PEOPLESCES ORDINATEURS SONT DANGEREUX ★ CHAPITRE III ★

Ces Ordinateurs Sont Dangereux: L'aventure Amstrad - Chapitre 03

LES ANGLAIS ONT DéBARQUé
où l'on voit les premiers pas d'une machine promise à un certain avenir

Sèvres, lundi 3 septembre, 6 heures du matin, 143 Grande Rue.

— Bonjour Marcellin, tu vas bien ?
— Ça fait plaisir de te voir, tu as fait bon voyage ?

C'est la première fois que je vois Marcellin. Nous avons souvent parlé au téléphone et ça fait drôle de mettre une tête sur une voix.
Marcellin me fait visiter les nouveaux locaux d'Amstrad France. Il vient de terminer le déménagement et les locaux lui paraissent spacieux en comparaison du deux pièces cuisine du 1 de la rue des Caves. Il y a quatre bureaux et un petit magasin de stockage.

— À mon avis, il faudra déménager avant un an !
— ?? Je viens de finir le déménagement, laisse-moi le temps de respirer !

Coïncidence bizarre, l'adresse à Sèvres est la même que mon adresse en Angleterre : 143 High Street, et j'y vois un signe favorable.
Comme il se doit, nous redéménagerons huit mois plus tard et Marcellin m'attribuera un don de double vue que je suis loin d'avoir.

— Il va falloir que tu m'expliques les micro-ordinateurs, je n'y connais rien !

Je rassure Marcellin en lui disant que trois ans auparavant, je n'en connaissais pas beaucoup plus que lui aujourd'hui.
Je m'empresse de lui faire une démonstration complète sur le CPC 464 tout en lui exposant les atouts de la machine face à la concurrence.

— Tu crois qu'on va en vendre beaucoup ?
— Si on en vend pas 100 000 en 1985, je veux bien être pendu !

Marcellin reste sans voix.

Je n'aurai pas besoin de me pendre et la conviction de Marcellin dans mes qualités divinatrices sera ancrée définitivement.

Mais, pour le moment, nous n'avons pas encore vendu une seule machine et les premiers signes ne sont pas encourageants. L'ensemble des revendeurs a déjà pris ses dispositions pour les ventes de fin d'année, et les principaux acteurs du marché ont constitué leurs stocks de Thomson TO7, Commodore 64, Spectrum et autres Oric. L'arrivée du CPC 464 sur le marché est trop tardive pour changer leurs plans et, début septembre, personne n'a encore entendu parler de la machine, aucun essai de la machine n'est encore apparu dans la presse spécialisée.

Mais cela va changer.

Très vite.

Le raz de marée, le bouleversement, la révolution, l'ébullition, l'hystérie, la tornade, l'ouragan, le cyclone, le déferlement : les qualificatifs, dans leur exagération, rendent compte d'un phénomène irréversible : le CPC 464 va changer les données du marché. Détail important, toutes les publicités qui vont paraître contiennent un coupon à nous renvoyer pour recevoir une documentation complète.

La première publicité va paraître dans le numéro spécial de l'Ordinateur Individuel consacré au Sicob, qui sort quelques jours avant le début du Sicob.

Le lendemain de la sortie de ce guide, nous recevons une trentaine de coupons. Le surlendemain, quatre-vingts, le jour suivant plus d'une centaine. Au bout d'une semaine, nous recevons deux cents coupons par jour, au bout de quinze jours nous approchons les quatre cents.

Nous avions commandé aux Anglais 10 000 documentations en urgence, une brochure de huit pages en couleurs ; devant l'avalanche de coupons, nous commandons en catastrophe 50 000 brochures supplémentaires, sachant que début octobre, quatre autres journaux micro-informatiques vont faire paraître une double page et que le Sicob nécessitera plusieurs milliers de brochures.

Parallèlement à cette avalanche de coupons, les clients potentiels font le tour des boutiques pour essayer de trouver la machine introuvable. Les revendeurs essaient de faire la dérive : « Vous ne préféreriez pas un Commodore 64 ou un Spectrum ? » Rien n'y fait. Les gens veulent du CPC. Aussi les revendeurs téléphonent au siège d'Amstrad. Le coupon portait le numéro de téléphone d'Amstrad. Patatras, le standard téléphonique saute sans interruption. Nous avons beau ajouter des lignes supplémentaires, les appels de clients et de revendeurs engorgent le standard.

Courant septembre, le personnel d'Amstrad France va augmenter régulièrement. De trois au début septembre, il atteint vite une douzaine qui ne sont pas de trop pour prendre les appels et faire face à l'immensité de la tâche qui nous attend. Il a fallu engager des comptables, des commerciaux, des techniciens. L'euphorie ambiante galvanise les énergies et permet rapidement d'amalgamer des personnes venues d'horizons divers et de créer une équipe soudée.

J'ai fini par trouver une petite place sur le Sicob : après quelques refus polis, un éditeur de livres, Sybex a accepté de mettre un CPC 464 sur son stand. Le directeur de Sybex, Jean-Pierre Appert, a vu le potentiel de la machine et sait que la demande de livres pour une nouvelle machine est toujours très forte ; il prévoit la sortie rapide d'une dizaine de titres pour accompagner les débuts de la machine, et le premier titre paraîtra fin octobre. Un atout de plus dans la manche du 464.

Nous en profitons pour donner rendez-vous aux futurs revendeurs sur le stand Sybex au Sicob, ce salon étant un passage obligatoire pour tout revendeur de micro-informatique. Entre-temps, plusieurs revendeurs sont venus nous voir à Sèvres. La plupart, déjà intéressés, sont vite convaincus après avoir assisté à une démonstration de la machine. Beaucoup accompagneront Amstrad dans sa croissance et ne regretteront pas d'avoir fait le bon choix.

Parmi ceux-ci, j'ai choisi de vous en présenter six, chacun étant représentatif d'une catégorie de revendeurs, et ils vont tous contribuer à l'histoire d'Amstrad et entrer dans la légende.

Il y a parmi eux un revendeur « traditionnel » parisien, Général Vidéo, un revendeur de la proche banlieue, Micro Bureautique 92, un revendeur d'Orléans, la société M.E.R.C.I., un multispécialiste, la Fnac et particulièrement la FNAC Montparnasse, le magasin Carrefour de Montesson et la Redoute à Roubaix, celle qui livre en 24 heures chrono.

Micro Bureautique 92, dirigée par Yves Gérard, un homme flamboyant doté d'un bagout exceptionnel, commercialise plutôt des systèmes professionnels sur la base d'ordinateurs Sanco. Yves Gérard a vu les possibilités de diversification qu'apportait le CPC 464, lui permettant d'attaquer le marché des micro-ordinateurs domestiques. Après avoir vu la machine, il passe immédiatement une commande importante et se lance dans l'aventure à fond.

Saisissant l'occasion qui se présente, il nous propose une idée pour le Sicob ; après avoir téléphoné au centre commercial des Quatre-Temps à la Défense, situé à deux pas du Sicob, il obtient la permission de monter un stand improvisé dans une allée commerçante du centre, juste au débouché d'un escalier, au premier étage. Il loue du matériel d'exposition et nous installons une demi-douzaine de machines sur le stand qui est officiellement un stand MB92, mais que tout le monde considérera comme le stand Amstrad.

Les machines sont arrivées à Garonor le lundi 17 septembre et les 24 heures qui précèdent l'ouverture du 19 septembre sont trépidantes.

Près de la machine installée sur le stand Sybex, nous indiquons la présence d'Amstrad dans le centre commercial et photocopions à un millier d'exemplaires un plan détaillé pour s'y retrouver dans le dédale des Quatre-Temps. Les jours suivants, le centre d'accueil du Sicob, submergé par les demandes des clients potentiels, sera obligé d'apprendre ce plan par cœur, et le bouche-à-oreille fera le reste. Au cours du salon, MB92 prendra plus de cent cinquante commandes fermes, et nouera des contacts profitables avec des centaines d'autres clients.

Les unités centrales étant colisées par 6, ce sera le montant de la commande minimum ; si pour quelques revendeurs de province, cette quantité paraît un peu élevée, il va vite nous falloir fixer un contingent maximum pour les premières livraisons, la demande étant beaucoup plus importante que les estimations conservatrices antérieures. Le planning jusqu'à fin janvier avait été fixé comme suit :

— 1 000 unités devaient arriver vers le 15 septembre,
— 1 500 pour le 20 octobre,
— 1 500 pour le 26 novembre,
— 3 000 pour le 10 décembre,
— 6 000 pour le 20 décembre,
— 7 000 pour le 25 janvier 85.

En août 1984, Alan Sugar nous avait royalement accordé 8 000 CPC 464 à vendre pour cette période. Après moult supplications, il avait raclé ses fonds de tiroirs et consenti à faire une légère ponction sur les machines attribuées au marché anglais.

