PEOPLESCES ORDINATEURS SONT DANGEREUX ★ CHAPITRE VIII ★

Ces Ordinateurs Sont Dangereux: L'aventure Amstrad - Chapitre 08

HAPPY BIRTHDAY TO YOU
où le lecteur découvre le comment du pourquoi à moins que ce ne soit le pourquoi du comment

1er janvier 1988

Amstrad a vingt ans. Amstrad n'arrête pas d'avoir vingt ans alors qu'il n'a pas encore vingt ans. Car le logo « (1968-1988, vingtième anniversaire) » a commencé à circuler en novembre 87, un an avant l'anniversaire réel ; bof, après tout, les gens bien intentionnés souhaitent l'anniversaire la veille...
1988 est à marquer d'une pierre blanche pour Amstrad. Ou noire. Ou grise. Enfin, c'est selon. Pendant et avant l'année 88, c'était du genre irréel, du genre Amstrad David contre Goliath IBM. Après...
Début 88 Amstrad se réorganise. Amstrad Angleterre rachète en Espagne Indescomp qui devient Amstrad España. Dans la foulée, Amstrad crée une filiale en Belgique qui s'appelle Amstrad Belgique (quelle surprise !), en Australie la filiale s'appelle Amstrad Pty limited, en Italie c'est Amstrad spA, en Hollande, c'est Amstrad B.V.
En Allemagne c'est Amstrad GmBH. Mais ce fut compliqué. Pour ceux qui n'ont pas perdu le fil de la lecture, Amstrad distribuait ses produits en Allemagne par l'intermédiaire de la société Schneider (aucun lien avec le Schneider français), et quand les petits Allemands achetaient un Amstrad CPC 464, ce n'était pas un Amstrad, c'était un Schneider CPC 464. Donc Amstrad était quasiment inconnu en Allemagne, d'autant plus que Schneider laissait croire que les produits étaient conçus en Allemagne par Schneider...
En 86/87, Alan Sugar se rend compte que le PCW 8256 ne se vend pas bien en Allemagne, qu'il gagne trois fois plus d'argent avec sa filiale française qu'avec son distributeur allemand alors que le chiffre d'affaires est identique ; dans le même temps, les frères Schneider se disent qu'après tout, ils sont aussi bons qu'Alan Sugar et que les ordinateurs, ils pourraient les concevoir et les fabriquer eux-mêmes.
Séparation plus ou moins à l'amiable, mais Alan Sugar commet l'erreur de ne pas vouloir racheter le stock invendu des frères Schneider. Le fait est que pendant un an, Amstrad ne peut vendre certains types d'ordinateurs vu que Schneider brade ses stocks et fait pression sur son réseau de revendeurs, ce qui est de bonne guerre.
Donc la consolidation en Allemagne qui passait par la création ex nihilo d'une filiale, tout en ayant à lutter contre un ex-distributeur bien implanté, ne pouvait qu'être problématique : qu'Amstrad ait réussi en douze mois dans ces conditions difficiles à atteindre un chiffre d'affaires équivalent à 300 millions de francs était une performance ; mais c'était loin des 900 millions atteints par Schneider l'année précédente avec les produits Amstrad.
Ce sont les aléas des consolidations.
En France, ça baigne : Amstrad France est la filiale chérie, la fille aînée de l'église Amstrad. Ça glisse donc, c'est tout schuss ; justement, le 20 février, les Français peuvent entonner leur cocorico. 20 ans après Jean Claude Killy, Frank Piccard remporte une médaille d'or aux Jeux Olympiques d'hiver qui se tiennent à Calgary.
Vingt ans après, vous dites ? Amstrad aurait pu le sponsoriser... quel mot horrible, je devrais dire : Amstrad aurait pu jouer les mécènes...

Les gens d'Amstrad France (et d'ailleurs) sont impatients ; ils attendent le portable PPC, ils attendent encore plus les AT 286 et 386 qui ne peuvent manquer d'arriver... tout le monde les réclame... mais quand allez-vous donc sortir un AT ?

Il y a un Forum PC où les visiteurs peuvent toucher le portable PPC, toucher le clavier, mais ils ont plus de mal à voir l'écran. Vous savez, avec les écrans LCD (liquid cristal display), c'est déjà pas du gâteau pour les déchiffrer quand vous êtes en face avec un angle d'inclinaison de 57° par rapport à l'écliptique de la déclinaison solaire, alors vous imaginez ce qu'on peut y voir de côté, dans un salon informatique, quand il y a une douzaine de personnes agglutinées devant l'appareil pour une non-démonstration destinée à un seul visiteur.

C'était en février 88. J'ai oublié le lieu, j'ai oublié la date exacte, j'ai la flemme de rechercher dans mes archives ; car je ne me rappelle que deux remarques/questions répétées plus de mille fois :

  1. L'écran de votre PPC, il est pas extra..., pourquoi ?
  2. Quand vous le sortez, votre AT ?

Et je me souviens de mes réponses mille fois répétées...

  1. C'est vrai que l'écran du Toshiba à plasma est mieux, mais vous savez, il coûte dix fois plus cher.
  2. AT ? Qu'est-ce que c'est ? Connais pas !

C'est peut-être ce qu'il y a de plus tuant dans les expositions, c'est d'être obligé de répondre des milliers de fois à des questions toujours identiques.
Peut-être aurait-il fallu afficher deux grands panneaux à chaque coin du stand Amstrad :

— L'écran du portable PPC est un écran à affichage digital de cristaux liquides. Par conséquent, il n'est pas aussi beau à regarder qu'un tube cathodique ; même un écran à plasma est plus lisible.
— Amstrad n'a pas de machine AT disponible. Et même si nous en prévoyons une, nous n'en parlerons que lorsqu'elle sera finie, contrairement à certains constructeurs qui annoncent des machines avant d'y avoir pensé !

Rétrospectivement, il est facile d'avoir de bonnes idées.
En plus, chaque fois qu'un quidam m'interrogeait sur de futures machines, j'étais plus Sphinx que le Sphinx, encore plus Sphinx que Mitterrand inaugurant la pyramide du Louvre, le 4 mars 1988, une pyramide construite par un Chinois (énigmatique, et les Chinois sont encore plus énigmatiques que les Sphinx), un certain Mr Pei.
J'ai même réussi à faire croire à un journaliste que nous allions sortir un compatible MacIntosh en ne démentant suffisamment pas la nouvelle pour qu'elle fût crue. (Non, vous ne m'aurez pas cuit...) (Je donne dans le Vermot style Bruno Masure, sorry, désolé.)

Banalisation

En attendant ces machines que tout le monde attend mais qui ne veulent pas encore sortir parce qu'elles ne sont pas encore prêtes, Amstrad France éclate et s'éclate dans tous les domaines.

Voyez plutôt :

Un tour de France du 30 mai au 1er juillet qui fait le tour des Novotel de France, de Rouen à Lille en passant par Nantes, Bordeaux, Pau, Toulouse, Nîmes, Marseille... bon, je ne vais pas citer les villes françaises de plus de 200 000 habitants dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.

Je ne sais pas pourquoi je vous raconte cela. Toutes les grosses boîtes font des tours de France avec leurs commerciaux pour inviter leurs revendeurs dans des hôtels trois étoiles... C'est d'un banal...

Oui, ça devenait banal...

Amstrad devenait une société comme les autres. Les mêmes méthodes mercatiques que les autres. Le besoin de structures, la nécessité d'organisation pour pouvoir durer.

Dites donc, si ça continue comme ça, je sens que je vais aller me coucher sans finir ce livre... Non, non, non... pas de ça Lison. Car Amstrad invente toujours. Alan Sugar vient de lancer la Studio 100. Géniale. C'est un studio d'enregistrement, c'est une chaîne HI-FI, et c'est une console DJ (Disc Jockey, alias animateur de soirées dansantes, alias ex-préposé à l'alimentation du tourne-disque).

C'est le tout en un de l'adolescent boutonneux, avec quatre micros (des microphones pas des ordinateurs), un casque, une chambre d'écho incorporée, six entrées mixables, égaliseur à trois bandes séparées pour chaque voie. Et en plus vous avez la possibilité de faire varier l'emplacement virtuel du micro sur l'image stéréo obtenue, un réglage de la position de cette source sur l'image stéréo (PAN), un sélecteur de provenance, chaque piste ayant son propre réducteur de bruit, son propre vumètre, possibilité de remix d'une cassette quatre pistes vers une cassette stéréo conventionnelle...
Tout cela, pour moins de 3 995 francs TTC...
The top.
En matière musicale ou acoustique, je suis ignorant. Je suis malentendant et même mal-comprenant. J'ai admiré les boutons, les cadrans à aiguilles (qui s'appellent vumètre dans le blurb publicitaire cité ci-dessus), les curseurs réglables, les potentiomètres variables et autres clystrophédrons anachromatiques.

