous voulez des noms ? Des exemples ? Mais pas de problème :

Premier exemple :

Des chiffres et des lettres, de chez Loriciels, 260 francs. Vous êtes en terrain connu, vous l'avez vu à la télé. C'est un jeu de réflexion, vous aviez deviné, en voici l'essai paru dans la presse micro : c'est pas Collaro, c'est pas Bouvard, c'est l'émission préférée des grands-mères. Eh bien oui, DES CHIFFRES ET DES LETTRES sur votre micro comme à la télé (dans le poste) est disponible. Le temps de chargement assez long va vous permettre de créer l'ambiance. Enfilez un pull à col roulé (pour vous sentir dans la peau d'un concurrent « type instituteur ») posez une gondole lumineuse ou un baromètre sur le moniteur (ça, c'est pour être raccord « grand-mère »). Maintenant, fermez les yeux. Ouiii, ça vient. Patrice Laffont, es-tu là ? Si et no. Les choses ne sont pas aussi simples mais ce qui est perdu en limpidité se gagne en intérêt. Je m'explique : il existe, dans ce logiciel, deux modes de jeu. Un mode « suivi télé » permet tout en regardant l'émission, la vraie, de jouer en même temps que les concurrents. Par exemple, vous entrez au clavier les lettres tirées par les participants et votre PC se charge de trouver l'idiome imparable dans le dictionnaire de 80 000 mots (c'est ce que contient le Grand Robert de la langue française en neuf volumes !). Plus fort, ce dictionnaire pourra également servir aux cruciverbistes et autres scrabblopathes. Ça marche aussi en mode « chiffres » et je vous garantis que l'algorithme chargé du calcul trouve le « bon compte » 9 fois et demie sur 10 en quelques secondes. Quant au mode lettres, un duel opposant le champion de France à la machine a vu cette dernière remporter toutes les épreuves haut la main. L'autre mode de jeu, plus habituel, permet à un joueur contre le 1512 ou à deux joueurs (dans ce cas l'ordinateur sert de jury) de s'affronter. La présentation très claire permet de s'amuser sans effort. À la limite vous devriez réussir à convaincre votre grand-mère de s'offrir un Amstrad PC et ce Soft. Après 1 an et demi de tractations avec Armand Jammot et Antenne 2, Loriciels a réussi à sortir ce produit. Même si vous n'êtes pas un fanatique de l'émission, jetez un œil sur ce Soft, ne serait-ce que pour la qualité de sa programmation. Les grands-mères étant parfois dures d'oreille, je réitère, j'accentue, j'hyperbole que dis-je : ACHETEZ-LE.

DES CHIFFRES ET DES LETTRES DE LORICIELS
GRAPHISME : 14/20
MUSIQUE/BRUITAGE : s'ils étaient nécessaires, il y en aurait.
JOUABILITé : 14/20
ANIMATION : sans
DURéE : quelques semaines
RAPPORT QUALITé/PRIX : 15/20
PRIX : 280 F

Voilà, j'espère que vous avez compris ce qu'était le logiciel DES CHIFFRES ET DES LETTRES. Si vous n'avez pas compris, regardez sur Antenne 2, enfin France deux maintenant.

Poursuivons. Vous aurez deviné que Blueberry, Asterix, Iznobad et les Passagers du vent sont des aventures inspirées de bandes dessinées du même nom. Avantage, elles ont en général 16 couleurs sur PC 1512 alors qu'elles n'en ont que 4 sur PC compatible ou IBM normal. Inconvénient, lorsqu'on a joué une demi-douzaine de fois à ce type de jeu, il n'y a plus d'autre intérêt que la vision de zolis dessins.

Flight simulator II de Microsoft est et était un des classiques ; un vrai simulateur de vol pour apprendre à voler avec un vrai avion Cessna 182 ou un FR172, difficile à maîtriser pour les débutants et sur lequel vous appreniez à aller de Reims à Cambrai comme si vous y étiez, à la vitesse réelle. 490 F à l'époque, et ça les valait.

Rien à voir avec F15 Strike Eagle : 7 missions vous amènent à bombarder la Libye, l'égypte, la Syrie, le Vietnam, l'Irak et l'Iran. Vous êtes pris à partie par les Migs 21. Attention aux missiles SAM. Pas difficile de deviner que le concepteur de logiciel était un Américain un conservateur et militariste genre Reagan. C'est plus du genre tir de foire, même s'il faut une certaine dextérité dans le maniement combiné du palonnier et des mitraillettes.

Vous avez deviné que Bruce Lee était un jeu de karaté et que Bridge Player 2000 avait un rapport avec les cartes (à jouer).

Macadam Bumper est un jeu de flipper paramétrable, à savoir qu'on pouvait se fabriquer sa propre machine à faire tilt. En 16 glorieuses couleurs sur l'Amstrad PC 1512, il valait bien les bécanes qu'on trouvait dans les cafés et c'était moins cher. Un des rares jeux que j'ai pratiqués plus de trois fois, c'est vous dire (non, je ne suis pas très joueur).

Bob Winner était un autre jeu de Loriciels. Graphiques innovateurs, voilà ce que disait la jaquette :

« Au-delà de toute imagination se trouve le monde inconnu et merveilleux que tu cherches depuis si longtemps. D'innombrables obstacles se dressent sur ton chemin et il te faut combattre. Prends la route des volcans, des marais sauvages où t'attaquent les guêpes géantes et là encore, évite les sables mouvants, les éboulements...

Dans les pays traversés, des combattants se dressent pour stopper ton avance et tu dois les vaincre à la savate, à la boxe ou au tir pour continuer. »

Vous avez compris. Moi pas. C'est joli. Mais je ne suis pas un expert de la savate et je finissais toujours dans les sables mouvants. Je n'ai jamais dépassé le troisième tableau ! Ma fille de douze ans en trouvait des douzaines de tableaux sur plusieurs niveaux. Et elle n'avait pas peur des guêpes géantes...

THE ANCIENT ART OF WAR (ou l'art ancien de la guerre pour les ennemis de Clausewitz) est un jeu de stratégie inspiré par « l'art de la guerre » de Sun Tzu (400 ans avant Jésus Christ) qui vous mènera à travers onze batailles différentes afin d'y faire preuve de votre habileté. Vous pouvez également créer vous-mêmes de nouvelles situations. Je n'ai pas joué à ce jeu, mais j'ai essayé Waterloo. Dans la peau de Napoléon, en trichant un peu et en une partie rapide, j'ai réussi à battre Wellington. Ça fait du bien de réécrire l'histoire, de temps en temps. Mais il faut être patient pour jouer à ce genre de jeu-là. Difficile de finir une partie en moins de quatre à cinq heures.

Boulder Dash était le meilleur jeu d'arcade sur PC selon mes experts. Il a vite été dépassé ; c'est du genre mange-cailloux ou casse-briques en plus sophistiqué. Un peu comme Arkanoïd. Je pourrais y jouer pendant des heures à ce jeu, si je ne devais écrire des livres sur les jeux ! Quelle galère !

Phalsberg, Karma et Néocromancien ne m'ont pas marqué. Pas le moindre souvenir, même pas une page de publicité hyperbolique.

Les autres, je les connais tous plus ou moins. Mais j'ai promis d'être bref : Zombi, Scram, Sapiens, Fer et Flammes, le Casque des Forgerons, le Hobbit sont des jeux d'aventures avec des scénarios de science-fiction, enfin, beaucoup de fiction et pas beaucoup de science.

Alter Ego est un jeu de rôles en deux versions suivant votre sexe (oui, oui, tout le monde ne peut pas être hôtesse de l'air) qui était extra d'après mes sources (16/20 ou 95 % de satisfaits suivant les journaux). Malheureusement ce jeu de rôles fondé sur la compréhension du texte était en anglais (ou plutôt en américain ; non, ce n'est pas pareil). Mais que faisaient donc le comité de défense de la langue française et Alain Decaux ?

Le reste ? Hacker, très bon, vous êtes branché par erreur sur un système informatique. Vous êtes entraîné dans une passionnante affaire d'espionnage que vous découvrirez peu à peu. Génial. Vous avez lu le Nid de coucou de Clifford Stoll, chez Albin Michel, 120 francs TTC ? Génial. Un peu le même genre, bien que... je ne sais lequel est le plus génial, le logiciel ou le livre. Et passionnant même pour les ordinophobes.