Dès la fin du mois de septembre, il devint évident que ces quantités seraient insuffisantes pour satisfaire la demande. Les consommateurs finaux allaient pousser les revendeurs à augmenter leurs commandes. Et il deviendra difficile d'évaluer la demande réelle, les clients passant commande d'une machine chez plusieurs revendeurs dans l'espoir de multiplier leurs chances d'avoir l'objet de leur désir. Les revendeurs commencèrent à se lamenter en se voyant refuser les quantités qu'ils étaient quasiment sûrs de pouvoir vendre.

« Vous m'égorgez, tout ce chiffre d'affaires que je ne vais pas faire pendant les fêtes de fin d'année, je pourrais en vendre dix fois plus que ce vous me donnez, allez, faites un effort... »

La demande était telle que les récriminations à propos des marges avaient pratiquement disparu. Les constructeurs de micro-informatique avaient l'habitude de donner des marges de 30 à 40 %, voire plus. Ce qui conduisait à des prix cassés dès que l'offre dépassait la demande et que les revendeurs voyaient monter leur stock.

Amstrad avait fixé la remise de base à 15 % avec un petit pourcentage supplémentaire à partir d'un certain seuil. Au tout début, certains revendeurs avaient tiqué :

« Comment voulez-vous qu'on vende avec un bénéfice de 15 % ? » Automatiquement, nous leur répondions : « Vous ne vendez pas la machine, elle se vend toute seule. » Mais la pénurie faisait avaler cette pilule très facilement, avec l'argument massue qui s'ensuivait :

— Il vaut mieux vendre 100 Amstrad à 15 % qu'une demi-douzaine de Thomson à 30 % !
— Alors, donnez-moi 100 Amstrad !

Retour à la case départ ; il fallait consentir à rajouter quelques machines aux plus insistants.

On voyait souvent à cette époque des revendeurs nous faire un chèque en blanc en nous disant :

« D'accord, je ne dois recevoir que 24 machines, mais si vous pouvez en rajouter une douzaine, ça m'arrangera et vous mettez, le montant vous-même. »

Incroyable, mais vrai.

Durant le Sicob, près d'une centaine de revendeurs vont commander des CPC 464, ce qui permet d'étoffer la liste des revendeurs qui ne contenait que dix-sept noms avant le Sicob. Cette liste sera jointe aux documents envoyés aux clients, soumettant lesdits revendeurs à un défilé ininterrompu auquel ils n'étaient pas habitués. La crédibilité commerciale d'Amstrad naissante se renforçait de jour en jour. La presse, spécialisée ou non, soumise aux coups de téléphone de leurs lecteurs, avait profité de notre mini-stand au Sicob pour prendre contact avec nous et réclamer des machines d'essai.

Votre Ordinateur de Novembre relatait notre passage au Sicob avec humour dans un petit entrefilet intitulé «L'astuce d'Albion » :

Astucieux. Certains exclus du Sicob, par manque de temps ou de place, se sont quand même débrouillés pour exposer dans le sacro-saint temple de l'informatique à la Défense Exemple : Amstrad, qui, ne voulant absolument pas manquer l'occasion de montrer son dernier ordinateur, s'est tranquillement installé au centre de la galerie commerciale. Quel flegme, ces Britanniques !

La réussite de ce Sicob ôta les derniers doutes que pouvait avoir Marion quant à l'étendue du succès futur de la machine et confirma les espoirs d'Alan Sugar au niveau du marché européen.

Le soir de la fermeture du Sicob, Yves Gérard nous invita à un dîner mémorable chez Charlot, le roi des coquillages de la Place Clichy (publicité gratuite) ; l'optimisme euphorique n'était pas uniquement dû aux bouteilles de Gewurtztraminer écoulées.

La saga de Général Vidéo est parallèle à celle d'Amstrad : Général Vidéo est devenu et reste encore aujourd'hui le revendeur traditionnel le plus important d'Amstrad France. Créé par Olivier Dewavrin, ce magasin du Boulevard de Strasbourg à Paris avait récemment pris le virage de la micro-informatique tout en continuant à développer son rayon principal vidéo. La vidéo lui avait permis de rentrer sur le créneau des comités d'entreprise et il allait en profiter pour leur proposer l'Amstrad CPC 464. Olivier Dewavrin avait subi peu de temps auparavant une faillite retentissante dans la HI-FI. Sous le nom de King Musique, il avait créé des magasins spécialisés dans la HI-FI et ses camions noirs et jaunes sillonnaient la France.

Des erreurs de gestion avaient conduit à la faillite, mais, tel le phénix, il renaissait de ses cendres.

Je pris rendez-vous avec Olivier Dewavrin et son associé Monsieur Colin, dans leur magasin du Boulevard de Strasbourg. J'avais noté une publicité de Général Vidéo dans un journal micro-informatique et j'appris qu'ils avaient commandé 48 machines. Ayant apporté avec moi une documentation complète et mon comparatif soi-disant confidentiel, il ne me fut pas difficile de leur faire comprendre l'attrait de la machine : ils étaient déjà convaincus.

Ce qui changea, c'est leur perception des quantités qu'ils pouvaient vendre : quand je quittai le magasin, j'avais en poche une commande programmée de cinq cents machines. Ils ne l'ont pas regretté. Quant à nous, le plus difficile fut d'honorer cette commande dans sa totalité, compte tenu des commandes ultérieures provenant d'autres revendeurs. Mais nous y parvînmes. Général Vidéo avait trouvé une nouvelle rampe de lancement.

La Redoute était déjà un client d'Amstrad. Dans leur catalogue, les chaînes audio Amstrad avaient occupé le créneau des produits économiques : bien sûr, ce n'était pas la chaîne HI-FI 2×100 Watts avec double débrayage rétro-suspensif et variateur d'hyperfréquence automatique tenant compte du taux hygrométrique et de la pression barométrique compensée, mais c'était solide, complet et sans histoire. L'acheteur HI-FI et micro de la Redoute, Francis Vanacker, appréciait la fiabilité des produits Amstrad et voulait développer la gamme micro-informatique. Il avait subi avec énervement le manque de fiabilité des micro-ordinateurs qu'il avait présentés dans le catalogue et se disait que, peut-être, Amstrad disposait d'un produit plus sûr. Le fait que le produit était complet éliminait le problème de la compatibilité hypothétique des lecteurs de cassette et des téléviseurs que ses clients ne manquaient pas de rencontrer avec les autres micros. Ce problème est critique dans la vente par correspondance, dans la mesure où les allers-retours par la poste ont vite fait de grever les coûts de gestion, sans parler des humeurs des clients et de l'image atteinte de la Redoute. Les tests rigoureux effectués dans le laboratoire de la Redoute finirent par le convaincre que le CPC 464 était le produit qu'il lui fallait.

Il réserva donc la plus grande partie d'une page pour le catalogue Printemps-Eté 85 qui paraissait traditionnellement entre Noël et le Nouvel An, non sans avoir usé de sa persuasion auprès de sa direction pour inclure dans le catalogue un produit non encore vendu, d'autant que les autres pages précédentes consacrées à la micro-informatique n'avaient pas montré une rentabilité délirante, c'est le moins qu'on puisse dire. Les relations plutôt favorables entre Amstrad et la Redoute allaient tourner au beau fixe, et malgré quelques petits nuages, elles sont restées solides comme le roc. Amstrad en 1991 représente plus de la moitié de l'offre micro-informatique de la Redoute.

Il faut dire qu'Amstrad détient un record avec la Redoute : la page représentant le CPC 464, puis le CPC 6128 en 1985 a apporté en 85 le chiffre d'affaires le plus important de toutes les pages du catalogue de la Redoute, plusieurs dizaines de millions de francs (le chiffre exact est Top Secret, concurrence oblige). Francis Vanacker va devenir un interlocuteur privilégié d'Amstrad : il est toujours bon, dans la distribution, de pouvoir compter sur des hommes compétents capables de donner des conseils éclairés sur les nouveaux produits que vous voulez mettre sur le marché.