La Studio 100 vous en jetait plein la figure. Je l'aurais achetée rien que pour le look. Mais à 3 990 francs, cela faisait cher le look. D'autant que mon fiston avait déjà un gros baladeur qui ressemblait à un aspirateur.
La Studio 100 ne s'est pas vendue en France. Nous avons bien essayé de la vendre. Je crois qu'on aurait pu la vendre à 2 000 ou à 8 000 francs.
À 2 000 francs, Amstrad n'aurait pas gagné d'argent.
À 8 000 francs, il aurait fallu qu'elle s'appelle Sony ou Yamaha avec une puissance musicale multipliée par trois.
Plop.
Alan Sugar avait cru les élucubrations d'un technicien mélomane. Sur le papier, la Studio 100 tenait la route. Dans la jungle HI-FI, c'était un canard boiteux. Trop cher pour de l'audio et pour les jeunes, pas assez poussé et trop peu cher pour la HI-FI et les enragés du décibel ; en quadruplant la puissance et la taille visible des enceintes, nous aurions peut-être fait un carton.
Mais le marché de la HI-FI et de l'audio est un coupe-gorge où je ne mettrais pas les pieds...
Marrant qu'Amstrad se soit établi sur le marché de l'audio. Mais en 88, l'audio ne représentait plus que 4,8 % du chiffre d'affaires d'Amstrad. Amstrad France continue sur sa lancée. Comme Amstrad Angleterre et comme les autres filiales.
Le 9 mai 1988, un certain François Mitterrand devient le premier président de la 5e République à être réélu au suffrage universel et portatif.

Spot publicitaire

Pendant l'été c'est la cogitation publicitaire. Comme le chiffre d'affaires de l'année (juillet 87-juin 88) atteint un niveau record (1,4 milliards si j'ai bonne souvenance), les bénéfices aussi (chiffres non communiqués pour la filiale française, les chiffres sont consolidés au niveau du groupe), nous avons droit à faire plein de publicité.
Radio, télé, quotidiens, magazines, revues spécialisées, c'est Byzance.
Il y a des films teasing de huit secondes, quarante spots sur l'ensemble des chaînes de télévision ; en jargon anglo-publicitaire un teasing c'est un mini-mini clip, un micro-clip en somme (huit secondes, c'est surtout court et bref). En anglais, to tease veut dire narguer, chatouiller ; le clip chatouilleur d'Amstrad, c'est une prise électrique rose au bout d'un fil rose, qui sort d'une boîte blanche qui se transforme en Logo Amstrad gris et rose. étonnant, non ?
Cette idée qui vous chatouille et qui vous gratouille est reprise dans la presse quotidienne sous forme d'un dessin tout en longueur. Ça va passer du 21 au 24 septembre 88 dans le Monde, les échos, le Figaro, le Parisien, Libération, la Tribune de l'Expansion, le Quotidien de Paris et le dimanche 25 dans le journal du dimanche.
Mâtin !
Non ce n'est pas le journal, il a disparu (où il va disparaître ?), c'est une exclamation...
Quant aux passages dans la presse magazine et spécialisée, il y en a 217 de prévus, ainsi que plus de 200 spots publicitaires à la télé (les vrais, 30 ou 40 secondes, pas les teasers-chatouilleurs).
Tout y passe, magnétoscopes, télévidéos, chaînes, ordinateurs familiaux, traitement de texte, PC 1512, PC 1640, portables PPC, imprimantes.
Sauf les PC 2000.
C'est quoi les PC 2000 ?
Ben c'est les AT 286 et 386 dont on ne doit pas parler avant l'annonce officielle du 13 septembre...
Si vous additionnez le prix de l'espace, le prix de la réalisation, le temps, les cellules grises nécessaires aux idées géniales (ou tartes d'ailleurs, c'est les mêmes cellules grises qui produisent les deux), vous arrivez à un chiffre astronomique.
Et alors, précisez...
Bien, c'est confidentiel...
Mais si vous savez que le budget publicitaire représentait en général 5 % du chiffre d'affaires, il est facile d'obtenir le bon chiffre...
Vous avez trouvé ?
Un chiffre avec 7 zéros derrière ?
Vous avez neuf zéros ? Alors c'est que vous comptez en anciens francs ! Qui n'ont plus cours depuis le 1er janvier 1959 ! Ça ne vous fait que 34 ans de retard...
C'est beau la France, trente-quatre ans après, on parle toujours d'anciens francs !
Le Franc Vercingétorix, vous connaissez ?
Irrécupérables.

Bon, alors, on y arrive à ce 13 septembre ?
Patience.
Le 14 août, l'Italie pleure Enzo Ferrari.
Le 20 septembre, la France pleure la disparition du Solex.
Quel rapport avec Amstrad ?
Aucun, mais cela me permet d'encadrer la date du 13 septembre 1988. On m'a toujours dit qu'il fallait situer les choses dans le temps. Or le lancement des PC 2000, le 13 septembre 1988 à Londres n'est pas vraiment une date historique. Par contre, vous trouverez la date de la mort d'Enzo Ferrari et de la fabrication du dernier Solex dans le journal de l'année 1988, édité par Larousse avec l'aide du journal du Monde.
Pressons.
Fabulons.

Car j'allais oublier l'histoire de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Vous ouïtes déjà cette fable ? Bizarre autant qu'étrange, car cela s'est déroulé le 18 juillet 1988.
Je vous lis le communiqué :

Amstrad et IBM : Signature d'un accord d'exploitation réciproque de brevets.
Amstrad plc a annoncé le 18 juillet à Londres la signature avec IBM d'un accord d'exploitation réciproque de leurs brevets.
L'accord donne à Amstrad plc le droit d'exploiter dans le monde entier, sous licence non exclusive, l'ensemble des brevets d'IBM relatifs aux PC et PS2 pour la fabrication et la vente de produits de micro-informatique.
L'accord donne de même le droit à IBM d'exploiter sous licence non exclusive dans le monde entier les brevets d'Amstrad. Cet accord à long terme, dont les termes restent confidentiels, a pris effet le 1er juillet.

Alan Sugar, le président d'Amstrad plc a déclaré à Londres :

— Nous sommes heureux d'avoir conclu cette affaire avec IBM. Notre politique a toujours consisté à observer et connaître les brevets des autres constructeurs et nous continuerons dans cette voie.
— S'il y avait encore quelque incertitude sur nos « droits » à produire une gamme complète de produits de micro-informatique professionnelle ou même à développer de nouveaux produits sur ce marché, cet accord a définitivement balayé cette incertitude.
— Amstrad gagne ainsi une très grande crédibilité, notamment aux états-Unis, puisqu'il devient fabricant officiel de compatible PC.

Je suis sûr que cela vous en bouche un coin, pour parler vulgairement. Elle est pas jolie, ma grenouille ?
Je crois que je vais écrire une nouvelle fable, avec dans les rôles principaux, un crocodile, une grenouille, une pomme et un bœuf.

« Dans un marigot d'Afrique équatoriale anglophone,
Un crocodile se vautrait au milieu de la faune »

Pause.
Il me faut aller chercher mon dictionnaire des rimes.
J'ai parlé d'anniversaire, des vingt ans d'Amstrad ; il serait peut-être temps de faire un retour en arrière.

Retour vers le futur

Vendredi 1er novembre 1968

La France bruisse encore confusément (pléonasme ?) des clameurs de mai 68. Heureusement que pour refréner l'enthousiasme des masses, le général a donné à la France Maurice Couve de Murville comme premier ministre : plus rigolo que lui, tu meurs.
Après 45 mois de bombardements intensifs au Vietnam du Nord, les raids aériens s'arrêtent.
En Angleterre, c'est un petit gros fumeur de pipe, Harold Wilson, qui essaye de gouverner. Comme il est travailliste, les syndicats ne lui facilitent pas la tâche.
Le 1er novembre n'est pas férié en Angleterre... D'ailleurs les jours fériés en Angleterre s'appelle des « Bank holidays » ; Napoléon avait raison, c'est une nation de boutiquiers. Des vrais païens, ces Anglais, ils n'adorent que le veau d'or ou le mouton à la menthe.
Comme c'est un jour ordinaire, donc, les gens travaillent et enregistrent la création de la A.M.S Trading Company, une société du type SARL (pour les Français société à responsabilité très limitée, pour les Anglais, limited company, raccourci en Ltd).
Directeur et actionnaire principal, un certain Alan Michael Sugar, né le 24 mars 1947 à Hackney, un faubourg à l'est de Londres. L'autre directeur a pour nom Ann Sugar et est la femme du précédent. Faut-il préciser que comme Hackney est à l'est de Londres, ce n'est pas l'équivalent de Neuilly, Passy ou Auteuil. C'est ce qu'on appelle un faubourg populaire, et c'est un understatement (note, c'est un mot qu'y faut toute une phrase en bon français pour le traduire). Donc Alan Sugar est un fils du peuple et fier de l'être. Son papa s'est échiné toute sa vie dans l'industrie textile et sa maman a fait quatre beaux enfants, Alan étant le petit dernier.