Les autres logiciels, soit ils existent encore, soit il est facile de deviner leur nature, au besoin avec l'aide de votre Harrap's, votre Collins, votre dico franco-anglais ou English-French. Vous ne voudriez pas que je vous traduise Trivial Pursuit par Poursuite Triviale. D'autant plus que ce jeu ne valait rien, pas un clou, pas un fifrelin. Un jeu qui peut être si drôle en société, je ne vois pas l'intérêt d'en faire un jeu sur PC. D'autant plus que l'ordinateur est plutôt du genre onaniste. Vous avez déjà joué au Trivial Pursuit tout seul ? Oui, pour apprendre les réponses par cœur et impressionner ensuite vos adversaires... et encore, il y a trop de questions ! En plus, ils auraient pu limiter les dégâts avec de beaux graphismes. Même pas. Les dessins étaient laids. Note 1/20. Quand vous savez qu'en-dessous de 10/20, les gens n'achètent pas, vous voyez pourquoi je n'ai pas mis 0/20.

Fini les amusements. On ne joue plus. On revient à la fin de l'été. Fin des vacances.

Lundi 1er septembre 87

C'est la rentrée. Au travail. Il y a du pain sur la planche. Des CPC, des PCW, des PC à vendre. Des spots télé à tourner. Des produits à lancer, le PC 1640, le PCW 9512, des imprimantes, des magnétoscopes. Des campagnes publicitaires à peaufiner, des stratégies commerciales et mercatiques à développer, un salon Amstrad, un service Minitel à faire mousser, un standard téléphonique à améliorer, un dépôt aux Ulis à développer et une bombinette pour la fin octobre.

Non, ce n'est pas le moment de se croiser les bras.

Pléthore de titres

Le premier septembre, un nouveau journal fait son apparition dans les kiosques... il a pour titre Amstrad PC Mag ; on pourrait se dire que ce journal vient de la même écurie qu'Amstrad Magazine ; pas du tout ! C'est une histoire croquignolesque à déguster de suite.

Premier tableau :

Lorsque le CPC 464 déboule sans tambours ni trompettes sur le marché français, la presse micro-informatique est en pleine gestation, en pleine croissance : les titres nouveaux fleurissent à la devanture des kiosques plus vite que les tulipes en Hollande ; la plupart sont généralistes, deux ou trois sont consacrés aux machines de chez Thomson ; les barons de la presse spécialisée flairent un filon profitable : plusieurs contactent Amstrad quand ils réalisent le potentiel de nos machines et l'engouement qu'elles suscitent. Pourtant, c'est un outsider qui se montre le plus tenace.

Jean Kaminsky vivote dans la presse spécialisée, il édite Laser Magazine, une revue HI-FI et vidéo qui n'a pas de cible bien définie et traite des nouveautés tous azimuths. Son opiniâtreté va lui permettre de coiffer sur le poteau ses concurrents potentiels. Il fait le siège d'Amstrad et de Marion Vannier et arrache la permission d'utiliser le nom Amstrad dans le titre de sa revue ; le Telex de confirmation lui parviendra sous la forme suivante :

LE 5 JUIN 1985
TLX NO 4829
ATT. MR. KAMINSKY

BONSOIR ICI AMSTRAD FRANCE

SUITE VOTRE TELEX POSITION 156 1455-
CONFIRMONS AUTORISATION D'UTILISER LE TITRE // AMSTRAD MAGAZINE // SANS LIMITE DE DURéE, MAIS LE NOM D'AMSTRAD NE SAURAIT AVOIR LE GRAPHISME DEPOSE PAR NS-
QUANT A LA COMPENSATIONNS LAISSONS CELA A VOTRE BON PLAISR

RECEVEZ NOS SALUTATIONS

Le premier numéro d'Amstrad Magazine daté juillet-août 1985 fut tiré à 23 000 exemplaires et montrait le CPC 664 à la carrière si éphémère.

Deuxième tableau :

La croissance d'Amstrad Magazine est phénoménale : dès décembre 1985, le journal tire à cent mille exemplaires : pour un journal consacré à une seule marque, qui n'est présente en France que depuis un an, c'est invraisemblable, mais cela est.

Début 1986, c'est Amstrad Magazine qui organise Amstrad Expo à l'Hôtel Holiday Inn. Tout baigne dans l'huile. Amstrad Magazine s'étoffe et sa pagination atteint 228 pages en décembre 1986. Une ombre au tableau, Marion Vannier reproche à Jean Kaminsky la mauvaise qualité du papier de sa revue, et il est vrai que c'était du papier recyclé d'une origine peu coûteuse.

Troisième tableau :

Ambiance mitigée : Amstrad Magazine publie chaque mois quatre pages de publicité Amstrad gratuitement (la compensation) ; mais Jean Kaminsky trouve déplacée l'exclusivité accordée à Science et Vie Micro à l'occasion de la sortie du PC 1512 : lui, le parangon de la vertu amstradienne, se voir préférer un concurrent extérieur... nous avons beau lui dire qu'il faut viser un nouveau public, il la trouve saumâtre. Il organise la deuxième exposition Amstrad à la Villette, mais se fait rabrouer pour le caractère « amateur » de la manifestation. Des voix peut-être intéressées font valoir à Amstrad que les expositions Apple, ça vous a une autre gueule et que si Amstrad veut attaquer le marché professionnel, il vaudrait mieux changer de cheval...

Quatrième tableau :

Les couteaux sont tirés, les reproches volent, la troisième Amstrad Expo ne sera pas organisée par Jean Kaminsky, les menaces de procès font surface, Amstrad Magazine se permet de critiquer les orientations d'Amstrad. Excédée, Marion décide de confier à d'autres la réalisation d'un journal consacré aux modèles professionnels ; ce sera Amstrad PC mag, le mag disparaissant du titre après trois mois pour des raisons ayant à voir avec des droits plaidables en justice ; risible.

Cinquième tableau :

C'est la guerre ; Amstrad Magazine est obligé de changer son titre en AM-MAG, malgré le télex mentionné plus haut, grâce à des subtilités juridiques, dixit Jean Kaminsky qui prétend qu'il est indiscutable que le magazine a contribué au succès de la marque : à quoi on peut lui rétorquer que tout magazine avec le nom Amstrad Magazine avait de grandes chances de bien se vendre : l'œuf ou la poule ? éternelle question. En Angleterre aussi, en Espagne, en Allemagne, en Italie et probablement ailleurs, il y eut des douzaines et des douzaines de revues Amstrad ; bien sûr, Amstrad en a profité, mais les revues aussi...

On pourrait épiloguer à loisir ; les caractères difficiles de certains protagonistes n'ont certainement rien arrangé. Je ne connais pas suffisamment les arcanes de l'histoire en question pour juger de manière impartiale, et de toute façon ce n'est qu'un élément très accessoire dans l'histoire de nos dangereux ordinateurs.

Pléthore de titres à la vente (bis)

Le 19 septembre, lundi noir à la bourse de Wall Street ; comme vous n'aviez pas d'actions, vous vous êtes dit « bien fait pour les spéculateurs qui s'enrichissent sur le dos des travailleurs... », puis vous vous rappelâtes le jeudi noir de Wall Street en 1929 et la mini-mégacrise économique qui a suivi, alors vous vous inquiétâtes sur l'avenir de votre emploi et la sécurité de votre gagne-pain... pourvu qu'on ne soit pas obligé de manger des rats comme en 1929...

Le 22 octobre, pour avoir persiflé Bouygues, nouveau propriétaire de la une, Michel Polac est prié de remballer son droit de réponse.

Le 24 octobre, cocorico, le professeur Jean Marie Lehn reçoit le prix Nobel de chimie.

La saga des portables

Le 28 octobre, Amstrad annonce les PPC, des ordinateurs portables et compatibles ; mais heureusement que la poignée est solide, car, à cinq kilogrammes et demi, ce n'est pas vraiment une plume.

Le 28 octobre 1987 tombe un mercredi. Alias Mercoris dies, alias Mercuri dies, jour de Mercure, Dieu romain du commerce, des voleurs et des voyageurs, messager des dieux. Représenté coiffé d'un chapeau orné de deux ailes, un caducée à la main et deux ailes aux pieds.