Autre revendeur, à la fois typique et atypique, la société M.E.R.C.I. à Orléans (M.E.R.C.I. signifiant Maintenance Electronique Reconditionnement et Construction Informatique, merci de le préciser, car ce n'est pas évident). Créée par Jacques Millon, un ancien de Matra qui connaissait plus les gros systèmes et les télécommunications, elle est typique dans le fait que c'est une jeune société qui voit dans le CPC 464 le produit arrivé à maturité qui leur permet d'attaquer la micro-informatique familiale sans crainte, atypique parce que le bagage technique et technologique du personnel de base (y compris le patron) est supérieur à celui de la plupart des autres revendeurs. Il n'a accepté de se lancer dans l'aventure qu'après avoir démonté et décortiqué le CPC 464 : il a apprécié le professionnalisme que montraient les circuits, l'ingéniosité des solutions sur le plan hardware et firmware et conclu à la fiabilité de l'ensemble ; atypique aussi dans la gestion de la croissance de sa société. La plupart des boutiques micro-informatiques ont tendance à voir trop grand et à favoriser le côté commercial ; son origine « grands systèmes » le pousse à privilégier le service et la maintenance, à fidéliser le client face à la déferlante des hypermarchés qui ne manquera pas d'arriver dès que le produit sera banalisé.

Dès le démarrage, il montre un enthousiasme qui ne se démentira pas au fil des années, accompagnant Amstrad tout au long de son parcours. Nous le retrouverons à toutes les étapes de l'histoire Amstrad.

Le magasin Carrefour de Montesson représente un autre volet de la commercialisation des CPC 464. En 1984, la micro-informatique familiale n'avait pas encore envahi les super et hypermarchés. Seule une poignée de magasins osait s'aventurer dans ce qui n'était pas encore tout à fait un marché de masse. La saisonnalité (nouveau mot signifiant caractère saisonnier) du produit était évidente, et certains hypermarchés le rangeaient plutôt dans le rayon des jouets et cadeaux de fin d'année. Exception dans la région parisienne, le Carrefour de Montesson avait un rayon micro-informatique plus que décent : le chef de rayon était compétent, la présentation du rayon était avenante, les clients pouvaient bénéficier des conseils de vendeurs dont la culture informatique était réelle. Enfin, coïncidence heureuse pour moi, le directeur du magasin était un ami avec qui j'avais fait le service de coopération comme enseignant au Maroc. Apprenant que j'étais rentré chez Amstrad, il m'avait invité à venir lui présenter la machine, en présence de son équipe du rayon micro-informatique.

Est-il besoin de conclure ? Le Carrefour de Montesson devint revendeur Amstrad, un des plus performants à l'ouest de Paris, un modèle de ce que devraient être les rayons micro-informatiques dans les grandes surfaces. Malheureusement, un grand nombre d'entre eux ne méritent que leur nom de « pousseurs de carton ». Mais c'est une autre histoire.

Dernière catégorie de notre panorama de la distribution, ce qu'on appelle dans notre jargon les multispécialistes, à savoir les Darty, Conforama, Boulanger dans le Nord, Hypermédia et bien entendu, la FNAC.

De tous les revendeurs cités en exemple, la FNAC fut à l'origine le plus réticent. La raison fondamentale tient à la structure de la FNAC : leur souci de planification et une certaine lourdeur administrative les conduisaient à passer en été leurs commandes pour la fin de l'année, même si la livraison était étalée dans le temps : lorsque nous rendîmes visite à leur acheteur micro-informatique en septembre, les gens de la FNAC s'étaient déjà engagés et leur documentation ne mentionnait pas Amstrad, évidemment. Victor Jackimovitz, acheteur à l'époque (mais il a beaucoup monté en grade) eut l'honnêteté de reconnaître que leur laboratoire de test avait plébiscité l'Amstrad, c'était vraiment tard pour changer son fusil d'épaule.

— Qu'est-ce qu'il vaut mieux, Victor, vendre des Amstrad ou s'asseoir sur ton stock de Commodore, ou Thomson, ou Spectrum le 31 décembre ?
— Ben !!????

Il fut décidé que la FNAC prendrait quelques machines à l'essai, pour voir.

Quelque temps plus tard, Victor apprit par la bande qu'un concurrent direct (Hachette Opéra, qui a abandonné l'informatique depuis) avait commandé un nombre non négligeable de machines. Piqué au vif, et ayant probablement entre-temps, reçu des échos sur l'accueil éminemment favorable réservé au CPC 464, il nous appela pour commander un wagon de machines. Malheureusement, entre temps aussi la demande s'était emballée et les livraisons d'octobre et novembre étaient déjà réservées, et plutôt deux fois qu'une. Ne voulant pas néanmoins hypothéquer le futur et sachant que la FNAC serait un passage obligatoire, il fallut se débrouiller pour leur livrer suffisamment de machines pour les faire patienter et montrer notre bonne volonté. Alan Sugar accepta d'ajouter un conteneur supplémentaire pour les cas comme celui-là.

La FNAC vendit donc quelques AMSTRAD sur la fin de l'année. Pas la moitié du tiers du quart de ce qu'elle aurait pu vendre, mais, que voulez-vous, il y a des trains qu'il ne faut pas manquer.
La FNAC se rattrapera en 85 ; la structure n'est pas hyper légère, mais quand le train est lancé, c'est plutôt du genre rouleau compresseur. La FNAC sera dans le quarteron de tête en nombre de machines vendues en 85. Tout est bien qui finit bien. Embrassons-nous, Folleville.

Voilà. Vous avez maintenant une petite idée du PAAF (Paysage des Amis d'Amstrad France), certainement plus réjouissant que l'autre PAF. Disons une idée au niveau de la distribution ; car maintenant, il nous faut parler de la presse, où Amstrad va se faire des amis et quelques ennemis (on ne peut pas plaire à tout le monde).

Ah, la presse ! Les journalistes ! Les médias ! Un monde à part, des personnalités hors du commun, un outil difficile à manier, des susceptibilités à fleur de peau, la fascination de la chose imprimée (c'est vrai puisque c'est dans le journal), des professionnels véritables côtoient des fumistes intégraux, les conflits entre l'éthique des rédacteurs et la nécessaire présence de la publicité, les conférences de presse et les communiqués de presse qu'il faut se farcir, zut, où est le sujet et le verbe, j'en ai oublié de construire ma phrase.

La presse informatique en 1984 est donc pléthorique, en effervescence. Un mastodonte domine : le groupe Tests, avec 01 Informatique qui traite principalement de la « Grande Informatique », gros systèmes genre IBM et Digital Equipement et commence à lorgner du côté de la micro-informatique depuis qu'IBM a lancé son PC ; un autre hebdomadaire, Décision Informatique, plus orienté micro, mais micro professionnelle et micro personnelle : la micro-informatique familiale, c'est réservé aux mensuels type l'Ordinateur Individuel ou Votre Ordinateur. Le groupe Tests lancera un mensuel dédié aux machines Amstrad, Micro Strad, en 1985, qui ne durera pas longtemps, étant arrivé trop tard sur le marché, face à Amstrad Magazine et CPC Magazine. Une autre publication, l'Ordinateur Personnel, naviguait plus ou moins dans la galaxie du groupe Tests et sera incorporé à l'Ordinateur Individuel pour cause de double emploi, l'année suivante. D'autres réorganisations et fusions surviendront quand le Groupe Tests sera racheté par CEP Communications.

Le Groupe Ventillard, spécialisé dans la HI-FI et l'électronique publiait (et publie toujours) Micro-Systèmes, plutôt destiné aux rois du fer à souder, montrant comment on pouvait réaliser de petits circuits d'interface et décortiquant les puces en détail. Le rédacteur en chef quittera bientôt le groupe pour fonder son propre groupe, Exa Publications dont le fer de lance est le mensuel Soft et Micro.

Science et Vie Micro avait presque un an. Créé par le groupe Excelsior pour bénéficier de la locomotive qu'était Science et Vie, Science et Vie Micro est alors en passe de devenir le leader de la profession à moins qu'il ne le soit déjà. Mais pendant les cinq-six ans consacrés à l'histoire d'Amstrad, c'est le journal de référence, dont la circulation sera généralement le double de celle de son concurrent immédiat. Donc attendez-vous à le voir cité souvent.

Il y avait d'autres journaux aujourd'hui disparus : Micro V.O., à moins que soit Micro 7 qui avait absorbé Votre Ordinateur, Le Petit Ordinateur Illustré. Parmi les autres titres qui vont se développer avec la micro-informatique professionnelle, Info PC Micro Ordinateurs, PC Informatique, PC News, PC Magazine, j'en oublie certainement.

Parmi les journaux consacrés aux jeux, TILT est le mensuel le plus lu et le groupe Excelsior, avec Jeux et Stratégies, intègre de plus en plus d'informatique dans un journal auparavant plutôt consacré aux jeux de société, de rôle et de réflexion.

Enfin, le vilain petit canard, déjà cité auparavant, l'hebdomadaire informatique satirique paraissant le Vendredi, j'ai nommé Hebdogiciel, l'HHHebdo comme il s'intitule parfois.

Dans ce petit monde de la presse micro-informatique, la valse des journalistes est parallèle à la valse des titres. Au cours de ces six années, seul Science et Vie Micro gardera une rédaction stable. Certains rédacteurs ont fait pendant ce temps le parcours complet de la presse spécialisée micro-informatique, et j'avoue que j'avais parfois du mal à rattacher tel journaliste à tel journal.