Mardi 13 septembre 1988 : Londres.

Brouillard typiquement londonien, où on distingue à peine les autobus rouges à deux étages, les taxis noirs de marque Austin qui ne semblent pas avoir changé depuis la reine Victoria.
Kensington High Street. Un gros cube blanc perce dans la brume : un de ces édifices d'âge et d'époque incertains, monument à la gloire industrielle et commerciale d'un empire révolu, où les concerts pops succèdent à des manifestations ésotériques appréciées des Anglais ou des Anglaises.
Le hall principal accueille un salon du son et de la vidéo. Les salons d'apparat et l'auditorium ont été réservés par Amstrad.

Alan Sugar est en pleine forme. Jour de lancement de la gamme PC 2000. Il a annoncé la semaine précédente des résultats records : près de deux milliards de francs de bénéfices pour un chiffre d'affaires qui frôle les 7 milliards de francs. Près d'un million et demi de micro-ordinateurs vendus au cours des douze mois qui précèdent (dont 258 000 en France)
Oui, en vingt ans, Alan Rastignac Sugar a fait du chemin. Pense-t-il à ce 1er novembre 1968 et à cette époque où sa richesse principale était une fourgonnette mini d'occasion dans laquelle il trimbalait des radios et des amplificateurs ?
Quand il m'accueille, il a un sourire rare mais rayonnant : «Les PC 2386 sont arrivés, mais ça a été juste... et en plus de cela, ils marchent ! »
Alan Sugar, fils d'ouvrier est maintenant la quinzième fortune d'Angleterre. Pour autant, il ne fait pas partie de l'establishment (haute société) et il s'en moque, il a toujours les mêmes amis qu'il y a vingt ans. Peut-être se rappelle-t-il la discussion qu'il avait eue avec son ami Ashley Morris dans les années 70.

« Tu sais, Alan dans ce fichu métier, le succès c'est 50 % de dur labeur et 50 % de chance. Il faut que la chance soit avec toi, sinon tu n'arrives nulle part... »

La réponse de Sugar fut immédiate : « Non, camarade, c'est le travail qui compte, tout est dans le travail... c'est 100 % de travail »
Quant à moi, j'aurais plutôt tendance à penser un peu comme Einstein, à qui on demandait ce qu'était le génie : « Le génie, c'est 5 % d'inspiration et 95 % de transpiration... »
Dans le cas d'Alan Sugar, il y avait certainement 95 % de travail, mais je pense qu'il y avait quand même 5 % de chance.
Dissertons sur ce sujet si vous le voulez bien.
Ou plutôt, posons le problème d'une manière plus générale : comment expliquer la réussite d'Alan Sugar et d'Amstrad, comment se fait-il qu'un jeune homme ayant quitté l'école à seize ans, sans fortune aucune, se soit retrouvé à 40 ans à la tête d'un petit empire commercial ? Je pose la question ! Et je pose la question subsidiaire, par quel hasard Amstrad et Alan Sugar, qui n'y connaissaient rien à l'informatique en 1983, sont-ils arrivés à énerver sinon à inquiéter IBM ? Comment ont-ils pu faire mieux que Thomson, Olivetti, ICL ou Bull en micro-informatique alors que les atouts des uns et des autres pouvaient a priori sembler plus importants que ceux d'Amstrad ? En voilà des questions qu'elles sont bonnes !

Retour vers le futur II

Travelling arrière.
Flash-back.
On dit retour en arrière.
Et rétrospective.
Ah, ce maudit franglais !
La légende sur fond de vérité veut qu'Alan Sugar ait commencé à montrer ses dispositions pour le commerce en organisant un ramassage de bouteilles consignées pour se faire de l'argent de poche. À seize ans ses professeurs voulaient le voir continuer ses études (il avait réussi ce qui correspondait à la première partie du bac, section sciences et techniques), mais les réalités économiques le conduisirent sous la pression paternelle à entrer dans la vie active, à savoir un boulot de gratte-papier dans un ministère bureaucratique et statistique. Il en sortit vite pour divers boulots de vendeur radio HI-FI électronique où il apprit tellement vite le métier qu'à 19 ans, il était à son compte ; justement le comptable qui l'aidait dans ses comptes lui conseilla de créer une société, ce qui nous amène à la création d'Amstrad un 1er novembre 1968.
Deux ans après la création d'Amstrad, il avait fait le tour du métier d'intermédiaire entre les fabricants-importateurs et les détaillants et connaissait le monde radio-télé électronique sur le bout des doigts. Il se dit alors que le boulot d'intermédiaire avait ses limites. Il lui fallait devenir fabricant ou importateur ou les deux. Après mûre réflexion, il découvrit une petite niche : à l'époque, les systèmes HI-FI étaient vendus par morceaux, ampli, tuner, platine, etc... Ce fut l'etc qui lui fournit l'idée : les platines tourne-disques étaient recouvertes d'un couvercle en perspex acrylique qui coûtait cher.
Il investit dans un moule à injection et se mit à distribuer ses couvercles par centaines puis par milliers, aux détaillants aussi bien qu'aux fabricants de platine tourne-disques.
C'était le premier produit Amstrad proprement dit. Vulgaire, ordinaire et sans intérêt. Mais rétrospectivement, on se rend compte que certains éléments du succès futur d'Amstrad sont ici réunis : un produit indispensable, fabriqué en quantité pour amortir le prix du moule et qui lui permettait d'avoir une marge très considérable vu qu'il était le seul à produire ce couvercle à ce prix-là.
Après, on pouvait se demander, comme ce sera le cas chaque fois qu'Alan Sugar sortira un produit gagnant (un best-seller pour les anglophiles), mais pourquoi, pourquoi personne n'y avait-il pensé plus tôt ? Peu après en 1970, Alan Sugar se lança dans la fabrication d'amplificateurs pour systèmes HI-FI (audio disaient les puristes), à un prix compétitif, pour ceux qui ne pouvaient pas s'offrir des appareils du genre Pioneer ou Sony. Un amplificateur, un ampli (c'est plus courant), se vendait à cette époque entre 500 et 1 500 francs et la dithyrambe était de rigueur : « Notre ampli a un niveau de distorsion de cinq dB avec un interrupteur de décompensation couplé à un vérificateur de niveau du couple disonique incorporé à un déambulateur péripatéticien. »
Le client faisait des oh et des ah d'admiration.
Mais il lui arrivait souvent de préférer à l'appareil mirifique à 1 200 francs, l'Amstrad à 275 francs... vu l'épaisseur de son porte-monnaie.
Il est évident que les amplis Amstrad, fabriqués dans une échoppe d'une vingtaine d'employés n'avaient pas l'aura des amplis de la concurrence...