C'est vraiment le bon jour pour annoncer la sortie d'un ordinateur portable, l'ordinateur mercurial par excellence (je sais, je sais, cet adjectif n'est pas dans le dictionnaire, mais il devrait y être, nonobstant la crainte des académiciens ; vous vous rappelez, ils ont hurlé à cause du slogan, « en abuser, ça craint ». Mais si l'anglais taille des croupières au français partout dans le monde, n'est-ce pas parce que l'anglais est une langue évolutive où, pour inventer un mot, nul besoin de la permission d'une académie de vieux birbes ?)

Amstrad annonce en effet à Londres un ordinateur portable appelé PPC (pépécé ou portable personal computer).

Le PPC d'Amstrad n'a pas d'ailes, mais presque. Un journaliste lui donne le qualificatif d'ordinateur pliable, peut-être à titre dérisoire, mais on ne sait jamais. Car le PPC d'Amstrad n'est pas un ordinateur portable comme les autres. Il y a portable et portable. Il y a les ordinateurs transportables, les ordinateurs de poche, les laptops, les notebooks, les notepads, les autonomes et les pas si autonomes que cela.

Mettons un peu d'ordre dans vos idées et définissons : je prends un dictionnaire de 1990 et je lis : « ... ordinateur professionnel mais sous un format compact (pouvant se glisser sous le siège d'un avion) et d'un poids restreint (une dizaine de kilos)... Le premier ordinateur réellement portable apparu sur le marché fut l'Osborne 01. »

Bon. Admettons que la définition date de 1990, donc probablement rédigée en 1989. Depuis l'eau a coulé sous les ponts... mais même en 1987, le PPC Amstrad ne pesait que (?!) 5,4 kilos et il y en avait de plus légers.

Essayons d'affiner la définition. Disons qu'un ordinateur portable a une poignée (pour le porter). Ensuite nous divergeons suivant les deux caractéristiques fondamentales suivantes :

— L'autonomie, autrement dit peut-on s'en servir là où il n'y a pas de prise de courant ?
— Le poids.

Les premiers portables genre Osborne et Compaq étaient de véritables machines balaises avec des écrans cathodiques de neuf pouces de diagonale et d'un poids de plus de dix kilos. C'étaient des transportables que l'on véhiculait du bureau à la maison et qui avaient besoin d'une prise de courant pour fonctionner. Les propriétaires de telles machines finissaient par avoir un bras plus long que l'autre... disons que c'étaient les transportables de la préhistoire micro-informatique. L'Osborne, fruit de l'esprit fertile d'Adam Osborne a eu un certain succès dans les pays anglo-saxons ; fonctionnant sous CP/M, l'arrivée d'IBM et des compatibles l'a coulé. Compaq, avec son gros transportable, a bâti sa réputation à l'origine : il a même, sur ce créneau, totalement dominé IBM.

Puis sont venus les portables du genre Toshiba avec des écrans plats LCD (à cristaux liquides). Moins lourds (5 à 7 kilos), ils fonctionnaient sur le courant alternatif et n'étaient pas à proprement parler des portables autonomes. Mais ils permettaient aux représentants et à certaines professions libérales de transporter leur outil de travail d'un point à un autre.

Enfin, au cours des trois dernières années sont apparus des portables vraiment portables, avec des écrans plus lisibles, avec des disques durs, alimentés par piles (NiCad en général) rechargeables avec des poids de plus en plus réduits.

— Entre trois et quatre kilos, on appelle (on appelait, c'est déjà en voie de disparition) cela un laptop (intraduisible en français, en anglais ça veut dire qu'on peut s'en servir sur les genoux, enfin en le mettant sur vos genoux, ce n'est pas vous qui vous mettez à genoux)
— Entre deux et trois kilos, on appelle cela un notebook, moi je traduirais cela par bloc-notes.
— Moins de deux kilos, les Anglais appellent cela des subnotebook, plus petit qu'un block-notes, on pourrait dire calepin si cela n'était pas la traduction de
— Notepad, moins d'un kilo, mais ils ne sont pas encore répandus.

En France les trois catégories précédentes (laptops, notebooks, notepads) sont appelés généralement portatifs, par opposition aux portables plus lourds. Mais si vous regardez la définition de portable dans le Robert, c'est indiqué portatif ! donc portable et portatif sont blanc bonnet et bonnet blanc.

Cette classification au poids est toute personnelle, et bien qu'étant discutable, elle a le mérite de la simplicité.

La plupart des portables vendus en 1993 sont maintenant autonomes, avec une autonomie variable de deux heures à quarante heures, suivant le type d'écran et l'utilisation des puces économes en énergie.

Tous ces progrès viennent de la miniaturisation de certains éléments ; un exemple le constructeur américain Seagate va proposer en 1993 un disque dur de 42 Mo, dont la taille est de 5 cm sur 8 cm avec une épaisseur de 1 cm, soit à peine plus grand qu'une boîte d'allumettes, une merveille.

Revenons au PPC Amstrad, ou plutôt aux PPC, car il y en avait quatre modèles différents, avec un ou deux lecteurs de disquettes, avec ou sans Modem. Vous ne savez pas ce qu'est un Modem ? C'est un MOdulateur-DEModulateur ! Vous n'êtes pas plus avancé ? Patience, nous allons y revenir.

Mais c'était le même ordinateur, grosso-modo, décliné en quatre versions comme disaient les gens de la mercatique.

Décrivons d'abord l'engin.

Une boîte oblongue de 50 cm avec une poignée. Couleur grise ou crème selon le modèle. 5,4 kilogrammes sans les piles. Un joli sac gris pour le porter en bandoulière (c'est moins fatigant pour les longs trajets). On ouvre et apparaît l'ordinateur avec le clavier de 102 touches AZERTY. Avec délicatesse, on fait pivoter l'écran pour le mettre en place. écran à cristaux liquides « Supertwist ». Vous avez intérêt à incliner l'écran suivant l'angle adéquat, sinon ce n'est pas très lisible. Et puis il faut être bien en face, sinon on ne voit rien. Les lecteurs de disquettes sont sur le côté de la machine. Il faut une douzaine de piles pour faire tourner la machine, ou un adaptateur pour le courant, à moins que vous n'utilisiez l'adaptateur pour allume-cigare de la voiture. Très chic d'ordiner dans votre voiture avec un PPC ; même s'il n'y a pas beaucoup de gens susceptibles d'utiliser le PPC en voiture, cela permet une photo valorisante dans la brochure publicitaire. évidemment, la voiture est une Jaguar... le charme discret de la bourgeoisie anglaise.

C'est un compatible PC, avec un processeur 8086 comme dans le PC 1512. Les disquettes sont des 3 pouces ½, portabilité oblige. À part ça, il y a un haut-parleur et les extensions habituelles pour brancher des imprimantes et autres babioles. Pas de souris.

Et le prix ? De 4 490 francs pour le PPC 512 à simple disquette jusqu'à 6 490 francs pour le PPC 640 à double lecteur de disquettes et Modem intégré. Le tout hors-taxes. Avec une TVA à 18,6 %, ça fait un peu plus. Mais c'est pas cher. Pour vous donner un élément de comparaison en 1993, le portable le moins cher du marché (hors promotions et liquidations) est à 7 000 francs hors TVA ; le processeur est un 80286. D'accord, il a un disque dur et je suppose que son écran est plus lisible que celui du PPC, mais il n'y a pas de portable PC à l'heure actuelle au prix où était l'Amstrad PPC en 1987.

Et pour vous situer, l'Amstrad PPC était confronté à une vingtaine de machines. Aujourd'hui, le choix est beaucoup plus large : plus de 300 modèles de portables/portatifs sont disponibles en France ! Ça, c'est de l'inflation. Et pour que vous ayez une vision globale de la situation, sachez que le marché des portables en 1987 fut de 17 000 machines.

Le PPC fut donc annoncé le 28 octobre 1987. Annoncé, mais non disponible... Amstrad, pour une fois, présentait une machine bien avant sa commercialisation, prévue pour avril 1988. Bizarre, bizarre... Auparavant, c'était la concurrence, Sinclair, IBM qui annonçaient leurs machines à l'avance pour faire saliver les futurs clients et bloquer les achats des machines concurrentes. Et Alan Sugar ne s'était pas privé de mettre en avant la disponibilité quasi immédiate lors des lancements des CPC, PCW, et autres PC 1512.