Un dirigeant du Groupe Tests qui venait de CEP Communications et plus précisément de l'Usine Nouvelle me dira en 1989 que ce qui l'avait le plus étonné en réorganisant les journaux micro du groupe Test, c'était la minceur du bagage technique d'une bonne partie des journalistes micro-informatiques : leurs articles manquaient de profondeur. Il est évident que ceux qui ont survécu à cette période préhistorique de la micro et aux différentes purges, sont ceux qui ont su progresser ou avait déjà une culture technologique. Mais il y avait en 1984 un certain nombre d'arsouilles devenus journalistes informatiques car ils avaient un brin de plume ET un ordinateur, qu'ils avaient su bidouiller, de préférence la nuit. (des noms ! des noms ! non !). Donc, sauf exception, je me contenterai de citer les bons.

Donc la presse va parler du CPC 464. Octobre, novembre et décembre verront des essais de l'Amstrad se succéder dans la quasi-totalité des revues spécialisées et dans quelques titres de la grande presse. Un ami m'a même fait parvenir un banc d'essai élogieux du CPC paru dans le Télégramme de Brest ; comme quoi les Bretons ne s'occupent pas que de folklore.

Disons que dans l'ensemble, les réactions sont plutôt mitigées, même quand elles sont favorables : ce n'est pas la dithyrambe de la presse anglaise, ni l'hystérie de la presse espagnole. C'est une approbation de bon ton, qui n'ose pas trop montrer son enthousiasme (s'il y en a). Les éloges sont plutôt réservés aux machines MSX, parce qu'elles sont au Standard MSX.

Pour moi, un standard se justifie a posteriori quand les machines se sont suffisamment vendues pour s'appeler un standard. Mais une machine standard, a priori, ça me faisait marrer et ça me fait toujours marrer. Comme aujourd'hui, le standard D2Mac (paquet) pour la télévision et leurs satellites superpuissants TDF1 et TDF2 qui tombent en panne. Vous avez vu des téléviseurs D2Mac ? Vous connaissez des gens qui ont acheté une antenne satellite pour capter TDF ? Ah bon, vous avez de la chance !

Et qu'est-ce qu'ils voient, ces braves gens ? La Sept. C'est bien. Et puis ? Ben... ça va venir, si les tubes ne pètent pas.

Pendant ce temps, il y a un satellite Astra qui tourne depuis plus d'un an. Il a seize canaux qui marchent et sur lesquels il y a des programmes. Et ça marche. Amstrad Angleterre a vendu près d'un million d'antennes en Europe (sauf en France, l'importation commerciale est interdite), pour pouvoir capter les émissions du satellite ASTRA. L'antenne complète est vendue en Angleterre moins de 2 000 francs. Vous savez combien coûte une antenne pour capter TDF1 ? Renseignez-vous.

Horreur, dit le gouvernement français, Catherine Tasca et Paul Quilès en tête, le satellite Astra émet en Pal, qui comme chacun sait, n'est pas un supplice médiéval mais un standard dépassé qui ne vaut pas le merveilleux D2Mac, fruit de la technologie française.

Et comme d'habitude, vous, petits Français méritants, vous pouvez faire tintin avec le satellite alors que moi, dans mon manoir beauceron, j'ai une antenne satellite (Amstrad, of course, pas cher, 2 000 francs) et je capte les 16 chaînes Astra. D'accord, la plupart sont en anglais. Et la chaîne sportive parle français. Et puis je comprends un peu l'anglais. Mais les standards qu'on essaie de vous imposer, ça me fait rigoler.

Donc, fin de la polémique.

Fin du MSX, aussi. Enfin, certains revendeurs en auront plein leurs placards, parce qu'une partie de la presse micro-informatique leur aura prouvé que le MSX, c'était l'avenir. L'avenir, comme aurait dit Pierre Dac, ils l'ont eu dans le dos.

Toutes ces pérégrinations digressives pour dire que la presse française n'était pas aussi enthousiaste que je l'eusse aimé. Normal. J'étais partial. Mais quand même. Un seul journal a perçu l'ouragan qu'allait représenter le CPC 464. Un sur trente. Modérons. Une dizaine lui ont promis un bel avenir. Ce n'est déjà pas mal. Si le CPC 464 avait été français, on aurait cassé la baraque ! Mais il était anglais. Donc la presse anglaise a été aussi chauvine que la presse française l'eut été si...

Alors, ces réactions de la presse française, ça vient ? Le premier à publier un essai complet est Micro 7 ; bon article, plutôt positif, intitulé « Le défi par le prix ». Un chapeau classique, bien :

Une approche originale dans le domaine de la micro familiale : une machine vendue avec un moniteur vidéo, monochrome ou couleur pour un prix très attractif. Chose rare par les temps qui courent. L'initiative n'est pas japonaise mais britannique. Amstrad est une firme bien connue outre-Manche dans le domaine de la HI-FI grand public.

Suit un article favorable mettant en avant la vitesse du BASIC, qui possède une « certaine orthogonalité des instructions entrées/sorties », plutôt descriptif. La conclusion est, disons, du genre expectatif :

En résumé, Amstrad a beaucoup d'atouts en main, il lui reste à prouver sa fiabilité et un réseau de distributeurs solides pour entamer une carrière en deçà et au-delà de la Manche.

Votre Ordinateur, novembre 84 est nettement plus enthousiaste :

SéRIEUX ET SéDUCTION : lignes élégantes, ensemble compact, son élaboré, écran de qualité, Basic interne, horloges internes indépendantes, fenêtres, prix raisonnables... Nos essayeurs ont eu bien du mal à trouver des défauts au nouvel Amstrad.

À lire ce début, je me suis dit, c'est inzepoket (= in the pocket = dans la poche). Le CPC 464 a droit à 19 étoiles sur le maximum de 20, la machine la plus proche arrivant à 14 étoiles 0. Le reste de l'article est à l'avenant avec une conclusion... Lisez vous-mêmes :

Le CPC 464 d'Amstrad est un fameux ordinateur. Il représente un pas en avant important, notamment dans sa conception : ensemble compact, écran de qualité, pour une somme très très raisonnable.

Voilà. Et si après cela vous n'achetez pas un CPC 464, c'est à y perdre son latin.

Mais peut-être vous ne lisez pas Votre Ordinateur ?

Alors voyons Science et Vie Micro.

Dans SVM du mois d'octobre 84, un essai Flash sur 2 pages, (l'essai complet viendra plus tard) sous le titre « Amstrad CPC 464, la vitesse supérieure ».

Chapeau :

Que diriez-vous d'un ordinateur familial avec 64 Ko de mémoire vive, un clavier mécanique, un lecteur de cassette incorporé et un moniteur monochrome, l'ensemble pour 2 990 francs ? L'Amstrad CPC 464 risque bien, avec de tels atouts, d'inquiéter quelque peu des concurrents moins audacieux...

Audaces fortuna juvat, comme disent les pages rousses du petit Larose.

L'auteur de l'article, Bruno Ferret, (oui, il a le droit à une nomination, lui) poursuit par un article globalement positif et semble avoir entendu mon message : « L'Amstrad se démarque donc facilement, et semble même ne pas avoir à craindre l'arrivée du standard MSX. »

Ben voyons !

Conclusion sous forme de deux tableaux :

Le plus : SVM APPRÉCIE

— le rapport qualité/prix
— le Basic, rapide et puissant
— la présence de CPIM sur le lecteur de disquettes
— la présentation tout en un

Le moins : SVM REGRETTE

— l'éditeur un peu simpliste
— l'absence d'interface RS232 (en standard)
— l'absence d'instruction PAINT

Un bon point pour l'allusion MSX, le reste est impartialement correct et positif. Plus l'intertitre du train d'enfer du Basic que j'ai déjà piqué sans mentionner l'origine.

Venons-en à Micro-Systèmes, le journal des bricoleurs de la micro-informatique ; comme il se doit, les lecteurs ont la primeur d'une photo de la carte-mère avec tous les circuits et processeurs, dans le simple appareil d'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil, autrement dit la machine déshabillée.

L'essai fait six pages qui mélangent allègrement les explications techniques, plus fouillées que dans les autres essais, la description de la machine et les photos. Il louange le Basic, le clavier, le son (tout en disant qu'il n'y connaît rien, heureusement pour moi), mais critique l'éditeur (oui nous savons), les instructions INK et PAPER, et la clarté brumeuse du manuel (et mon ego, alors ? heureusement que SVM parle du «manuel d'utilisation très complet et plein d'humour »... ?). Mais la conclusion rachète bien des choses : « Le CPC 464 possède tous les atouts pour devenir l'un de best-sellers de cette année. »

Et alors, ces essais, ils sont plutôt favorables ! Pourquoi se plaindre et attaquer ces pauvres journalistes ? La moindre petite critique vous est-elle contrariété ? Montez-vous sur vos grands chevaux dès que l'on cherche noise à votre Amstrad ?