Donc Alan Sugar vendit des monceaux d'amplificateurs qui amplifiaient aussi bien le bruit que la musique. De toute façon, la douce musique à l'oreille de celui-ci est vacarme primaire à l'oreille de celui-là. Mais je suis dur d'oreille. Qu'entendez-vous par là ? Par là, je n'entends pas grand-chose.
Toujours est-il qu'Alan Sugar vendait en 1972 des amplificateurs, qui sont maintenant pour la plupart intégrés dans les merveilleuses chaînes HI-FI que vous possédez tous, mais qui à l'époque n'étaient qu'un des éléments faramineux de votre chaîne, élément aussi important que l'est aujourd'hui la 205 GTI pour tout frimeur qui se respecte.
Pour vendre des amplis à cette époque, il fallait ramer. Faire le tour des revendeurs ; et essayer d'accrocher les gros distributeurs. Genre Darty ou Fnac. En Angleterre, le distributeur qui ressemblait le plus à Darty était Comet. La connotation éphémère de la comète n'a pas empêché cette boîte de prospérer, à l'image de Darty en France. En effet, Comet en Angleterre, Darty en France, ont su créer un système de distribution de l'électroménager adapté à l'émergence d'une classe d'acheteurs nouveaux : le jeune couple en voie d'équipement.
Alan Sugar voulait donc vendre des produits chez Comet. Comet, comme Darty en France, avait imaginé un système de distribution qui a maintenant fait ses preuves, mais qui, à l'époque, allait à l'encontre des idées ancrées de la distribution : des magasins en dehors des rues commerçantes, de préférence à la périphérie ; une surface de vente importante ; un choix important dans plusieurs gammes de prix. Et un prix compétitif quelle que soit la gamme.
Donc Comet vendait des systèmes HI-FI à la pelle, des amplificateurs, des tuners, mais aussi des télés, des réfrigérateurs, des machines à laver, que sais-je... Je ne sais pas ! Autrement dit, un Darty à la mode anglaise.
Vous imaginez donc le problème d'Alan Sugar en 1972 ; comment rentrer chez Comet, comment arriver à se faire vendre par ce mastodonte. Différence importante par rapport à Darty, Comet publiait un catalogue des prix. Ceci pour expliquer la suite.
Alan Sugar arrive à obtenir un rendez-vous avec l'acheteur principal de Comet après moult fins de non-recevoir ; l'acheteur demanda à Alan Sugar de servir d'intermédiaire dans un achat délicat et en échange, Alan essaya de fourguer ses amplificateurs. Comet en avait déjà plusieurs en vente, aussi l'acheteur refusa d'en acheter, mais, bon prince, accepta de mettre l'ampli Amstrad dans le catalogue Comet.

À la sortie du catalogue, Alan Sugar alerta une douzaine d'amis et connaissances, choisis d'une manière dispersée en Angleterre et leur demanda de commander des amplis Amstrad.

Une quinzaine de jours plus tard, un employé téléphona à Alan Sugar :

— Il semblerait que nous ayons la vente de quelques-uns de vos amplis... pourriez-vous nous en envoyer une dizaine ?
— Vous voulez rire ? Vous Comet avec des douzaines de points de ventes, toute votre force de frappe dans la vente ? Dix amplis ? Ce sera cent amplis ou rien du tout !

Et Alan raccrocha. Les deux heures suivantes furent, comme on dit dans les romans feuilletons, les secondes les plus longues de son existence.
Enfin, l'employé rappela Alan Sugar :

— Allez c'est bon, envoyez-nous une centaine d'amplificateurs...

Le « ouf » de soulagement d'Alan Sugar s'entendit jusqu'à édimbourg. Il était rentré chez Comet. Ce fut une entrée en matière et des centaines et des milliers de produits Amstrad sont passés par les caisses des magasins Comet depuis lors.
Mais c'est du typique Alan Sugar. Le coup de faire commander par des copains un produit que l'on veut vendre ou promouvoir est classique. Il paraîtrait que les maisons de disques usent de ce subterfuge pour faire monter une chanson au top 50, en essayant de savoir par la bande quels seront les magasins visités par les boîtes de sondage marketing.
Mais c'est du classique.
Le coup de poker génial, c'est de refuser la première commande d'une douzaine d'appareils. Car Alan sait que pour multiplier les ventes, il faut que chaque magasin ait un modèle de son ampli exposé. Si Comet prend une centaine d'amplis Amstrad, c'est pour en envoyer au moins un dans chaque magasin.
À partir de là, vous avez l'effet boule de neige, le bouche-à-oreille sur une échelle importante. Faire de la publicité, c'est plus facile, mais il faut avoir les moyens au départ. Pour une petite boîte, il faut trouver d'autres idées de lancement... Les idées genre bouts de ficelle qui parfois se révèlent plus rentables que des méga campagnes de publicité.
Car il y a du joueur de poker chez Alan Sugar, celui qui sait ramasser la mise avec une paire alors que son adversaire possède un full. Comment expliquer autrement l'irritation d'un géant comme IBM face à un nain comme Amstrad ? En 1986 et 1987, il est certain que le succès d'Amstrad en Europe a donné des boutons à IBM.

1978

Dix ans qu'Alan Sugar a créé Amstrad. Le chiffre d'affaires atteint quatre millions et demi de livres sterling (50 MF). La HI-FI est en pleine mutation. Les Japonais commencent à dominer le marché. Ils ont commencé à vendre des chaînes composées de la platine tourne-disques, de l'amplificateur, du lecteur de cassettes et du syntoniseur (la plupart des gens disent tuner, le Larousse et le Robert ont accepté le terme mais l'académie préconise syntoniseur. Why not ? comme disait le commandant Charcot.)
Ces éléments séparés sont regroupés dans un meuble et il y a toujours une foultitude de fils et de raccordements qui donnent à l'arrière du meuble une apparence de plat de spaghettis.
C'est une réunion au sommet. D'abord parce qu'elle se déroule à 40 000 pieds d'altitude dans un avion des Japan Air Lines. C'est ce qu'on appelle du brainstorming (petit Robert 1, page 213, « tempête dans les cerveaux ».)
Il y a là, Alan, Michael et Sugar, tous trois réunis dans le même crâne. C'est souvent au retour d'Extrême-Orient, après avoir vu ses sous-traitants en Corée, au Japon, à Hong Kong et à Taïwan que ces séances de brainstorming étaient les plus profitables. Alan crayonnait n'importe quoi sur son bloc-notes. Surtout des chiffres. Il avait toujours aimé faire des conversions de monnaie. De la livre sterling au dollar (de Hong Kong ou USA), du dollar au yen, du yen en won et du won en livre sterling (pour ceux qui ne jouent pas au Scrabble et qui ne font pas de mots croisés, je signale que le won est la monnaie coréenne et permet de placer le w au Scrabble dans certains cas désespérés ; quoique depuis que le wu est dans le Larousse, c'est devenu une pièce de cake).
Et soudain, l'idée fulgurante « mais c'est bien sûr ! ». Alan a dessiné par hasard un petit cube. Cela lui a donné l'idée de la chaîne Hi-Fi/audio compacte. Pourquoi multiplier les composants identiques que l'on retrouve dans le tuner, l'ampli et les lecteurs de cassettes. Ce qu'il faut c'est donner l'apparence d'éléments séparés pour ne pas dépayser les clients, soigner le look et économiser sur les éléments redondants.

— Halte à la redondance, donnons dans la compacité
— Un seul fil à brancher et ça marche.

Sugar l'appela « Tour HI-FI » (Tower system). Le coût de l'appareil devenait alors bien moindre qu'avec des éléments séparés. Un seul bloc d'alimentation au lieu de trois ou quatre, un seul convertisseur et bien d'autres éléments qu'il n'était pas nécessaire de dupliquer. évidemment, si jamais vous ouvriez votre chaîne HI-FI/audio, vous vous rendiez compte du peu de place que tenaient les composants. Les neuf-dixièmes d'une tour, c'est du vide. Mais qu'importait le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse de la musique.
Encore que les flacons Amstrad n'avaient rien de rébarbatif. Sugar ne lésinait pas sur les boutons et les chromes, les voyants lumineux et les cadrans à aiguilles.
Les gens en avaient pour leur argent.
Bien sûr, ce n'étaient pas des chaînes à 2×60 watts réels, le rapport signal bruit n'était pas de 55 dB, il n'y avait pas de filtres physiologiques et de surround et surtout les haut-parleurs n'avaient rien à voir avec Elipson ou Cabasse.
Mais pour 200 livres sterling, ils avaient quelque chose en rapport avec leur oreille musicale et leur portefeuille (je rigole toujours quand je vois dans des appartements minuscules des systèmes HI-FI avec des baffles de 100 watts... Margaritas ante portos ; je sais, je sais je ne devrais pas dire des baffles, je devrais dire des enceintes acoustiques : je mérite des baffes).
Ces chaînes audio furent l'élément qui propulsa vraiment Amstrad sur le devant de la scène, dans la mesure où Amstrad était une des rares entreprises anglaises à tenir tête face à la déferlante japonaise.
Les puristes diront qu'il n'y a pas d'innovations dans ces chaînes compactes ; mais l'innovation était dans la simplicité, simplification dans la production, simplification dans la perception du produit par les clients. Après tout, on peut aimer la musique sans avoir l'oreille et l'éducation suffisante pour faire la différence entre la symphonie ni de Malher conduite par Lorin Maazel devant le philharmonique de Vienne et la même symphonie interprétée par Léonard Bernstein conduisant le philharmonique de New York ; d'ailleurs, les vrais mélomanes savent que la meilleure interprétation est celle de Bernard Haïtink conduisant le Concertgebouw d'Amsterdam. Comme disait Alan Sugar :