La raison en était simple, ou plutôt double bien qu'étant simple. D'une part, le marché des portables était en pleine gestation et Alan Sugar, ne sachant pas trop sur quelles quantités tabler, préférait voir la réaction des distributeurs et des clients avant de lancer la production. Et le développement de la machine n'avait pas exigé le même genre d'investissement que pour les PC 1512 ou 1640. Le PPC était une variante sur les PC 1512 et sur une autre machine, le Sinclair PC 2000, qui n'a jamais vu le jour en France (grâce à Dieu), un PC avec le même clavier que le PPC et beaucoup d'autres éléments communs, un PC destiné aux marchés anglais et espagnols, ces gens étant attachés à la marque Sinclair. Donc Alan Sugar avait une chance au grattage, et une chance au tirage ; le développement coûtait peu cher et ça pouvait rapporter gros. Peut-être pas le tiercé dans l'ordre, mais au moins deux machines placées.

Enfin, raison supplémentaire fondamentale et essentielle, il fallait que le Modem intégré au PPC soit homologué, agréé, accepté par les autorités soi-disant compétentes.

Nous revoilà face au Modem. Essayons d'être clair. Modulateur Démodulateur. C'est un appareil qui peut être dedans l'ordinateur ou dans un boîtier relié à l'ordinateur. Et le Modem est relié aux lignes téléphoniques. Or l'ordinateur est digital, il n'aime que les petits bits, les zéros et les uns ; le téléphone, par contre est analogique, c'est-à-dire qu'il transmet aussi bien vos colères imprécatrices que vos amours susurrées, il s'adapte aux modulations de votre douce voix.

Donc pour échanger des fichiers entre deux ordinateurs par l'intermédiaire d'une ligne téléphonique, il faut moduler les signaux digitaux pour qu'ils puissent être transportés de joie et par la ligne téléphonique et à l'arrivée, il faut les démoduler pour qu'ils redeviennent comme avant. Vous me suivez ? Vous saviez déjà ? Bravo. Il y a donc dans un Modem (ou plutôt sur le Modem, car il se résume à une carte la plupart du temps), plusieurs petites puces capables de faire un numéro de téléphone, de savoir s'il y a une ligne téléphonique, si elle est libre et quand l'ordinateur répond à l'autre bout, de commencer la discussion entre les deux machines.

Mais me direz-vous, si c'est une demoiselle à l'autre bout du fil, que se passe-t-il ? Il se passe que le Modem réagit et se dit, « Zut, c'est une voix humaine, j'ai intérêt à raccrocher. » C'est le petit bruit que vous entendez quand vous vous connectez au Minitel et que vous devez appuyer sur la touche connexion. Car le Minitel n'est autre qu'un Modem plutôt lent (on peut même dire qu'il pédale dans la choucroute à l'émission.) avec un écran pour voir les informations.

C'est beau la science.

Donc le Modem permet à deux ordinateurs de communiquer en utilisant le téléphone. Un ordinateur avec Modem peut donc avantageusement remplacer un Minitel.

Et comme le Modem utilise les lignes téléphoniques, il faut qu'il soit accepté, homologué, on dit agréé. Agréé par la DGT, alias Direction Générale des Télécommunications qui ne s'appelait pas encore France Télécom, par l'intermédiaire du CNET, Centre National d'études de Télécommunications suivant un certain nombre de normes CCITT qui est le Comité Consultatif International Télégraphique et Téléphonique (donc normes internationales) et surtout suivant des normes Franco-Françaises, destinées à prouver que l'industrie française est la meilleure du monde.

C'est vrai.

Fernand Reynaud a rendu un signalé service à la France avec le sketch du 22 à Asnières. Dans les années soixante, le téléphone français n'était pas triste : plusieurs mois (16 mois en 1970) pour avoir une ligne, des centraux téléphoniques désuets. Depuis, suite à une remise en question salutaire et un effort constant, l'industrie des télécommunications est devenue un des fleurons de l'industrie française, et beaucoup de pays nous envient le Minitel, entre autres.

Mais pour faire agréer un Modem (ou un téléphone, ou encore un télécopieur) c'est le parcours du combattant, c'est l'Iliade et l'Odyssée réunies, c'est homérique et hugolien et c'est caïman impossible pour un crocodile étranger.

Théoriquement, l'agrément est destiné à ce que les appareils connectés sur le réseau téléphonique français répondent à certaines normes internationales et françaises, pour éviter les incidents, accidents et pépins de toutes sortes.

Pratiquement, l'agrément permet d'empêcher les Japonais et les jaunes aux yeux bridés d'envahir le marché de la téléphonie française avec des produits bon marché et d'une mauvaise qualité évidente (puisqu'ils sont moins chers que nous). Si en même temps, on empêche aussi les anglo-saxons et les teutons d'envahir le même marché français, c'est tout bénéfice, car, si leurs machines ne sont pas aussi bon marché que celles des asiatiques, elles ne sont pas françaises et ne répondent pas aux normes spécifiquement françaises et (in ?)volontairement obscures concoctées par un des services de la DGT.

Mais ne le répétez pas.

La France est le pays des libertés et on est libre d'homologuer un Modem pourvu qu'il soit conforme aux normes.

Une société française qui fabrique des Modems en France a toute liberté de voir son Modem agréé pourvu qu'il soit conforme aux normes.

Pour les sociétés pas françaises qui ne fabriquent pas en France, la DGT a la liberté totale d'accorder l'agrément uniquement aux appareils qui sont 100 % conformes. Et si par hasard, parmi les centaines d'articles qui définissent les limites des normes, il y en a deux qui sont contradictoires, c'est par hasard que vous ne pouvez pas être conforme à l'un des deux... Et s'il y a des éléments du dossier qui s'égarent, vous ne pouvez pas décemment reprocher à l'administration de manquer d'ordre.

Donc il faut homologuer le Modem du PPC. Il faut l'homologuer en Angleterre, en France, en Espagne, en Allemagne, aux états-Unis, etc, etc, une douzaine de pays, des milliers de formulaires à remplir, la galère.

Mais Amstrad a tout prévu. Dès la fin 1986, j'ai envoyé aux Anglais une copie des normes françaises. Et les ingénieurs d'Amstrad ont fait un Modem modulaire, ou 95 % des pièces sont les mêmes mais où 5 % sont variables suivant le pays de destination.

Et dans chaque pays, nous commençons la course d'obstacles que constitue l'homologation. Dans tous les pays, il y a les obstacles techniques qu'il faut franchir. Ils seront franchis en deux à trois mois pour la plupart.

Mais pour la France, il y a les obstacles politico-administratifs. Théoriquement, il n'y a pas d'obstacles de ce genre en France, la France est un pays de droit et de liberté, de droits et de libertés si vous préférez.

N'étant pas au fait des arcanes de l'homologation en France, nous décidons de nous adresser à un constructeur français de Modem pour qu'il nous aide à modifier les 5 % de l'appareil pour qu'il soit conforme aux normes. Rapidement, nous nous rendrons compte que le logiciel américain est trop difficile à modifier pour le marché français et qu'il vaut mieux vendre le PPC avec un logiciel français. Cocorico. Il faut bien que le PPC puisse être utilisé comme un Minitel. Et les normes Minitel sont françaises, pur sucre de betterave.

Logiciel ? Oui, car, comme il se doit, une machine comme le Modem a besoin d'un logiciel pour le faire tourner ; c'est le carburant : par exemple le logiciel permet d'appeler directement le numéro de l'ordinateur de Mr Dupont ou d'envoyer un fichier à Mr Durand à 3 heures du matin parce que c'est moins cher. La société 3X, qui fournissait déjà des logiciels de communication à des constructeurs comme Toshiba, nous accompagna jusqu'au bout dans l'homologation du modem du PPC.

Il s'avéra rapidement que pour les constructeurs français de Modem français, il n'était pas facile de faire homologuer un Modem fabriqué en Corée.

Fin du premier acte.

Visites à la DGT.

— A-t-on le droit de demander l'homologation d'un Modem fabriqué en Corée ?
— Oui, pourvu qu'il soit conforme aux normes.
— Est-ce donc uniquement un problème technique ?
— Théoriquement, oui.
— ???

Qui ne risque rien, n'a rien. Nous décidons donc de demander de l'aide à un laboratoire indépendant. Par chance, nous trouvons à Villacoublay une société qui conseille des constructeurs comme nous pour les homologations, la Sopéméa.