Que nenni ! Ces articles étaient de bons articles, objectifs, pesés, soupesés, empesés, pétris de l'éthique journalistique la plus noble. Mais j'attendais quelque chose d'un peu délirant. Je fus servi. Le 30 novembre 1984 atterrissait sur mon bureau un journal hebdomadaire qui avait la taille d'un quotidien, le papier d'un quotidien (c'est moins cher), et un titre sur cinq colonnes à la une :

« CET ORDINATEUR EST DANGEREUX »

Au milieu de la page, une photo couleur de mon Amstrad CPC 464. Je pâlis, je blêmis, je verdis (on dirait veni, vidi, vici, c'est épique comme dans César), et je lus l'article que voici que voilà :

CET ORDINATEUR EST DANGEREUX

Les 4 600 premiers Amstrad CPC 464 arrivés en France se sont vendus en deux semaines. Les Anglais en sont fous, nos voisins Allemands se le disputent au rythme de 6 000 par semaine, partout c'est la ruée. Son prix, moniteur fourni, est particulièrement bas, mais est-ce la seule raison de ce raz de marée ?

LE FLEGME BRITANNIQUE

Alan était calme, très calme. Dans son bureau londonien, une tasse de thé à portée de la main, il regardait le marché mondial de l'informatique se développer sans lui.

« Monsieur, Monsieur, c'est le moment, allons-y, regardez Sinclair, regardez Commodore, regardez Texas et les autres ! » se plaignaient ses proches collaborateurs.

Mais Alan se contentait de sourire, l'arme était prête et il savait qu'il fallait attendre encore.

« Monsieur, Monsieur, les Japonais sont là avec leur MSX, nous y allons cette fois ? »

Rien n'y faisait, il continuait à déguster calmement son thé, jour après jour, sans donner l'ordre d'attaquer.

Qui aurait pu croire en le voyant installé dans son fauteuil chesterfield, que c'était lui qui avait déjà défoncé le marché britannique de la HI-FI, déchiqueté celui des autoradios et fait exploser l'électroménager anglais.

Allait-il se tromper pour son ordinateur ? Certains commençaient à douter de la réalité du « Boum » informatique. Les particuliers allaient-ils vraiment acheter en masse ailleurs qu'en Angleterre ? L'apparition de tous ces nouveaux ordinateurs anglais, américains et même français n'allait-elle pas diviser le marché et augmenter les contraintes de fabrication ?

Qu'attendait donc Alan ?

GO !

Le premier juin 1984, Alan Michael Sugar, président de Alan Michael Sugar Trade Company, autrement dit AMSTRAD, a posé sa tasse de thé, s'est lentement levé et s'est adressé à ses collaborateurs anxieux :

« Messieurs, nous sommes prêts, l'Amstrad CPC 464 va conquérir le monde parce qu'il est le meilleur. Je ne tolérerai aucune erreur. Vous pouvez disposer. »

GAGNER SANS COMBATTRE

C'est en Octobre que l'Amstrad arrivait en France. Un peu de publicité et les ventes démarraient en flèche. Les vraies ventes, pas celles qui laissent les étagères des revendeurs pleines à craquer de produits plus ou moins vendables. Chez Duriez, carrefour de l'Odéon, par exemple, les premiers ordinateurs étaient stockés dans le magasin et les clients faisaient la queue pour échanger un chèque contre un carton d'Amstrad sans le déballer ! Aujourd'hui, il attend avec impatience le prochain arrivage comme tous les distributeurs. On ne compte plus les acomptes versés sur les prochaines machines et le standard téléphonique d'Amstrad est bloqué toute la journée par des revendeurs qui veulent passer des commandes. Le raz de marée !

RéGIE AUTONOME DES TRANSPORTS INFORMATIQUES

Mais pourquoi les futurs clients se précipitent-ils sur cette machine sans être vraiment informés sur ses possibilités ? Qu'est-ce qui les fait courir ?

Les arguments ne manquent pas et nous allons voir plus loin s'ils tiennent la route ou si, comme souvent, on cherche encore à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Cependant, avant même de découvrir les possibilités de l'engin, deux avantages incontestables donnent raison à Mister Sugar : son ordinateur est le meilleur !

La première idée géniale est le moniteur fourni avec l'ordinateur : l'utilisateur est complètement autonome et peut assouvir son vice informatique sans monopoliser la télévision familiale. Guy Lux se réconcilie avec Gosub et Dynastie ne fait plus concurrence à Pacman !

TELE FéERIQUE

La deuxième idée force est : pourquoi faire cher et mesquin quand on peut faire bon marché et performant ?

En effet, pour environ 3 000 francs Amstrad fournit un ordinateur, un lecteur de cassette incorporé et un moniteur monochrome. Si l'on considère que ce type de moniteur coûte environ 900 francs, tous les ordinateurs domestiques dans une configuration comparable sont plus chers et l'Amstrad bénéficie d'une mémoire vive supérieure (64 Ko de RAM).

C'est le cas de Commodore, d'Atari, d'Oric, de Spectrum, de Tandy, des Thomson, d'Exelvision, de tous les MSX et de bien d'autres. Il n'y a guère que le ZX81, le Philips VG 5000 et l'Alice de Matra qui résistent mais avec quel écart de possibilités !

ÇA S'AGGRAVE

Pour 4 500 francs environ, l'Amstrad est fourni avec un moniteur couleur. Ce type de moniteur coûtant environ 3 000 francs, l'Amstrad devient l'ordinateur le moins cher de France dans cette configuration. De 1 à 64 Ko, sans exception aucune.

L'arme absolue !

ET LE RESTE ? C'EST TOUT BON ?

Non, ce n'est malheureusement pas tout bon : c'est tout meilleur, nuance ! Vous allez voir que les défauts sont rarissimes et que les techniciens d'Alan Michel Sucre n'ont vraiment pas oublié grand-chose.

L'USINE À GAZ EST FERMÉE

Le CPC 464 est beau comme un prince. Le CPC 464 est laid comme un pou. Chacun ses goûts, tout ce que nous pouvons dire c'est que son esthétique est homogène : noir le moniteur, noire la carrosserie, noir le clavier avec quelques touches rouges, vertes et bleues. Sapin de Noël ou design réussi, on aime ou on n'aime pas.

Un plus par rapport aux concurrents : pas de fils, de câbles, de raccords, de périple ou d'alimentation extérieure qui font ressembler le moindre petit ordinateur à une usine à gaz pleine de tuyaux ou à une meute de teckels en laisse.

Le lecteur incorporé n'a évidemment aucun fil de connexion et les liens entre la console et le moniteur se réduisent à un câble de liaison et un câble d'alimentation. L'alimentation en 220 volts se fait par le moniteur qui est le seul chébran, pardon branché.

RéGLABLE !

Quelques défauts pour la console : clavier QWERTY uniquement et pas d'accents (encore qu'un programme soit fourni dans le manuel pour redéfinir le pavé numérique en caractères accentués).

Le lecteur de cassette incorporé allonge démesurément la console (57 cm) et il vous sera difficile de poser à côté de vous Hebdogiciel, un sandwich jambon-beurre, un verre de beaujolais nouveau et la partition complète de la soixante-cinquième symphonie de Bach, surtout si vous êtes droitier.

C'étaient les défauts, en avant pour les qualités. 73 touches réparties en un classique clavier alphanumérique et mécanique (vraiment mécanique avec de vraies touches ergonomiques et néanmoins agréables à utiliser), un pavé numérique séparé avec une touche « enter » indépendante et un pavé de cinq touches regroupant les quatre flèches directionnelles et la touche copy de l'éditeur. Voilà, classique, complet, on ne fait pas mieux.

Si, on fait mieux chez Amstrad : 32 touches sont redéfinissables (dont le pavé numérique) et peuvent ainsi assurer une fonction définie par l'utilisateur. En plus, tenez-vous bien, la répétition des touches est réglable par la fonction basic SPEED KEY qui permet de déterminer au 50e de seconde le temps de pression sur une touche avant la prochaine répétition !

QU'EST-CE QU'IL A DANS LES TRIPES ?