« Moi, je fais des produits pour le routier et sa femme. »

Et tout le monde de se gausser. Ils devraient se remémorer le sketch de Jean Yanne...
Le plus étonnant, c'est que ce fut Alan Sugar le premier à commercialiser des chaînes audio compactes. Pourquoi les autres n'y avaient-ils pas pensé plus tôt ?
That is the question
To be or not to be the first.
Ah, j'expire, quel talent.
Le succès de ces chaînes audio allait permettre à Alan Sugar d'introduire Amstrad à la bourse de Londres. Pendant l'été 1979, Alan Sugar contacta les gens de la City pour connaître la procédure à suivre et peser le pour et le contre.
Il fut décidé que Sugar mettrait sur le marché 25 % des actions d'Amstrad. L'émission eut lieu le 23 avril 1980 et la demande fut dix fois plus importante que l'offre.
Le succès de l'introduction en Bourse fut fêtée avec forces libations à l'éléphant Blanc, sur les bords de la Tamise.
Alan Sugar aurait pu souffler un peu. Que nenni ! Les trois années suivantes, le chiffre d'affaires allait passer de 8 millions de livres à 52 millions de livres, les bénéfices de 1,4 £M à 8 £M (respectivement 90 MF à 600 MF et 16 MF à 90 MF). Dans le même temps, les exportations étaient passées de 15 MF à 60 MF.
Pas mal pour un jeune entrepreneur qui venait de passer la trentaine ; de plus tout provenait d'une croissance naturelle et non d'acquisitions d'autres sociétés.
Ce qui nous amène à l'été 83.
Retour à la case départ. Retour vers le futur. Il faut bien que je justifie les intertitres.
Car si je me souviens bien, j'ai commencé ma narration en août 83. C'est loin, tout cela. Et j'ai écrit la première phrase de ma narration en août 90. C'est dur l'écriture. Il va falloir que je relise cette histoire. Ça me changera les idées.
Peut-on qualifier mon écriture de boustrophédon ? Peut-être bien que oui, il y a un caractère boustrophédonique dans ma manière de labourer le terrain.
Pendant ce temps, Alan Sugar laboure les espaces intersidéraux.

LES YEUX DANS LES éTOILES

Début 88, la notoriété d'Alan Sugar avait atteint un niveau comparable à celui de Bernard Tapie en France. Il avait été choisi par le gouvernement anglais pour présenter une campagne à la télé sur le marché européen et l'objectif 1992 pour l'Angleterre.
évidemment, avec la notoriété viennent les problèmes des casse-pieds qui téléphonent à tout bout de champ en exigeant de parler à Alan Sugar en personne.

« Le téléphone n'arrête pas de sonner de neuf heures du matin à six heures du soir. Mon école à Hackney a dû avoir des millions d'élèves, car tous ceux qui téléphonent ont été en classe avec moi, ou bien ils ont un frère qui a un oncle dont la tante me connaît... »

D'habitude, sa secrétaire filtrait les appels déjà écrémés par les standardistes. En général cela se passait bien.
Un jour de mai 1988, sa secrétaire vient dans son bureau et lui dit :

— Mr Rupert Murdoch veut vous parler au téléphone.

Alan Sugar le nez dans ses papiers :

— Jamais entendu parler de lui. Dites-lui d'aller se faire voir. Je parie qu'il prétend avoir été à l'école avec moi.

Petit détail, Rupert Murdoch était (est toujours) un magnat de la presse, Américain d'origine Australienne, sorte de Robert Hersant mâtiné de Jean-Luc Lagardère à l'échelle planétaire, contrôlant 60 % de la presse en Australie, une dizaine de titres en Angleterre dont le Sun (soleil) tirant à 4 millions d'exemplaires chaque jour (et dont la caractéristique la plus notable est une jeune fille dénudée en page 3) et le Times, le journal de l'establishment en Angleterre (pas de photos dans le Times jusqu'à une époque récente). Aux états-Unis, il possède la 20th century Fox et Fox Television et quelques journaux. Une compagnie aérienne et quelques entreprises diverses, plus de 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Même à un peu moins de 5 F le dollar, ça fait un paquet.
Alan Sugar a beaucoup de mémoire, mais pas beaucoup pour les noms de personnes. Et il lit peu les journaux...
Néanmoins voyant que sa secrétaire tique, il lui dit :

— Qui c'est ce mec ? essayez de savoir ce qu'il me veut.

Quand sa secrétaire revient et lui dit que Mr Murdoch ne parle de ses affaires qu'en direct, Alan Sugar lui demande :

— Pourquoi, qui est-ce donc ce Murdoch ?
— C'est le propriétaire du Sun, du Times, de News of the World, entre d'autres...
— Zut, rappelez-moi le tout de suite.

Alan Sugar connaît bien le marché de la télévision, ayant produit ou commercialisé des téléviseurs, des magnétoscopes et des caméscopes ; lorsque les marges sur les téléviseurs devenaient trop minces, il mettait cette activité en sommeil. Le problème avec les téléviseurs, c'est qu'il est très difficile de se différencier, et que pour une taille d'écran donné, les variations sont minimes : un écran plus ou moins plat, des coins carrés (et pourquoi pas des cercles ronds... quoique... quoique, c'est difficile de faire des cercles ronds en télévision ou informatique vidéo). Donc ce qui compte, c'est la qualité et la provenance du tube cathodique ; après, il faut ajouter trois grains d'ellébore, une pincée de coriandre, un doigt de mercatique et trois tonnes de publicité. Plus un peu de protectionnisme pour nourrir Thomson qui a le droit de délocaliser sa production à Singapour mais sera toujours français pur sucre malgré les Carnets du Major.
Je divague.
De passage début 86 dans les bureaux de Granada, société qui louait des téléviseurs et avait une chaîne de télévision privée (pas TF1, pas M6, pas A2 mais un peu des trois), Alan Sugar entendit parler d'un projet de télé par satellite, appelé BSB, c'est-à-dire British Satellite Broadcasting. Il y avait plein de beau monde dans ce projet (si je vous dis Virgin, Pearson, Anglia, Granada, cela ne vous dit pas grand-chose, mais ce sont des poids lourds chez les Grand-Bretons).
Tout d'abord, il fallut passer par l'IBA, équivalent anglo-saxon de notre CSA, Haute-Autorité télévisuelle, enfin le machin truc soi-disant indépendant chargé de policer le PAF et ses combattants ; petite différence entre IBA et CSA, ou entre les deux côtés du Channel, c'est que l'IBA est moins sujette aux fluctuations de la politique politicienne des politichiens. Autrement dit Arté n'aurait pas remplacé la Cinq en Angleterre. Tout se serait réglé selon la loi du marché, c'est-à-dire le fric, qui est chic comme chacun le sait.
Il faut que je me contrôle. Sinon, attention les menaces de procès qui durent et les procédures.
Donc en 86, le consortium dans lequel Alan Sugar avait pris des billes gagne le concours de beauté de l'IBA (alias CSA) devant quatre autres concurrents.
Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes comme disait Al Douce.
Pas tout à fait. Car si le ticket d'entrée pour Amstrad valait 100 millions de francs, qu'Alan espérait faire fructifier en fabriquant des antennes, il fallait que le projet reste cohérent.
Alan trouva rapidement que le projet n'était pas cohérent et que certains des acteurs de ce projet se souciaient plus de la taille de leurs bureaux et de la qualité de leurs moquettes dans lesdits bureaux que du succès du projet.
Et surtout BSB voulait s'embarquer sur un système à base de MAC, alias Multiplexage Analogique de Composantes.
Cela nous ramène en 600 avant Jésus Christ. Vous opinez ? La Ziggourat de Babylone alias Tour de Babel. Nous n'en sortirons jamais.
Non content de devoir se débrouiller avec près de 200 langues, il faut que l'homme se complaise dans l'invention de systèmes qui compliquent la communication.
En télévision, nous avions déjà un PAL que refusait le SECAM qui ne voulait pas parler au NTSC. Le NTSC est américain, le PAL allemand (ils sont barbares...) et le SECAM français (cocorico).
Dans les trois systèmes, on parle de porteuse (non, maman), de chrominance, de luminance, d'onde sous porteuse, de modulation combinée d'amplitude et de phase, de transmission simultanée, de balayage alterné. D'après un expert objectif, puisqu'il est français, le système SECAM entraîne une plus grande stabilité de l'image et une meilleure couleur, ne provoque aucun risque d'interférences entre les divers signaux. En ce qui me concerne, je mélange les trois définitions entre elles et la seule chose que je me rappelle c'est la signification des acronymes :

PAL : phase alternative line
SECAM : séquentiel couleur à mémoire
NTSC : national télévision system comittee.