Le responsable du service, Monsieur l'Haridon, est un ancien du CNET qui connaît toutes les ficelles du métier, et c'est bien utile, car le CNET est le service technique de la DGT qui fait passer les Modems dans la chambre des tortures pour leur faire avouer leurs fautes.

Pendant près de quatre mois, je vais apprendre les circonvolutions et contorsions nécessaires pour faire homologuer un Modem. Des allers-retours avec l'Angleterre pour arriver à comprendre les subtilités des numéros brûlés, de l'intelligence des protocoles en mode V22 bis (asynchrone et synchrone, full duplex), en tout, trois cents pages de description technique et de diagrammes qui prouvent que le Modem du PPC est bien conforme aux mil nonante sept normes CCITT modifiées DGT.

Dans le même temps, Marion Vannier fait intervenir ses relations en haut lieu et un conseiller spécial du ministre de l'industrie nous reçoit pour nous préciser les arcanes de la politique des télécommunications. Comme la cohabitation touche à sa fin, nous nous demandons si les changements politiques peuvent avoir une influence dans ce domaine.

Théoriquement, non, seule la technique décide !

Justement, au mois de juin, le Modem passe ses examens chez l'inquisiteur en chef du CNET. Je suis obligé de faire un aller-retour à Londres pour modifier un octet dans une puce et enfin, le Modem est accepté techniquement.

Pendant l'été, je suis informé que des tests sur les radiations électromagnétiques doivent être effectués. Vous savez, la norme 98010 du CAIPT qui, de facultative, est devenue obligatoire en mai 88 ! Ah bon. J'interromps mes vacances pour aller faire passer ce test en quatrième vitesse.

Et le 8 septembre 88, le PPC 640 avec Modem est agréé sous le numéro 88415D, la commission s'étant réunie juste au retour des vacances.

était-ce l'euphorie des vacances, les changements ministériels ?

Toujours est-il que je peux dire maintenant « faire homologuer un Modem en France, mais c'est l'enfance de l'art ! »

Conclusion en forme d'interrogation. En 1989, je suis retourné à la DGT pour m'enquérir des formalités à accomplir pour faire homologuer le télécopieur Amstrad en préparation.

« On » m'a clairement fait comprendre que l'homologation du Modem Amstrad était un accident heureux et que pour les télécopieurs Amstrad, il valait mieux ne pas se fatiguer à présenter un dossier.

— Mais pourtant, il est fabriqué en Irlande, donc dans le marché commun !
— C'est une question de politique industrielle qui vous dépasse...

Depuis, la DGT est devenue France Télécom, entreprise autonome de droit public.

Aujourd'hui, j'ai entendu une publicité de France Télécom pour le télécopieur Agonis. 2 500 francs hors taxes. À ce prix-là, leur télécopieur n'aurait-il pas un peu les yeux bridés ?

Je suis certainement mauvaise langue.

Il m'est néanmoins agréable de préciser que le télécopieur Agonis 50 est agréé (no 91163F d'avril 92.)

Nos deux petits longs portables sont donc homologués (les deux PPC 640) et nous allons pouvoir les vendre en 1988, quatre mois après avoir commencé à vendre les PPC 512 sans modem. Durant l'année 1988, nous allons en vendre 10 038 sur le marché français... alors...

Alors, c'est beaucoup ou pas beaucoup ? C'est selon ; c'est beaucoup par rapport au marché de dix-sept mille portables de l'année 1987 ; c'est peu par rapport aux espoirs d'Alan Sugar, car les ventes en Angleterre ne seront que marginalement plus importantes qu'en France.

Pour moi, il y a un coupable évident, ce pelé, ce galeux à couleur d'herbe tendre, j'ai nommé l'écran vert supertwist à cristaux liquides : trop petit, il n'était pas rétro-éclairé (les écrans rétro-éclairés ont une plaque de diffusion de lumière supplémentaire). Ce choix était dicté par les problèmes de consommation électrique, l'autonomie avec éclairage aurait été ridicule, vu qu'elle était à peine correcte en l'absence d'éclairage. En outre, à cette époque, les constructeurs de microprocesseurs ne proposaient pas de produits spécifiques pour les portables. Je note que même aujourd'hui, en 1993, la totalité des micros portables possèdent une prise de branchement sur un écran cathodique, preuve que les écrans plats ne sont pas encore entièrement satisfaisants.

Une autre raison de cet échec relatif était l'impossibilité de monter un disque dur d'une manière élégante. Il y avait bien une interface spécifique conçue à l'origine pour pouvoir ajouter ledit disque dur, mais il aurait fallu du temps pour se pencher sur ce problème, et les équipes de développement d'Amstrad avaient d'autres crocodiles à fouetter. Nous commercialiserons en France pendant un temps très bref des machines à disque dur, conçues en Allemagne et montées en France : le cauchemar, vu que les protagonistes étaient ce que j'appelle des bidouilleurs, géniaux, peut-être, mais pas équipés dans le domaine de la production et de la finance : montage dans l'arrière-boutique d'un revendeur, livraisons au compte-gouttes parce que le fournisseur allemand n'avait pas les moyens d'acheter plus de cinquante disques durs à la fois... vous voyez le topo...

De toute façon, même avec un modèle avec disque dur, il aurait fallu un écran de bien meilleure facture pour pouvoir faire le carton espéré, et la technologie de 1987 n'était pas encore mûre pour des portables autonomes, avec un écran acceptable, à un prix économique : encore eût-il fallu que nous le sussions. La gamberge technologique a des points communs avec la météorologie et l'astrologie.

Les PPC ne feront donc pas de vieux os sur le catalogue Amstrad.

Le 9 novembre 1987, Li Xian Hian devient président de la république populaire de Chine, mais je suis certain que la plupart d'entre vous avaient noté cet événement historique et mémorable.

Pour parler d'un événement encore plus mémorable, du 6 au 9 novembre, Amstrad expose ses avantages à la porte de Versailles.

Et rajoutez-moi une exposition

Pour motiver les revendeurs et préparer les ventes mirifiques de fin d'année, rien de tel qu'une petite expo au mois de novembre. Je vous livre sa description extraite d'un article (en italique) publié dans un journal partisan de décembre 1987 (Amstrad News), avec en retrait et en caractères normaux, mes commentaires de réactualisation : cinq ans après, il est facile de gloser. Glosons donc !

AMSTRAD EXPO
Au cours de quatre journées bien remplies, du 4 au 9 novembre à la Porte de Versailles, Amstrad Expo a marqué une nouvelle étape dans l'histoire d'Amstrad France et a surpris les observateurs les plus blasés.

Tout d'abord des chiffres qui en disent long sur le succès Amstrad Expo : plus de 35 000 visiteurs (une augmentation de 60 % par rapport à l'année précédente) ont pu parcourir les stands de 110 exposants répartis sur 2 541 mètres carrés, alors que la surface totale représentait 6 200 mètres carrés. Le chiffre d'affaires des revendeurs a connu une progression de 50 % par rapport à celui réalisée l'année dernière. Et surtout, signe significatif, certains exposants pensaient déjà à doubler la surface de leur stand l'an prochain !

Tout de suite la dithyrambe ! Doucement les basses... c'était une expo dans le genre plus ça change et plus c'est pareil.

Faut toujours faire mousser. Vu qu'il y avait plus de 30 000 visiteurs (31 000 ?), il fallait arrondir. Alors 35 000 fait plus rond que 31 000...

N'exagérons pas : pour faire venir les exposants, il fallait ramer.

Le stand Amstrad occupait comme il se doit la position centrale et les trois zones distinctes (zone PC, zone PCW, zone HI-FI et familiale) mettaient chacune en valeur les nouveautés notamment PC 1640, les PCW 9512 à marguerite et les magnétoscopes permettaient aux visiteurs d'obtenir les informations et les conseils qu'ils étaient venus chercher. En tout, plus de 60 appareils étaient en démonstration sur notre stand et il y eut même quelques revendeurs chanceux qui purent approcher le nouveau PPC 640 à l'intérieur du stand Amstrad au cours de la journée de lundi...

C'est vrai, beaucoup de visiteurs ont râlé car ils ne pouvaient pas voir le nouveau portable.

Il y avait aussi une borne 36-15 Minitel pour montrer une sélection de 600 pages du serveur Amstrad, qui rencontra un succès grandissant pendant la durée de l'expo. Samedi 7, le serveur dépassait le millier d'appels, malgré sa dimension (160 portes d'accès), il sautait le dimanche 8, nécessitant une maintenance immédiate et réussie. Ce serveur a d'ailleurs dépassé les 2 000 appels journaliers et représenté un atout important pour l'assistance et la communication.