Oh, rien que du classique ! Ce bon vieux Z80 A ne veut décidément pas mourir, comme sur les MSX ou les récents Philips et Radiola (ce dernier est le même que le Philips VG 5000, mais blanc. Version Hôpital pour malade !). La vitesse est rapide, 4 Mhz. Un petit machin électronique générateur de son à 3 voies, 7 octaves lui donne de la voix. 32 Ko de ROM comprenant le basic et le système d'exploitation interne. 64 Ko de RAM dont 42 pour l'utilisateur et extensible à n'en plus finir (240×16). Voilà, classique, complet, rien de plus ?

Ben, si ! Pépé Z80 A, cuisiné à la sauce Amstrad, se permet d'avoir le basic le plus rapide de sa catégorie, aucun 8 bits ne lui arrive à la cheville. Je dis bien AUCUN !

Bon, c'est tout ? Ben, non ! Le basic double à la vitesse grand V le QL et l'IBM PC qui sont des 16 bits ! Bon, cette fois c'est fini, oui ? Ben non ! Le système d'exploitation avec disquette est compatible CP/M.

Je suppose que ce n'est pas fini ? Vous supposez bien : il reste un système unique d'interruptions en temps réel qui permet à l'Amstrad d'utiliser quatre chronomètres indépendants et de fonctionner en multi-tâches. Et sur la version de base. Et accessible par le basic. Et là c'est fini pour la technique.

HUIT ÉCRANS POUR LE PRIX D'UN

Vous pouvez, selon vos moyens, acheter l'Amstrad avec un écran monochrome vert ou avec un moniteur couleur ou avec les deux ou avec deux de chaque, mais vous pouvez aussi avoir envie de le brancher sur la télé familiale pour couper la parole à Martin. C'est possible, y'a une péritel mais un écran reste indispensable, puisque c'est lui qui fournit le jus.

En parlant d'écran, afficher 25 lignes de 20 colonnes, c'est classique ; 25 lignes de 40 colonnes, ça l'est déjà moins et 25 lignes de 80 colonnes c'est plus cher : l'Amstrad possède ces trois modes, sans supplément.

Haute résolution 160×200 pixels, 320×200 ou 640×200, habituellement, il faut choisir ? L'Amstrad a les trois. 16 couleurs représentent le haut du pavé ? L'Amstrad dispose de 27 couleurs et d'une fonction flash en prime.

Entre les caractères graphiques en mémoire morte et les caractères redéfinis par l'utilisateur que croyez-vous qu'Amstrad ait choisi ? Oui, vous commencez à comprendre : les deux ! Et pour faire bonne mesure il y en a 256 de chaque, pas un de moins. Bon, c'est tout pour l'écriture ? Ben non ! Les instructions du basic sont incroyablement puissantes : LOCATE permet d'adresser un caractère n'importe où sur l'écran qui peut changer de couleur de fond, d'écriture ou de bordure avec PAPER, PEN, BORDER, etc. PRINT USING, si rare, se paye même une dizaine de paramètres différents. Pour la haute résolution, des PLOT et des DRAWN comme s'il en pleuvait, il ne manque que circle et la société KOALA PAD dépose son bilan.

C'est tout cette fois ?

Ben, non, loin s'en faut ! Accrochez-vous : on peut ouvrir sans courants d'air jusqu'à 8 fenêtres sur l'écran, 7 fenêtres de texte et une graphique en même temps ! Chaque fenêtre est ouverte avec un numéro de canal et on peut tout faire : les éteindre, les superposer, échanger leur contenu, les faire passer sur imprimante ou sur cassette ou les coupler avec les quatre chronos de l'horloge. Et par le basic, sans un rond de supplément.

The QL of the poor ! Et plus rapidos que l'IBM, pour trois mille balles !

IL Y A QUELQUE CHOSE DE POURRI DANS LE ROYAUME DE SUGAR ?

La cassette incorporée est pourrie ? Ben, non : deux vitesses de chargement, 1 000 et 2 000 bauds et une fiabilité à faire pâlir un lecteur de disquette.

Mais le son est dégueulasse, au moins ? Ben, non : son stéréo, 3 canaux, 7 octaves, contrôle de l'enveloppe et du volume. Plus tous les bruits bizarres que l'on veut, du laser interstellaire au plop du bouchon de champagne. Plus une table complète dans le manuel d'initiation.

Ah, le manuel est nul, j'en étais sûr ! Ben, non : il fait trois cents pages, en bon français et il a deux petits frères : un manuel de perfectionnement et un manuel technique plus complet que le catalogue de la Redoutaroubaix.

Les interfaces, indisponibles, n'est-ce pas ? Ben, non : non seulement elles sont disponibles, mais elles sont incorporées d'origine au CPC 464 : prise pour deux joysticks, interface imprimante centronics, sortie ampli stéréo et bus d'extension sont là, bien rangés avec leurs petits trous et pour zéro franc, zéro centime.

Et le basic, c'est caca boudin, j'espère ? Euh, les fonctions mathématiques et scientifiques sont rares, non ? Hélas, mon ami, la ribambelle de SIN, COS, ATN, INT, CINT et FIX, logarithme naturel et logarithme à base 10 n'a d'égal que la multitude des fonctions booléennes AND, OR et XOR, les MINimum et MAXimum, les RANDOMIZE et RND, les fonctions de conversion de base binaire, hexadécimale et décimale et notre maîtresse à tous, DEF pour se définir sa fonction personnelle à soi.

Dur ! Traitement des chaînes de caractères, à jeter ? Oh que non ! Tout y est, et même LOWER$ et UPPER$ que je ne connaissais pas et qui servent à changer les majuscules en minuscules et varsovice-versa.

SSSSTTTTTOOOOOOPPPPPP

Et puis arrêtez de poser des questions pour trouver la faille, il n'y en a pas ! Les fonctions du lecteur de cassette peuvent sauvegarder du texte, du programme et du binaire. On peut protéger un programme et rappeler directement un programme en RUN.

C'est déjà le pied, mais, fait unique dans l'histoire des lecteurs de cassette, on peut avoir un CATALOGUE de la cassette, oui, oui, de la CASSETTE, pas de la disquette ! Vous tapez CAT, vous branchez, vous descendez boire un coup et faire un flipper et quand vous revenez, une demi-heure plus tard (si la cassette fait une demi-heure, of course), le catalogue de la cassette est sur votre écran. The foot géant of iron !

TRANSE ET EXTASE

Pour la mise au point des programmes, c'est l'extase. La machine se débrouille presque toute seule. Le ELSE qui fait cruellement défaut à pas mal de IF THEN répond présent. Les ON GOSUB, ON LOTO, ON ERROR, ERR, ERL et ON BREAK cohabitent à l'aise avec le RESTORE <numéro de ligne > des DATA.

WEND et WHILE pour la programmation structurée, élégante et racée, are you here ? Of course ! Fichier es-tu là ? Si oui, tape deux coups. TOC-TOC et je suis venu avec des EOF que y'en a pas beaucoup qui l'ont. Tu veux causer à la machine dans sa langue à elle ? PO PO PO, dis : le PEEK et le POKE et le CALL y demandent que ça !

Et l'éditeur, tu sais ce qu'il te dit l'éditeur ? Il te dit AUTO pour numéroter automatiquement les lignes, il te dit RENUM pour les renuméroter, il te dit DELETE pour en virer tout ou partie. Et il peut éditer une ligne avec éDIT, l'éditeur. Et il peut aller modifier une ligne avec les quatre flèches du clavier et la touche COPY, l'éditeur. Ma parôôôle !

FAYOT

Et puis pour la fin, lecteur chéri, je t'ai gardé WINDOW qui fabrique les zoulis fenêtres dont je t'ai parlé tout à l'heure, avec les volets verts et les rideaux à carreaux rouges et blancs, comme le papier des boîtes de pâtés. Avec la batterie d'instructions qui s'y rapporte tu peux faire un logiciel aussi beau que sur un Macintosh, mais il faudra t'appliquer !

Et le bouquet final, lecteur adoré, c'est EVERY, AFTER, REMAIN et TIME. Avec ça, tu as une horloge et quatre chronomètres dans le ventrounet de ton Amstradounet. Ce qui signifie que tu peux faire faire plusieurs choses à la fois à ton petit monstre.

Attends, je t'explique, lecteur adulé : par exemple, au début d'un programme tu demandes à ton Amstrad avec EVERY d'émettre un son toutes les dix secondes. Puis tu écris le reste de ton programme, une bataille de l'espace par exemple. Quand tu lances ton programme de jeu, tout se passe normalement : tu peux dégommer tranquillement à coup de laser tous les affreux qui se présentent. Pendant ce temps-là, l'horloge tourne et toutes les dix secondes, un « Ding » sonore se fait entendre, celui que tu as programmé au début du programme. L'ordinateur a donc exécuté deux tâches à la fois. Mais là où cela devient vraiment intéressant, c'est quand on sait que EVERY et AFTER renvoie à un sous-programme avec GOSUB. EVERY 5000 GOSUB 1000, par exemple signifie : chaque 100 secondes va exécuter le sous-programme qui commence à la ligne 1000 (l'unité de mesure de EVERY est 0,02 secondes. 5000 vaut donc 100 secondes). Et en ligne 1000 et suivantes, on écrit ce qu'on veut. Ce qui, avec la rapidité et la puissance du basic couplées aux huit fenêtres possibles, signifie que l'on peut à peu près tout faire !