Maintenant avec la télévision à haute définition, pardon avec la TVHD, ça va se compliquer un max, car les Japonais sont maintenant sur le coup et ont l'intention de s'amuser avec leur système MUSE (Multiple Sub-nyquist Sampling Encoding, ne me demandez pas ce que ça signifie).
Bref, la télévision fait une crise de babélisation aiguë. Alan Sugar, qui sait ajouter deux plus deux, a du mal à imaginer un système MAC sur le plan commercial.
Début mai 87, il retire ses billes en disant « Thank you, Paris Match » ; comme les gens de BSB ont trouvé 2 milliards de francs supplémentaires et d'autres investisseurs, personne ne s'inquiète.
Ce qui nous ramène au coup de téléphone de Rupert Murdoch un certain jour de mai 88. Rupert Murdoch faisait partie d'un autre consortium que le BSB gagnant. Pas découragé, il avait cherché ailleurs et découvert Astra, un service de satellite luxembourgeois qui devait utiliser les services d'Ariane à Kourou.
Rupert Murdoch prévoyait d'occuper quatre canaux sur les seize qu'allait embarquer le satellite ASTRA, un canal cinéma, un canal informations, un canal divertissements et un canal sportif.
À l'analyse, un problème logistique important se posait : comment trouver un fournisseur d'antennes capable de livrer en quantité à un prix compétitif dans les délais contraignants : a priori un million d'antennes en moins d'un an à un prix inférieur à 2000 francs (quand je dis antenne, je comprends la parabole et le boîtier de commande/décodage/sélection). Dur, dur.
Il essaya d'abord de trouver des fournisseurs au Japon. Mais que ce soit Sony, Mitsubishi ou Toshiba, les délais étaient trop importants et le prix minimum était de 3 000 francs.
Murdoch continua donc à préparer son système qu'il appela Sky télévision tout en continuant à chercher un fournisseur d'antennes.
Un jour, déclic : « Mais il y a pas loin d'ici (les bureaux de News International Corp, la boîte de Murdoch, étaient dans le East-End de Londres) un entrepreneur qui a su vendre des millions de produits à des prix compétitifs ! Pourquoi ne pas lui demander ? »
Un jour de mai 88, Rupert Murdoch téléphona donc à Alan Sugar. Vous le saviez ? Quel sens de la divination...
Murdoch avait bien réfléchi, mais il commença par demander à Alan Sugar son avis. La réponse de Sugar fut directe et sans ambages :

— Le succès satellite repose sur une trinité : le satellite, de bons programmes et un appareil de réception. Il faut de bons programmes, ce qui veut dire une chaîne cinéma. Si vous n'avez pas une chaîne cinéma, ce sera un échec. Il faut que le système de réception soit économique. Et il faut que la transmission soit en PAL, car tous les téléviseurs existants sont en PAL. Et si un pignouf vous dit quelque chose d'autre, c'est du pipeau, car DMAC n'existe pas encore et l'électronique DMAC n'a pas les puces nécessaires. Et si on vous raconte des conneries du style de celles que raconte le BSB à propos de DMAC, rappelez-vous que ça ne sera valable qu'avec les téléviseurs haute définition et les 20 millions de télés que vous voulez équiper, elles sont en PAL.

Et Alan en rajouta un peu sur les noms d'animaux que les gens du BSB méritaient.
Murdoch apprécia ce que lui disait Sugar et raccrocha. Les jours suivants, il contacta quelques pontes de l'industrie anglaise pour demander leur avis sur Amstrad. Puis il rappela :

— Est-il possible de fabriquer des systèmes parabole/sélecteur à moins de 2 000 francs prix public ? Et ce dans de grandes quantités.
— Je vous rappelle dans la semaine.

Alan Sugar mit en branle le système d'évaluation particulier à Amstrad, avec Bob Watkins en première ligne :

— Tu dois pouvoir trouver pour la parabole un fabricant de casseroles trop heureux de profiter de l'occase. Le reste, tu connais.

Deux jours plus tard, Watkins dit à Alan Sugar que c'était jouable.
Sugar rappela Murdoch :

— Je prends le pari et je dis oui, on peut le faire à moins de deux mille balles. Mais ce qu'on fera, c'est un modèle à 2 000 francs et un autre à télécommande à 2 700 francs, comme cela, ça nous donnera un peu de marge si on se goure.

Murdoch fut d'accord.
Sugar reprit :

— D'accord, vous voulez bien que je me lance dans la fabrication, et tel que je vous connais, c'est pas 5 000, c'est des centaines de milliers. Qu'est-ce qui arrive au petit Alan si cette putain de fusée Ariane se casse la gueule...

On en arrivait aux discussions sérieuses.
Or Alan Sugar et Rupert Murdoch étaient de la même eau. Des requins, peut-être, mais des requins honnêtes ; le mot requin est d'ailleurs exagéré ; ils sont durs en affaires mais ils n'ont qu'une parole.
Les dates butoirs étaient connues : lancement du satellite en novembre-décembre 88, début de transmission en février 1989. Alan accepta de fabriquer un million d'antennes dans l'année sur une base non exclusive. Il y avait trois cas où Amstrad serait remboursé de ses frais :

— échec d'Ariane.
— Satellite ne fonctionnant pas correctement.
— Sky n'arrivant pas à transmettre quatre chaînes.
— D'accord
— D'accord.

Début juin 1988, l'accord Murdoch-Amstrad fut annoncé sous les spotlights des médias qui commencèrent à prendre des paris sur la guerre BSB/Sky television.
Le 10 décembre 88, la fusée Ariane ne décolle pas ! Déjà reportée après des problèmes en novembre, le vol fut stoppé 26 secondes avant le décollage.
Catastrophe !
Non, car le 11 décembre, Ariane remettait cela et mettait le premier satellite Astra en orbite stationnaire à 36 000 km. Ouf. Les paris reprirent de plus belle.

Sky 1 BSB 0

En février 89, Sky television diffusait ses premières émissions sur quatre chaînes.

Sky 2 BSB 0

Le démarrage fut un peu plus lent que prévu, mais par chance, au mois de mai, BSB annonça qu'il repoussait son lancement en 1990 ce qui allait donner à Sky deux longueurs d'avance avec les festivités de fin d'année.

Sky 4 BSB 0

BSB avait déjà dépensé 5 milliards de francs sans avoir décollé.
Amstrad a vendu depuis lors plusieurs millions d'antennes, en Angleterre, en Espagne et en Allemagne (un tout petit peu en France), Sky fait maintenant des bénéfices et a absorbé BSB ; le réseau s'appelle British Sky Broadcasting.
Sky vainqueur par jet à l'éponge.
Ne parlez pas trop de D2MAC à Alan Sugar.
Vous risqueriez de découvrir qu'Alan connaît beaucoup de noms d'oiseaux.
À propos, le 28 octobre 1988, un certain satellite appelé TDF1, a été mis en orbite par Ariane à partir de Kourou. Ce fantastique fleuron de la technologie française, capable de transmettre en D2MAC a coûté au contribuable français deux à trois fois le prix du satellite Astra. Aujourd'hui, en 1992, il y a moins de téléspectateurs français captant TDF1 ou TDF2 que de fanatiques d'Arte ; c'est tout dire. Par comparaison, ceux équipés pour capter les satellites Astra se comptent par dizaines de millions à la fin 92.
Une minute ; à force de vous balader dans les étoiles et leurs satellites, vous n'arrivez plus à poser les pieds sur terre ! Je vous ramène donc d'un coup de baguette magique à Londres, où je vous narrais le lancement planétaire de la gamme PC 2000.

Mardi 13 septembre 1988 (bis)

La présentatrice est une des gloires montantes de la télé anglaise, façon Christine Ockrent ou Anne Sinclair ; l'amphithéâtre est encore plus bondé que pour la présentation des PC 1512 ; il y a là le gratin de la finance, de la presse et de la distribution ; les buffets sont une fois de plus un peu minces pour les estomacs français...