Ce qui n'est pas dit, c'est qu'on avait fait pas mal de pages de pub pour lancer le serveur :

36 15 code Amstrad...

Revenons à notre expo : les éditeurs de logiciels ludiques étaient venus en force et leur stands imposants et animés ne se désemplirent pas : US Gold et Loriciels rivalisèrent en hauteur en deux points opposés de l'expo. Le stand imposant de US Gold montrait OUT RUN, la nouvelle simulation de conduite automobile qui fait des ravages comme nouveau jeu d'arcade. Deux machines de simulation, un concours permanent, un succès certain faisait seulement regretter à Albert Loridan de n'avoir pas vu plus grand.

Quant à Laurent Weil et Marc Bayle, ils jouaient aux châtelains du haut de leur tour imprenable. Mach 3 démarre fort et montrait une sonorisation impressionnante, et Quad de Microïds était représenté en grandeur réelle. Les fanatiques des jeux d'arcade en essayaient toutes les nouveautés.

Microprose montrait ses nouvelles simulations qui marchent fort sur PC (GUNSHIP notamment) et annonçait l'arrivée attendue des pirates sur CPC...

La galaxie FIL rassemblait plusieurs éditeurs tous anxieux de profiter du boom des fêtes de fin d'année et d'étendre leur marché professionnel. Infogrammes côtoyait Cobra Soft, ère annonçait l'Ange de Cristal.

La galaxie FIL (France Image Logiciel) va bientôt se casser magistralement la figure. Ayant démarré grâce à la vente de logiciels pour Thomson, FIL s'est diversifiée tous azimuts. Rachetée par la Camif, FIL allait couler avec un passif de plusieurs millions de francs. La Camif a apprécié... les mégalomanes du logiciel.

Les adaptations des bandes dessinées était en vedette sur le stand Coktel Vision, Lucky Luke côtoyant Blueberry, tandis qu'Asterix s'envolait déjà chez Rahazade.

Ubi Soft menaçait de crouler sous les nouveautés et regrettait de n'avoir pas vu plus grand...

Euphémisme dans le cas d'Ubi Soft : bien qu'un des éditeurs-distributeurs les plus importants, leur stand était du genre minable... leur argumentation étant qu'ils préféraient mettre des millions en pub quadrichromie dans les journaux ludiques... Bof.

En résumé, les nouveautés du jeu d'arcade et d'aventure montraient pourquoi la gamme CPC est et restera le leader des ordinateurs familiaux : une base installée très large, un environnement logiciel qui fourmille et se renouvelle sans cesse.

À noter que le bruit et la fureur venaient du secteur ludique et familial, alors que les secteurs plus sérieux PC et PCW avaient une ambiance plus calme.

Le dilemme ira croissant : comment concilier le côté ludique, florissant, très rentable et jeune qui avait fait le succès d'Amstrad et le côté professionnel plus compassé des PC qui était l'avenir d'Amstrad ?

Une des vedettes attendues de ce salon fut sans conteste le PCW 9512 à marguerite et les démonstrations n'ont pas cessé au cours du salon ; Altitude XXI a ainsi formé pendant les quatre jours du salon près de 500 personnes aux joies de la Marguerite dans leur stand spécialement équipé.

Mais ce qui a probablement le plus étonné les analystes et observateurs attentifs, c'est le visage professionnel d'Amstrad Expo : la qualité des stands, le sérieux de l'organisation et la variété des exposants ont montré qu'Amstrad rentrait en force dans les entreprises et refusait de se laisser enfermer dans des catégories préétablies. Et les grands éditeurs de logiciels professionnels ne s'y sont pas trompés. Borland montrait SPRINT et sa gamme de langages, la Commande électronique profitait de la notoriété des produits Ashton Tate, à savoir Dbase II, III ainsi que Framework, Microsoft pouvait mesurer le succès de sa gamme junior et nouer des contacts intéressants.

Emphase naturelle et méthode Coué, et si les grands éditeurs ne s'y sont pas trompés, c'est que nous avons utilisé les moyens les plus retors : promesses, chantages, cajoleries, le grand jeu...

Segiciel montrait l'impressionnante gamme BOEING CALC. Priam et Loriciels montraient leur gamme Evolution et le nouveau tableur TWIN.

Un des domaines où la compétition et la variété étaient les plus remarquables était la gestion et la comptabilité. Beaucoup de produits de qualité, nouveaux ou éprouvés, se disputaient les honneurs de la Une.

Les logiciels du JAGUAR avaient choisi la jungle pour montrer ROBOT-COMPTA et son interface innovatrice. L'Onde Maritime présentait NATH COMPTA, Logycis défendait les couleurs de l'Aquitaine avec ALIENOR tandis que Côte Ouest présentait BILAN PLUS. Informatique Appliquée montrait une gamme étendue tandis que PS Soft montrait son nouveau LOOCK SPID, Logys, et d'autres stands comme Gepsi, Satelit présentait des produits de gestion spécifiques tandis que Winner Software lançait la gamme junior avec ORDICOMPTA et ORDIFACTURE junior (en fait la comptabilité était en évidence sur près de la moitié des stands).

Encore du pipeau ! les logiciels de comptabilité mériteraient à eux seuls un chapitre croquignolet. Pour résumer rapidement :

  1. Tout revendeur se dit un jour qu'il peut faire mieux que les autres et que ça peut lui rapporter.
  2. Il n'y a pas trente-six manières de faire un logiciel de compta ; ce qui compte, c'est la facilité d'utilisation, avoir un minimum de bogues et assurer le service après-vente, conseil et assistance. Accessoirement, s'il y a une fonction spéciale pour truander le fisc (non documentée, uniquement communiquée de façon verbale), c'est le bonheur.

Il y a eu des centaines de logiciels de compta. Beaucoup se sont brûlés les doigts ; enfin, c'est un raccourci : beaucoup de sociétés qui ont cru comme Perrette que le bon lait logiciel des comptabilités allait leur permettre de mettre dans leur étable une vache et son veau se sont retrouvés Gros-Jean comme devant.

Mais, comme disait le poète : Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ?

La PAO (publication assistée par ordinateur) a le vent en poupe : outre Ventura Publisher, présentée sur le stand Amstrad et par ACT, Timeworks disputait la vedette au nouveau produit de Digital Research, Gem Desktop Publishing. Une conférence, magistralement présenté par Lionel PALANT le lundi après-midi, essaya de faire le tour de la question et démontra les possibilités du PC 1640 dans ce domaine. Ce journal en est d'ailleurs la preuve évidente : la révolution dans le domaine des journaux d'entreprises et d'association est en marche. N'oublions pas la gamme PCW qui a son mot à dire dans ce domaine : Power Products présentait un produit bien adapté à cette machine et confortera sa position dans un créneau bien compétitif.

La place manque pour décrire en détail toutes les nouveautés et les stands présents à Amstrad Expo. Les nouveaux produits et les succès confirmés se côtoyaient sur tous les stands et une journée n'aurait pas suffi pour en faire le tour.

La communication, tant sur le plan matériel avec un foisonnement de cartes et d'extensions, que sur le plan logiciel avec une variété et une qualité remarquable de logiciels de communication, fut à l'évidence le domaine promis à un avenir plus prometteur ; nous n'en voulons pour preuve que l'arrivée d'Amstrad sur le marché des portables équipés de modem en standard. Une belle bagarre en perspective. Les stands les plus en vue étaient bien répartis sur l'ensemble de l'expo, avec MERCI, ses réseaux et Mercitel, la COMMANDE éLECTRONIQUE et ses cartes et produits de la gamme LCE-câble et LCE-tel, ENTER et ses produits CPC, MINIPUCE et ses serveurs SOFTIN communications, etc, etc...

D'autres secteurs de l'activité informatique étaient présents.

Les logiciels éducatifs, avec notamment CEDIC NATHAN, et HATIER qui présentait en particulier sur son stand un logiciel d'enseignement assisté par ordinateur d'aspect intéressant appelé STÉRéOCHIMIE ; il permet de représenter en trois dimensions toutes sortes d'atomes et de molécules, avec rotation dans l'espace et représentation scientifique des liaisons. À noter aussi sur le stand BORLAND, le logiciel « EURÊKA ! » indispensable aux mathématiciens et autres scientifiques, pour la résolution des équations en tout genre, de la plus simple aux plus compliquées.