POUBELLE

Tu as compris, lecteur idolâtre ? Tu jettes ton ustensile actuel dans la poubelle la plus proche et tu fonces te mettre sur une liste d'attente ! Et tu n'oublies pas que tu es en train de lire Hebdogiciel, qu'il n'y a pas de publicité de marque dans ce canard et que nous n'avons pas touché un fifrelin pour te parler de ce machin qui est tellement bon qu'il ressemble à peine à un ordinateur.

VéRIF'PéRIF

Lecteur de disquette, RS232, cartouche de ROM et MODEM arrivent. On sait ce que ça veut dire, hein ? Saint Thomas, je veux voir et toucher. Surtout CPIM et LOGO qui s'appelle presque toujours « compatibles en train d'arriver » et dont on ne voit que rarement le bout du nez.

LOGICIEL MON MARI !

Plus de 300 logiciels disponibles et 30 titres en français avant la fin 84, dit la pub. Pour le moment, il y a en tout et pour tout huit titres en anglais dans les boutiques. Mais nous ne sommes pas encore à la fin de l'année (il reste pas bien longtemps quand même) et Amstrad peut nous surprendre encore une fois !

DéVELOPPEMENT COMPRIS

Les développeurs de logiciels français n'échappent pas à l'attirance de l'Amstrad. Des softs sont en cours de préparation chez Loriciels, chez Vifi et chez Sprites les programmeurs se battent comme des chiffonniers pour travailler sur la bête.

MIRACLE, AMSTRAD FRANCE NE RACONTE PAS N'IMPORTE QUOI !

Les délais, promesses diverses, baratin, résultats fantastiques et autres calembredaines de nos vendeurs d'informatique ne sont plus à expliquer. Tout le monde a compris. Enfin au moins ceux qui lisent l'Hebdo et aussi quelques-uns de nos confrères qui sy mettent aussi (salut Petros, c'est emmerdant la pub, hein ?). Et chez AMSTRAD FRANCE, c'est le miracle, ils ont l'air de ne pas raconter n'importe quoi, ou alors ils sont plus rusés que tout le monde.

Si on demande à un importateur normal combien d'ordinateurs il a vendus, combien sont disponibles et combien il compte en vendre l'année prochaine, il y a de fortes chances pour qu'il vous réponde : 50 000 de vendus, zéro de disponible (pour pouvoir plus facilement en fourguer des tonnes aux distributeurs en manque) et, vu les possibilités de la machine, 500 000 en prévision !

Chez Amstrad, les chiffres sont plus réalistes : « Nous en avons vendus 4 600, nous en recevons 9 200 en décembre et 12 000 en janvier. Les ventes pour 85 devraient approcher les 100 000. »

Interrogé sur les défauts de sa machine, un importateur digne de ce nom ne lui trouve généralement que des qualités. Amstrad trouve des défauts là où il n'y en a guère (pas de fonction PAINT, console trop longue) et ne s'étend pas sur les qualités du Killer. Sont-ils fous ou sûrs de leur coup.

CONFIANCE ?

Toujours est-il que leur attitude et le fantastique rapport qualité/prix de l'engin ne peut que développer des chiffres de ventes fabuleux. Donc s'ils font un chiffre d'affaires géant, ils seront pleins de ronds, ils en voudront encore plus et pour cela, ils se bougeront pour importer les petites « saloperies » que délaissent habituellement leurs collègues et qui nous manquent tant pour d'autres machines. Et qui sait, ils tiendront peut-être même les délais avant. On peut rêver. Les 300 logiciels seront peut-être là avant la fin de l'année, ainsi que le lecteur de disquettes, le CPIM, le LOGO, le Modem, le traitement de texte, le tableur, le pascal et l'assembleur.

Wait and see comme dit Alan Michael Sugar devant sa cup of tea.

Fin de l'article...

Un peu long, mais si instructif et si vivant que je vous l'ai livré in extenso ; certains réviseurs ont prétendu que j'avais agi par paresse... une douzaine de pages faciles à écrire ; je ne nie ni n'acquiesce, mais cela fera plaisir aux anciens lecteurs d'Hebdogiciel. Et en plus j'ai demandé la permission.

Il est évident qu'après la lecture de cet article, il y eut une deuxième lecture. Puis je fis des photocopies de l'article (difficile, avec cette taille de papier ; vous avez remarqué comme il est difficile de photocopier un quotidien, malhonnêtes !) et je distribuai un exemplaire à chaque membre du personnel Amstrad. Un article comme ça, ça remplace allègrement des pages et des pages de publicité.

Une légende s'est propagée par la suite à l'intérieur d'Amstrad selon laquelle j'aurais été l'auteur de l'article ! Balivernes. J'ai rencontré pour la première fois un journaliste d'Hebdogiciel le 17 décembre, soit trois semaines après l'article. Et Michel Desangles, ce journaliste, m'avait bien téléphoné auparavant pour savoir ce que je pensais de la machine, du CPC 464, de ses défauts, etc. Voyez la fin de l'article.

Et, si j'ai bien compris, l'article était le fruit de trois personnes, Gérard Ceccaldi, rédacteur en chef et patron d'Hebdogiciel et ses deux bras droits (il avait 2 bras droits, le pauvre, et l'un était même plus long que l'autre) qui s'appelaient Michel Desangles et Michael Thevenet. Donc, rendons à César ce qui n'est pas à Cléopâtre.

Malheureusement, les légendes ont la vie dure.

L'article d'Hebdogiciel va faire du bruit dans Landerneau Et ailleurs. Une telle conclusion ne fait qu'amplifier la demande pour les CPC 464. Ce n'est pas pour nous déplaire, mais à court terme ça ne fait que charger un peu plus la galère (mais qu'alliez donc vous faire dans cette galère ?). Et la question à mille francs était à l'époque : « Les gens attendront-ils le printemps pour avoir leur Amstrad, puisque toutes les machines livrées d'ici fin janvier sont déjà bien vendues ? »

Les articles dans la presse spécialisée et l'article assassin d'Hebdogiciel (assassin pour les autres ordinateurs), eurent un effet magique sur les développeurs de logiciels. Plutôt réticents au départ, car ils voyaient d'un mauvais œil toute nouvelle machine qui impliquait de nouveaux développements, ils avaient attendu. Fallait-il développer sur MSX, se concentrer sur les modèles existant comme Thomson ou Commodore, ou s'attaquer à ce nouveau venu, le CPC 464 ?

Un patron d'une des maisons de logiciels les plus réputées vint me voir pour me proposer ses services et parler du CPC 464. Tout allait pour le mieux jusqu'au moment où il me demanda :

— Combien vous nous donnez de machines ?
— Autant que vous voulez. Je vous ferai le prix revendeur.
— Pardon, je voulais dire, gratuitement. Si nous développons sur vos machines, vous y gagnez. D'ailleurs, je viens de chez Matra, ils m'ont donné douze machines de développement.
— Mais c'est parfait. Développez sur Alice et revenez me voir dans six mois !

Il revint la semaine suivante et acheta deux machines. Je lui fis cadeau du manuel du Firmware.

L'anecdote est significative de la mentalité de l'époque. Il est vrai qu'avec une trentaine de machines différentes sur le marché, il fallait faire son choix. Certaines maisons de logiciels se polarisaient sur une machine populaire, d'autres développaient sur 3 ou 4 micros différents, d'autres proposaient leurs services à des constructeurs qui avaient bien besoin de leurs logiciels. Parmi les acteurs principaux à l'époque, Infogrammes développait sur Thomson, tout comme Answare et VIFI International, èRE Informatique sur Spectrum et ORIC, Loriciels de même ; quant à la société Sprites, elle développait sur une vingtaine de machines différentes, ce qui peut expliquer la faillite qui s'ensuivit.

D'autres sociétés se consacraient principalement à l'importation des logiciels anglo-saxons (ou allemands pour le Commodore), le choix et la qualité étant, il faut le reconnaître, du côté des produits importés.

Mais cela va changer avec l'Amstrad ; les Anglais auront au départ cinq à six mois d'avance mais des sociétés comme Loriciels ou ère Informatique vont vite relever le flambeau et produire des jeux de qualité pour l'Amstrad. Cobra Soft va sortir rapidement de bonnes adaptations de ses jeux d'aventures.