La présentation est minutée à la seconde près : un clip vidéo de 47 secondes exactement pour mettre les spectateurs et spectatrices dans le bain, puis la voix suave de Pamela Amstrong :

Bonjour, je suis Pamela Amstrong, bienvenue au centre de conférences de l'Olympia. Le succès d'Amstrad a été phénoménal ces dernières années, et il a reçu une couverture médiatique méritée.

En Europe, c'est le numéro un des PC à base de 8086, avec 25 % du marché, devant IBM, second avec 14 % et Olivetti troisième, les autres loin derrière.

Soyons honnêtes : en 1988, le marché des PC est en train d'évoluer vers les machines à base de processeurs 80286 et 80386 (quelquefois appelés AT), et les machines 8086 perdent du terrain ; mais il faut bien jouer du hautbois et remplir ses musettes.

En juillet de cette année, Amstrad a signé un accord de licences croisées avec IBM, ce qui permet à Amstrad d'utiliser les brevets IBM sans avoir à réinventer de nouvelles routes de compatibilité...

Suit une explication de la stratégie d'Amstrad dans le domaine des marques de ses produits : Fidelity pour les produits vidéo et audio, Sinclair pour l'informatique familiale, stratégie acceptable pour les marchés anglo-saxons ou espagnol, mais difficile à adopter en France : imaginez de vendre des CPC sous la marque Sinclair chez les Gaulois...

Regardons maintenant le marché professionnel, où les changements abondent. Les 8086 déclinent lentement, les 80286 et les 80386 vont progressivement dominer le marché. Les nouvelles technologies offrent une vitesse et une puissance accrues. évidemment, Amstrad a l'intention de se lancer dans ce marché en pleine expansion.

C'est tellement évident que c'est la seule raison de la présence de l'assemblée que nous avons constituée...

Amstrad a pris en compte ces changements dans le marché de la micro-informatique et est maintenant en mesure de lancer une nouvelle gamme de PC : la gamme PC 2000 !

Trompettes, musique wagnérienne, et présentation vidéo de la gamme PC 2000 ; du concentré, puisque cela ne dure que soixante secondes, ce qui permet ensuite à Pamela de décrire en détail les différentes machines. Pour une fois, Amstrad n'a pas fait dans le détail ; d'habitude, nous présentions une machine, quelquefois plusieurs modèles de la même machine ; aujourd'hui, c'est la totale : quatre unités centrales, trois variations, quatre plus deux nouveaux moniteurs, un réseau local, des modems, en tout une quarantaine de combinaisons différentes si l'on y ajoute la gamme Sinclair PC 200 (je sais, vous allez me dire que le Sinclair, c'est du familial ; mais ce sont des compatibles PC...). Pour Amstrad, c'était l'inflation à la mode d'Amérique du Sud !

Comment faire pour vous décrire ces machines ? Vous ne voudriez pas que cet ouvrage concurrence en poids les catalogues redoutables de la Redoute ? Avec les dossiers de presse et les extraits de presse exclusifs, la documentation sur la gamme PC 2000 dépassait le kilogramme... aussi je vais tenter l'exploit de vous résumer ces dernières merveilles en moins d'une page.

L'aspect, d'abord, l'allure, l'apparence, l'air, la forme, la tournure, la face, la perspective et l'impression visuelle que donnent les nouveaux micro-ordinateurs (notez en passant la richesse de la langue française, à vous dégoûter des snobs qui vont chercher le “look” banal ou le “design” imprécis chez nos voisins anglais) : plus arrondis que les autres PC, un profil en pente douce, les trois unités centrales ont exactement le même aspect dans des tailles différentes. Les quatre écrans (tous VGA, c'est-à-dire avec la définition graphique que possèdent tous les moniteurs aujourd'hui), interchangeables, ont une base orientable qui s'encastre dans l'unité centrale, à la PC 1512.

Tous les modèles sont équipés des interfaces classiques et de la souris, d'un clavier étendu, d'une clef de sécurité pour que vous gardiez jalousement le monopole de votre machine et livrés avec MS DOS et Windows.
Le PC 2086 est un PC classique avec 640 K de mémoire, une vitesse de 8 Mhz.
Le PC 2286 est un AT avec un mégabit de mémoire, tournant à la vitesse de 12 Mhz.
Le PC 2386, fleuron de la gamme, a quatre méga de mémoire, un vitesse de 20 Mhz, et une mémoire cache de 64 K à 35 nanosecondes ; la mémoire cache, que certains appellent antémémoire, garde les données les plus utilisées sous la main pour aller encore plus vite, un turbot pour aller plus vite que les dauphins du grand bleu, en quelque sorte.
Un ou deux lecteurs de disquettes trois pouces et demi, des disques durs de 30 à 65 méga.
Voilà, j'ai tenu mon pari, vous avez tous les éléments de la gamme PC 2000 en moins d'une page, digressions comprises.

Pouce, monsieur l'auteur !

Car, moi, lecteur attentif, j'ai noté que vous disiez pis que pendre de Windows en 1986 pour le PC 1512, et que vous aviez mis GEM sur votre premier PC parce que cette interface graphique était meilleure que Windows ! Comment expliquez-vous cette volte-face ?

(Note de l'éditeur : j'aimerais bien savoir comment l'auteur va pouvoir se sortir de cette très bonne question piège ?)

Réponse :

C'est une très bonne question et je suis content que vous me l'ayez posée ; je pense toujours que GEM est plus facile à utiliser que Windows ; de plus pour utiliser Windows sans galérer, il faut maintenant près de 5 Méga ; et la vitesse sur un 8086, c'est une plaisanterie, Windows pédale dans une choucroute où on a rajouté de la semoule ; d'ailleurs pour ceux qui ont acheté un PC 2086 à disquette(s), la fourniture de Windows était une plaisanterie de mauvais goût, même si Windows était gratuit pour eux. Pour quelqu'un qui a un 386 (ou un 486) muni d'un disque dur supérieur à 100 méga, Windows est acceptable aujourd'hui. Mais je persiste et signe, GEM est une interface mieux conçue que Windows ; mais Windows, c'est Microsoft et Microsoft est un roi de la mercatique ; meilleur qu'Amstrad, car le logiciel, c'est du vent... qui passe à travers les fenêtres de Windows.

(Note de l'éditeur : même si l'auteur donne dans la facilité, il n'est pas mauvais dans le jeu de mots bilingue... il en faut.)

Pendant ma description de ces merveilleuses machines sur leurs drôles de processeurs et la parenthèse Windows, Pamela Amstrong a continué ; je la reprends au vol :

La gamme PC 2000 est vraiment destinée à faire une révolution dans le domaine des solutions professionnelles.

Aujourd'hui, Amstrad lance des produits qui vont conforter son succès. Des produits qui élargissent la panoplie des ordinateurs personnels pour répondre à tous les besoins... pour satisfaire tous les utilisateurs, du joueur fanatique au dirigeant de multinationale. Il n'existe pas d'autre constructeur avec une gamme aussi étendue.
Un commentateur a décrit Amstrad comme le « miracle industriel de la décade ». Le miracle continue.
Et maintenant, pour répondre aux questions que vous vous posez à propos de ces annonces sans précédent... voici Alan Sugar... et je vais lui poser la première question : quand ces machines seront-elles réellement disponibles pour le client final ?

Alan Sugar répondit :

— Demain.

Vous imaginez les ricanements dans l'assemblée représentative mais pas souveraine, malgré l'hilarité qui l'était (reine et souveraine).
Il y avait pourtant une part de vérité, les PC 2086 étant disponibles de suite, ce qui n'était pas difficile, vu que c'étaient des PC 1640 à la sauce VGA + 3 pouces ½. Les autres modèles étaient annoncés comme étant disponibles vers la fin de l'année, qui vivra verra.

Alan Sugar répondit aux questions de l'assistance avec sa verve habituelle, réservant quelques piques à Guy Kewney et à William Poel, protagonistes de l'aventure du CPC 464. L'après-midi fut consacrée à des séminaires spécifiques, orientés suivant le métier des invités.
Et PloP, une autre tasse de thé, et une nouvelle gamme d'ordinateurs Amstrad était lancée, la gamme professionnelle avec un grand P.

P comme prix : de 599 à 2 999 livres, sans la taxe à la valeur ajoutée que vous pouvez soustraire si vous êtes un professionnel et que vous êtes assujetti à la TVA. Ce qui nous faisait de 6 500 à 34 000 de nos francs hors TVA, si le cours de la livre ne nous jouait pas de tours entre-temps.
P comme presse : vous voulez vraiment que je vous parle du Groupe Tests ?