L'édition est un domaine qui permet de juger de la pérennité d'un matériel et sur ce plan toutes les machines Amstrad possèdent une bibliothèque foisonnante et variée.

Micro-Application, dont les produits Calcomat et Superbase ont été choisis pour réaliser l'Intégrale PC avec Evolution de PRIAM, présentait une bibliothèque impressionnante. À côté des best-sellers comme trucs et astuces, on trouvait les nouveautés de la collection SOS.

Beaucoup de nouveautés chez SYBEX également et la présence des éditions Eyrolles fut remarquée.

Disons qu'au cours de cette expo, les visiteurs ont pu trouver facilement les titres qui manquaient à leur collection, car tout ce qui se publie sur Amstrad (ou presque) était disponible.

Le reste de l'article est à l'avenant : faire plaisir aux exposants les plus importants en mentionnant leurs produits.

Le genre de truc que personne ne lit, sauf les exposants pour vérifier que leur nom est cité ou râlent parce qu'il n'est pas cité.

Cela ressemble fort à la plupart des journaux informatiques d'aujourd'hui, d'infâmes catalogues où la partie rédactionnelle proprement dite en est réduite à la copie conforme des documents publicitaires.

Une exception, Micro-Application qui avait vraiment une bibliothèque impressionnante pour les matériels Amstrad et s'était toujours décarcassé pour proposer des produits originaux.

Et alors la conclusion ? Où elle était la conclusion ? Ils auraient pu finir par : en bref, une expo comme on aimerait en voir plus souvent ! Ou encore, l'expo Amstrad, une exposition exponentiellement explicite et explicative, un exploit exprimant l'exquise extase exténuante de l'extériorisation extirpée d'un extraordinaire exutoire à l'extravagante exubérance de l'explosion d'Amstrad.

Excellent, car cette expression résiste à l'examen et à l'exégèse exaspérés d'un ex-informaticien exacerbé.

Quatre, cinq, six, cueillir des cerises

Chose promise, chose due. Je reviens sur la comptabilité. À ne pas confondre avec la compatibilité. Je veux parler des logiciels de comptabilité sur les ordinateurs compatibles, vous me saisissez.

Un logiciel de comptabilité sert à faire les comptes (tiens donc, en voilà un bon truisme !), à la place ou en complément d'un comptable. C'est donc un logiciel indispensable aux artisans, commerçants, professions libérales, PME, bref toutes les petites boîtes de dix salariés et moins, il paraît même qu'il y en a des millions dans notre douce France. Or doncques, c'est souvent la motivation première de l'achat d'un ordinateur dans une petite entreprise : on achète le couple d'ordinateur/logiciel de comptabilité pour se faciliter l'existence, souvent sur les conseils du comptable ou de l'expert-comptable qui vient vérifier vos comptes tous les 36 du mois.

Les revendeurs micro-informatiques ont vite senti là une espèce de poule aux œufs d'or ; d'autant plus qu'aux alentours de 1985, un logiciel de comptabilité se vendait 10 000 francs et plus.

J'ai retrouvé dans mes archives l'enregistrement d'une conversation pleine d'enseignements.

La scène se déroule dans une boutique micro-informatique du seizième (le siècle ou l'arrondissement, au choix).

Le client

Holà, manant, il faut que vous me bailliez
Pour achats et dépenses, une comptabilité.
Il me faut, en effet, soustraire au percepteur
Tout cet argent gagné au prix de mille sueurs

Le vendeur, conquérant

Nous avons pour vous plaire, des compta par milliers
Pas besoin de chercher, c'est la félicité.
Nous avons tout, bilans, journaux, prévisions
Avec maints et maintes réconciliations.

Le client, inquiet

Halte-là, car je n'y entends pas grand-chose
Et les brouillards de saisie méritent une pause.

Le vendeur, euphorique

Il est pourtant simple d'y entrer vos factures
Avant que de penser à la fermeture.
Nul besoin d'habiller votre liasse fiscale
Pour vous retrouver en milieu commercial.

Le client, méfiant

Il me faut, pour suivre mes deux représentants
Contrôler devis, commissions et virements.

Le revendeur, condescendant

Nous avons pour compter, sûrement un bon plan
Qui saura à coup sûr, ventiler règlements,
Calculer les encours, augmenter les marges,
Pour que vos écritures, tout en comptant large,
Vous laissent assurément, un joli bénéfice
Qui, vous contentant, satisfasse le Fisc.

(je sais, je sais, cette rime n'est pas aussi riche que le sujet l'impose, mais entre argent et poésie, il n'y a pas que des roses)

Le client, dubitatif

J'entends votre discours, mais cet investissement
Me permettra-t-il, après amortissement
En quittant les comptes, sans hésitation
De faire immédiatement de la prévision.

Le vendeur, rassurant

Mais pour sûr, si nous savons compter,
Prévoir est le comble de la facilité
Situation financière, avecque la synthèse,
Budgétisation, électrophorèse,
Immobilisation, tarifs dérogatoires,
Dégressifs, montants compensatoires.
Encours, paramétrage, ventilation
Prospection, lettrage, simulation.
Tout, tout, vous saurez tout sur la compta,
Jusques et y compris les taux de TVA.

Vous l'avez deviné, cette petite saynète était destinée à vous familiariser avec la terminologie, la sémantique et la sémiologie de la langue des comptables.

Car un logiciel de comptabilité, c'est bête comme chou : d'une part, il faut respecter des normes comptables, fiscales et administratives ; d'autre part, c'est avant tout une manipulation de chiffres, et depuis l'invention de la comptabilité à partie double par un banquier vénitien au Xe siècle, c'est une science qui a moins tendance à évoluer que les cours de la Bourse.

Un sou est un sou, et l'actif est toujours égal au passif par définition. Donc le sujet idéal pour un ordinateur, pourvu que le logiciel soit honnête.

Honnête dans le sens correct.

Il est relativement facile d'écrire un logiciel de comptabilité ; il est déjà plus difficile d'en écrire un qui soit accessible aux Béotiens. Les seuls problèmes, avec un logiciel de comptabilité sur un compatible PC sont les problèmes de vente et d'après vente.

Toute cette introduction pour expliquer et justifier pourquoi beaucoup de revendeurs, d'éditeurs de logiciels, et des constructeurs, y compris et surtout Amstrad se sont plantés dans la distribution de logiciels de comptabilité.

Le revendeur se disait, en étudiant les logiciels du marché : « Mais je peux faire mieux, il manque ce bidule par ci et ce bidule par là, moi j'aurais présenté le journal des ventes d'une autre manière, et puis je suis plus près du client, quand il aura un problème, je pourrai mieux l'aider... »

L'éditeur se disait : « Pour vendre un logiciel de comptabilité, il faut se rapprocher des comptables, leur faire vendre notre logiciel, et assumer un service national que le revendeur ne peut assumer. »

Le constructeur se disait : « Si un logiciel de compta coûte aussi cher qu'un ordinateur, peut-être que l'on peut y faire son beurre. »

Tous, ils avaient tout faux.

Nous d'abord.

Amstrad n'a jamais su vendre des logiciels. De temps en temps, nous avons vendu de bons logiciels avec les ordinateurs. Presque jamais des logiciels tout seuls. Ce n'était pas notre métier.

L'histoire des logiciels de comptabilité vendus par Amstrad est donc significative. Remarque importante : pour ne plus alourdir ce texte plus avant, logiciel de comptabilité sera raccourci en compta, considéré comme un mot invariable. Nous n'avons pas vendu de compta pour CPC 464, Dieu merci... pourtant, il y en avait ! Vous imaginez, un ordinateur à cassettes avec une compta ? Nous avons osé vendre un budget familial sur cassette, mais ce fut une erreur, une de plus. Il y a eu des compta sur CPC 6128, ce qui, vu le lecteur de disquettes et la fourniture gratuite du système CP/M, pouvait se justifier, surtout en Angleterre ; en France ces logiciels se sont vite reportés sur le PCW 8256, lancé en même temps que le CPC 6128, et considéré comme l'ordinateur des artisans et commerçants.

Avec le PCW, Amstrad avait donné un bon outil aux petites boîtes qui voulaient se lancer dans la commercialisation des compta ; sur la douzaine qui se sont lancés sur le marché des compta d'une manière sérieuse, une petite moitié existe encore aujourd'hui, ce qui n'est pas mince. Parmi celles-ci, une petite société girondine, Logicys. Son patron, Monsieur Mestari, était venu me voir à Sèvres en novembre 1984 pour me proposer un logiciel de gestion de projet sur CPC 464 ; le logiciel était valable mais la machine était trop limitée ; Logicys évolua entre-temps et à la sortie du PCW, nous proposa un logiciel de compta qui tenait la route. Tellement bien la route que je suis obligé de me contredire : il y a un logiciel de comptabilité que nous avons bien vendu et que Logicys a bien vendu de son côté. Aliénor, puisque tel était le nom de ce logiciel (normal pour des gens d'Aquitaine), fut le seul logiciel de compta bien vendu pour un Amstrad. Près de cinq mille exemplaires vendus directement par Amstrad, sans compter les ventes directes de Logicys. Et en 1988 nous ferons un « bundle », un « best of », un florilège ou morceau d'anthologie pour parler français, avec un tableur, une gestion de fichier et Aliénor, que nous intitulerons l'Intégrale PCW, vendu avec toutes les machines PCW : plus de dix mille compta Aliénor partiront ainsi dans la nature ; mais il est évident que le bénéfice financier était nul pour Amstrad.

Amstrad distribua aussi un logiciel de gestion de caisse pour le PCW, Opticaisse, conçu par une société de Quimper. Ce fut un fiasco, le concepteur, qui était distributeur IBM et revendeur Amstrad, ayant bu le bouillon peu de temps après. Ceci aurait dû nous servir de leçon...

Leçon mercatique : il faut favoriser au maximum la création de logiciels sur une machine, mais ne les distribuer que si leur présence au catalogue ne gêne pas les revendeurs et éditeurs de logiciels. À chacun son métier. La liste des logiciels pour PCW, mentionnant les produits développés et l'adresse de leurs distributeurs était amplement suffisante.

Nous nous étions mis dans la tête de distribuer des compta pour le PC 1512, histoire de montrer que ce type de logiciel pouvait être vendu à des prix décents. Dans un premier temps, nous vendîmes des produits Saari, bien connus sur le marché ; mais comme nous vendions ce produit trois fois moins cher que Saari, cette société était obligée de prétendre que le produit qu'elle nous fournissait était un produit mineur, dépassé : la preuve, le produit vendu aux autres s'appelait Saari Major ; et quand un client ayant acheté notre produit téléphonait à Saari pour avoir de l'aide, c'est tout juste si on ne lui répondait pas : « Au prix où vous l'avez payé, vous voudriez en plus qu'on vous aide ? »

Nous avons aussi mis à notre catalogue une compta qui pouvait être vendue à moins de mille francs, qui eut un succès très mitigé ; c'était trop tôt, et les produits étaient encore trop primaires ; aujourd'hui, on trouve des compta de bonne facture pour moins de mille francs.

Suite à ces plantages qui n'étaient que des demi-échecs, il fut décidé de frapper un grand coup : Amstrad Expo, voir plus haut, avait vu l'apparition d'une compta faramineuse sur le stand Jaguar ; elle avait pour nom Robot-Compta, et elle était présentée comme une approche révolutionnaire, destinée aux utilisateurs qui ne connaissaient pas la comptabilité : le rêve ! Le décor du stand Jaguar était à lui-même un endroit de rêve, la jungle, toi Jane, moi Tarzan, des lianes partout... tout le monde chez Amstrad a craqué ; l'accent des concepteurs qui venaient de la côte d'Azor, la nouveauté de la présentation du produit, le bagout du patron, tout y était ; aujourd'hui encore, je suis partagé entre l'admiration, le doute et la certitude :

— L'admiration devant le montage de l'approche pour attirer les gens d'Amstrad ; vous vous rappelez, Henry Gondorff et Johnny Hooker et leur coup de maître ? Ça ne vous dit rien ? Si je vous dis Paul Newman et Robert Redford, c'est sûr que vous revoyez L'Arnaque et entendez la musique de Scott Joplin...
— Le doute quant à la valeur du produit ; certains éléments n'étaient que des modules de compta sous forme élémentaire, la présentation étant, pour un béotien comme moi, attrayante. La suspicion lorsqu'ils ont insisté pour ne pas fournir un manuel imprimé (même s'il y avait les instructions sur disquette, un manuel coûte moins de 30 francs à produire dans les quantités commandées, 5 000 exemplaires). L'étonnement devant le système de protection faisant intervenir une communication téléphonique.
— La certitude de s'être fait entuber dans les grandes largeurs : nous n'aurions jamais dû persister dans la vente de comptabilités ; vu les services et assistance après-vente inhérents à la nature de tels produits, ou bien les logiciels du Jaguar avaient la bonne structure et, dans ce cas, ils auraient pu percer sans notre aide, ou bien ils cherchaient à profiter d'un tremplin.

Conclusion

Nos gentils revendeurs nous ont dit : « Croyez-vous vraiment que nous vous ayons attendus des années pour distribuer une compta qui tienne la route ? »

Certains revendeurs moins gentils nous ont dit : « Votre compta Jaguar, vous pouvez vous la mettre où je pense ! D'ailleurs, l'autre, c'est un escroc... »

Dernière catégorie de revendeur : « Moi, monsieur j'ai conçu une compta bien supérieure à la Jaguar que je vends très bien ; d'ailleurs, je peux vous faire des propositions beaucoup plus intéressantes que lui... si vous m'aviez écouté... »

Vous voulez un dessin ?

Nous avons essayé de croire que le nom d'Amstrad pouvait valoriser un logiciel de comptabilité. Nous avons fait une campagne de publicité avec la compta Jaguar pour vendre des PC 1640 déjà vendus... LE BON PLAN COMPTABLE, oui, sauf pour Amstrad. Je ne sais plus si les comptas non vendues ont été renvoyées, données, ou mises au pilon.

NE ME PARLEZ PLUS JAMAIS DE COMPTA, AVEC ou SANS robot, AVEC ou SANS réconciliation : je vous ai déjà dit que je détestais les histoires d'argent. Quoique...

Pour les comptables en millions de dollars je signale un fait mémorable : le 11 novembre 1987, les Tournesols de Vincent Van Gogh sont vendus (et donc achetés) pour la modique somme de 320 millions de Francs. Ce qui pose un problème avec un certain nombre de compta : comme ce montant s'écrit 320 000 000,00, il y a souvent un problème de place, car il est rare de rencontrer des factures de ce montant, en France ; au Brésil, le problème est connu car il faut des milliers de cruzeiros pour s'acheter un carambar. Avec ce pactole, l'éducation Nationale aurait pu acheter 70 000 PC Amstrad... elle a préféré acheter trois fois moins de Victor, Olivetti et Léanord. Blague à part 320 millions, cela fait cher du pixel, ou plutôt du coup de pinceau. Je crois que c'est un Japonais qui a pu se l'offrir, signe des temps, probablement...

Le 30 décembre, le Soviétique Romanenko (j'allais dire le Russe, mais on ne sait plus maintenant, c'était peut-être un Ouzbeck), retrouve la terre ferme après 326 jours en orbite.

Et le 31 décembre, Amstrad France fait ses comptes sur son boulier : depuis le premier juillet nous avons vendu cent cinquante trois mille neuf cent trente sept ordinateurs (ça vous impressionne beaucoup plus que 153 937 ordinateurs... ?), dont 47 123 PC, avec, en prime, 29 538 imprimantes qui n'étaient pas toutes en prime !

Fin de l'année 1987.

★ EDITEUR: QWERTY
★ AUTEUR: François QUENTIN

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L'Amstrad CPC est une machine 8 bits à base d'un Z80 à 4MHz. Le premier de la gamme fut le CPC 464 en 1984, équipé d'un lecteur de cassettes intégré il se plaçait en concurrent  du Commodore C64 beaucoup plus compliqué à utiliser et plus cher. Ce fut un réel succès et sorti cette même années le CPC 664 équipé d'un lecteur de disquettes trois pouces intégré. Sa vie fut de courte durée puisqu'en 1985 il fut remplacé par le CPC 6128 qui était plus compact, plus soigné et surtout qui avait 128Ko de RAM au lieu de 64Ko.