Paris, 19 septembre 1988

01Informatique publie un dossier complet suite à une enquête de satisfaction menée en collaboration avec le consultant américain Datapro. Le journal 01 Informatique est un hebdomadaire du Groupe Tests, le plus ancien et le plus lu : je sens que vous me voyez venir avec mes gros sabots... et vous avez tort ; en effet, nous pouvons lire dans l'introduction :
Au classement toutes catégories du meilleur rapport prix/performances, le Compaq 386 se fait souffler la première place par Amstrad.
Et l'on voit que le PC 1512 d'Amstrad obtient la note de 8,63 sur 10, juste devant le Compaq 386 avec la note de 8,48, et assez loin devant l'IBM PS/2 qui atteint la note de 6,93. À la question « Le recommanderiez-vous », 96,3 % des possesseurs d'Amstrad répondent oui, contre 95,7 pour Compaq et 85,3 pour IBM.
Après tout donc, les compatibles d'Amstrad étaient plutôt appréciés par les utilisateurs ; mais je rêve ! Rêve-je ? Non, c'est bien le Groupe Tests qui a descendu en flammes le PC 1512 à sa sortie, le même qui disait pis que pendre de nos machines. Voir cela écrit noir sur blanc mettait du baume au cœur ; admettons qu'il est parfois très difficile de reconnaître ses erreurs. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Un bon point pour le Groupe Tests, même s'ils ont un peu trop donné dans le « perseverare ».

L'ère des polémiques avec la presse est terminée ; Alan Sugar est même invité à déjeuner place du colonel Fabien : non, pas au PC du PC, mais au PC du Groupe Tests qui parle des PC dans ses journaux... si vous arrivez à vous y retrouver dans tous ces PC.

L'accueil réservé à la gamme PC 2000 dans la presse micro-informatique est donc dépassionné : les journaux annoncent une nouvelle génération de PC qui va, peut-être, permettre à Amstrad de rentrer dans les « Grands Comptes » en force. De plus, à plus de 30 000 francs, il est certain que nos PC 2000 ont des prix professionnels : ce n'est plus l'ordinateur pour le « routier et sa femme », selon le slogan d'Alain Michel Sucre.

Science et Vie Micro est certainement le plus dubitatif, en titrant à propos des PC 2000 : « Bombe ou pétard mouillé ? ». Les PC 2386 sont moins chers que la concurrence, mais l'éventail des prix se resserre : 60 000 francs pour un IBM ou Compaq équivalent, et on trouve un IPC en vente directe à 42 000 francs. C'est une nouveauté pour Amstrad, il va falloir se bagarrer dur. Les PC 2286 et 2386 ne sont pas des machines grand-public. Le grand-public n'avait pas besoin de quatre mégaoctets dans son ordinateur en 1988.

Par contre, Alan Sugar avait besoin de beaucoup de mémoire, de puces mémoire.

San Francisco, 4 octobre 1988

La société Micron Technology, Inc (Micron), basée à Boise dans l'Idaho, producteur de composants électroniques et de mémoires a annoncé aujourd'hui que la société Amstrad, de Brentwood en Angleterre, avait pris une participation de 45 millions de livres (75 millions de dollars) dans le capital de la société Micron. Cette prise de participation garantit en outre à Amstrad un approvisionnement en puces mémoire équivalent à 10 % de la production de Micron. Mr Alan Sugar a été invité à siéger au conseil d'administration de Micron.

Pendant plusieurs mois, la pénurie de DRAM, les puces mémoires qui équipent les PC (il en fallait 18 pour un PC 1512), avait été sévère pour tous les constructeurs. Amstrad avait perdu dans l'histoire la vente de plus de 200 000 PC, et comme tout ce qui est rare est cher, les DRAM qu'il arrivait à acheter atteignaient des prix prohibitifs. Son investissement dans Micron se justifiait donc principalement dans l'assurance de pouvoir disposer d'un volant minimum de composants ; beaucoup de journalistes s'étaient étonnés de voir Amstrad proposer une machine avec 4 mégas de mémoire en ces temps de pénurie ; ils avaient maintenant l'explication, d'autant plus que la garantie d'approvisionnement était valable trois ans.

Paris, octobre 1988

Le prix Veuve Clicquot « Femme d'affaires de l'année 1988 » est décernée à Marion Vannier. Un bon coup de publicité gratuite pour Amstrad France, une bonne récompense pour les efforts de Marion ; revers de la médaille, certaines mauvaises langues chez Amstrad transformeront le titre de manager de l'année en ménagère de l'année : il y a des misogynes partout !

Brentwood, 19 décembre 1988

Il neige sur Londres ; d'accord, ce n'est pas la neige franche et massive qui tombe parfois dans les Alpes ; elle ne tient pas et ne permet pas de faire la moindre boule de neige ; mais il y a des flocons, de vrais flocons.
Bureau de Bob Watkins : « Dis donc, Alan, puisque tu m'envoies à Hong Kong et à Tokyo à l'approche des fêtes, je suppose que tu ne vois pas d'inconvénient à ce que j'aille visiter notre filiale australienne pour Noël ? Gary Meyer (le directeur d'Amstrad Australie) m'a invité à partager un pudding le jour de Noël ! Au, moins, à Sidney, la mer est belle en ce moment... »

Montréal, 22 décembre 1988

Il fait plus froid qu'à Londres ou à Paris, dans les moins douze ; on me dit que nous avons de la chance, car il faisait moins vingt il y a trois jours ; rien à voir avec Amstrad, je viens passer Noël chez mes parents ; normal, les Bretons voyagent beaucoup.

Ayers Rock, 23 décembre 1988

Il fait chaud ; près de 40 degrés à l'ombre. C'est l'été. Non, je ne déparie ni ne divague, car la scène se déroule dans le « bush » australien, et comme chacun sait, décembre est un mois d'été en Australie.

Au milieu d'une petite tribu d'aborigènes, on remarque la présence de deux barbus de type européen, qui se préparent à partager la maigre pitance de la journée, l'éternel lapin accompagné de quelques racines...

— Je commence à en avoir ras le bol...
— Et moi donc ! Dire que cela va faire bientôt cinq ans que nous avons fui l'Angleterre...
— Y-en a marre ! Tu crois vraiment que les sbires d'Alan Sugar et de Bob Watkins sont toujours à nos trousses ?
— Je ne sais pas, mais la dernière fois qu'il nous ont repérés, c'était moins une...
— Tu crois pas qu'il y aurait prescription ? Finalement, nous ne sommes coupables que de grivèlerie intellectuelle...
— Et puis notre projet d'ordinateur, il était peut-être pas si mal foutu que cela...
— Ne dis pas de conneries, on n'y connaissait pas grand-chose, juste de quoi piéger un pigeon ; malheureusement, comme pigeon, on aurait pu trouver mieux que ce Sugar ; c'est de ta faute...
— On va pas recommencer... Si on allait plutôt voir à Sidney comment les choses se passent ; avec la dégaine qu'on se paie, on ne risque pas grand-chose...

Deux jours plus tard, deux Anglais hirsutes s'offrirent dans le meilleur « pub » de Sidney, le Christmas pudding le plus exquis de leur existence... il leur restait quelques livres sterling extorquées à Alan Michael Sugar, et Bob Watkins ne les a même pas reconnus.

Oui, l'informatique est un univers impitoyable (bis).

Amstrad et Alan Sugar vont en faire la dure expérience, une fois de plus. Mais ceci est une autre histoire, qui mérite un autre ouvrage, à elle toute seule...

À bientôt donc.

Et, comme disent les Anglais :

“See you later, alligator,
In a little while, crocodile.”

Ou, pour parler français :

« Tu n'as pas tort, alligator,
Te fais pas de bile, crocodile. »

En attendant, méfiez-vous des ordinateurs, ils sont quelquefois aussi dangereux que les crocodiles.

★ EDITEUR: QWERTY
★ AUTEUR: François QUENTIN

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CPCrulez[Content Management System] v8.7-desktop
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L'Amstrad CPC est une machine 8 bits à base d'un Z80 à 4MHz. Le premier de la gamme fut le CPC 464 en 1984, équipé d'un lecteur de cassettes intégré il se plaçait en concurrent  du Commodore C64 beaucoup plus compliqué à utiliser et plus cher. Ce fut un réel succès et sorti cette même années le CPC 664 équipé d'un lecteur de disquettes trois pouces intégré. Sa vie fut de courte durée puisqu'en 1985 il fut remplacé par le CPC 6128 qui était plus compact, plus soigné et surtout qui avait 128Ko de RAM au lieu de 64Ko.