L'important était d'avoir mis le processus en marche. L'industrie des logiciels de jeux en France était alors balbutiante. Aujourd'hui, la production française n'a rien à envier à ce qui vient d'outre-Atlantique ou d'outre-Manche.
Sèvres, 22 novembre 1984, 23 heures

Les bureaux d'Amstrad France sont calmes, à cette heure-là (le contraire serait étonnant). Je suis penché sur l'adaptation du programme de Budget Familial, le genre d'alibi qu'un homme avisé doit donner à sa femme pour offrir au fiston (et à lui-même par la même occasion) l'ordinateur de jeux dont il a envie : « Et en plus, nous pouvons gérer le budget familial avec cet ordinateur » ajouté à l'argument éducatif (il y a des programmes pour apprendre les maths, l'orthographe, etc...), cela a permis à un nombre non négligeable de chefs de famille de faire passer l'achat d'un micro.

Comme l'origine de ce programme est anglaise, il me pose un problème de chiffres significatifs : en Angleterre, les achats que peut accepter le programme ne doivent pas dépasser £ 10 000. C'est valable pour l'Angleterre, mais pour la France, il faut pouvoir ajouter un chiffre, ce qui modifie la structure du programme.

Absorbé dans mon travail, je note néanmoins une petite lumière rouge qui clignote sur mon combiné téléphonique, signe d'un appel extérieur. Qui peut bien appeler à cette heure-ci ? Je décroche :

— Allo, c'est bien Amstrad France ?

D'habitude, je réponds plutôt que je suis le gardien de nuit ou l'homme de ménage ; intrigué par l'heure tardive, je décide de prendre la communication :

— Oui, ici Amstrad, que puis-je pour vous ?
— Eh bien, j'ai acheté récemment un CPC 464, une bien belle machine, etc. etc. ; mais je suis en train de jouer à Admiral Graf Spee, et je voudrais savoir comment on fait pour se ravitailler en essence en Amérique du Sud ?
— ????!!!

J'avoue que j'ai été sidéré. Bien sûr, je connaissais ce petit jeu de simulation maritime qui se déroule pendant la 2e guerre mondiale. Mais le fait que quelqu'un téléphone à 23 heures au constructeur de l'ordinateur pour avoir ce renseignement trivial, m'a incité à réfléchir sur le caractère intoxiqué d'un grand nombre de passionnés de la micro-informatique, surtout à cette époque où les nouveaux convertis devenaient vite des prosélytes.

La décennie 80 a vu le micro-ordinateur devenir ce que les Anglais appellent une commodity, c'est-à-dire une denrée, une marchandise ordinaire, autrement dit un produit grand public ; pour la France, l'explosion micro-informatique s'étend sur cinq ans, de 1983 à 1987. Avant 83, le micro-ordinateur n'est pas encore suffisamment connu et médiatisé ; après 87, il se banalise, et la presse quotidienne et la presse magazine cesse pratiquement de parler de la micro-informatique.

Mais pendant ces cinq ans, l'engouement ira croissant, un grand nombre de foyers vont s'équiper en micro-ordinateurs.

Le journal Le Monde Informatique, dans son numéro qui fête l'anniversaire de ses dix ans en janvier 1991, annonce que la France compte 5 millions d'ordinateurs. Je ne sais pas exactement la proportion de ceux qui se trouvent dans des foyers plutôt que dans des bureaux, mais il est certain qu'en 1991, il y a plus d'un million de micros Amstrad dans les foyers français.

Et il y en a à peu près autant dans les foyers espagnols...

Premières banderilles

Madrid, jeudi 19 avril 84

Dans son bureau, au nord de Madrid, José-Luis Dominguez a étalé quelques journaux spécialisés en micro-informatique qui viennent d'arriver d'Angleterre. Son anglais est très primaire, mais il le lit correctement, et avec des interlocuteurs anglais, il arrive à se faire comprendre avec le peu de mots qu'il connaît.

La société, qu'il a créée en 1981, est spécialisée dans les jeux et accessoires pour ordinateurs Sinclair. Un de ses jeux, intitulé Bugaboo, a été numéro 1 en Espagne et en Angleterre.

Il avait essayé de devenir le distributeur exclusif de Sinclair auparavant, mais la place était déjà prise. Il a distribué pendant quelque temps, sans grand succès, le BBC d'Acorn sur le marché espagnol, mais celui-ci n'était pas encore mûr pour ce produit relativement cher, plus de 5 000 francs (devrais-je dire 90 000 pesetas pour les hispanisants ?). Après cette expérience peu concluante, il s'est décidé à se lancer dans l'aventure des logiciels et des périphériques : les contraintes financières sont moins importantes et les bénéfices peuvent être substantiels : Indescomp est rapidement devenue une société, mineure certes, mais qui compte sur le marché espagnol.

Pourtant, en ce printemps 84, il est toujours à la recherche d'un produit qui lui permettrait de concurrencer le Spectrum de Sinclair et de développer le marché espagnol.

Et ce produit, il est là en photo, devant ses yeux, sur son bureau. « Dès que j'ai vu ce produit avec son moniteur et la cassette intégrée, je me suis dit que c'était le produit qu'il me fallait, qu'il fallait pour le marché espagnol. »

José-Luis Dominguez n'est pas un technicien, mais comme Alan Sugar, il a une vision simple du marketing : un bon produit économique complet comme le CPC 464 résout les problèmes de câbles et de moniteurs auxquels est confronté le Spectrum.

Il a fait le tour des salons informatiques, de Londres à Hong Kong, de Tokyo à Los Angeles et il n'avait pas encore trouvé le produit qu'il lui fallait.

Mais le voilà ; il en est sûr.

Olé. Posons les banderilles, se dit-il.

Mais ce n'est pas si facile. Il contacte Amstrad par téléphone, jour après jour, sans grand succès. Amstrad, ou plutôt Alan Sugar, a décidé de concentrer ses ventes européennes sur la France et l'Allemagne, et il ne veut pas disperser ses énergies. « Peut-être dans un ou deux ans, nous reconsidérerons le problème et rentrerons sur le marché espagnol... »

Pas très encourageant. Mais José-Luis est tenace. D'autres articles de presse lui sont parvenus et il se renforce dans son idée : distribuer le 464 en Espagne. Presque tous les jours, il téléphone à Bob Watkins, qui refuse de lui promettre quoi que ce soit... jusqu'au jour où José-Luis Dominguez mentionne qu'Indescomp a produit ce jeu sur Spectrum Bugaboo et qu'il a été no 1 en Angleterre... ce qui intéresse Bob Watkins.

— Ça, par contre, ça nous intéresse ; plus nous aurons de jeux sur le CPC, mieux cela vaudra.
— Puis-je venir vous voir à Londres ?
— D'accord, mais on ne parlera pas de distribution, que de logiciels !

Aussitôt dit, aussitôt fait. José-Luis vient à Londres, réussit à convaincre Bob Watkins de lui prêter une machine pour un mois.

Retour à Madrid. José-Luis a sa petite idée derrière la tête. Il fait adapter deux jeux, Bugaboo alias Roland dans les caves et Roland aux oubliettes. Son équipe de programmeurs travaille jour et nuit pendant un mois, ingurgitant force Tapas et cervezas muy frescas.

Un mois plus tard, José-Luis revient à Londres avec ses deux jeux et son prototype. Dans le bureau de Watkins, la démonstration a lieu, en présence de Sugar. Les jeux sont supérieurs à la moyenne d'alors et Sugar propose de fixer les royalties.

Mais José-Luis a son idée derrière la tête.

— Ces deux jeux, c'est cadeau !

Alan Sugar est sonné. Il n'a pas l'habitude qu'on lui fasse de cadeau !

— Voyez-vous, je sais que vous ne voulez pas encore attaquer le marché espagnol, mais je veux vous montrer que nous pouvons faire du bon boulot pour Amstrad.

José-Luis a gagné.

Alan Sugar a avalé l'hameçon.

Il interroge José-Luis sur le marché espagnol, sur ses idées pour le lancement du CPC 464, sur la manière dont travaille Indescomp.

Tope là.

Indescomp est presque distributeur Amstrad en Espagne. José-Luis n'a pas encore de machines, mais il sait qu'il va bientôt vendre les CPC 464. Et tenace comme il est, il sait que ce sera bien avant deux ans.

De retour à Madrid, il continue à téléphoner régulièrement à Alan Sugar, qui, entre temps, a vérifié auprès de ses experts la qualité des deux jeux : il y a même joué et s'est bien amusé et il ne peut pas en dire autant de la plupart des jeux qu'on lui a présentés. « José-Luis, si vous arrivez à produire une dizaine de jeux pour le CPC, je vous confirme comme distributeur exclusif et je m'arrange pour que vous ayez à peu près mille machines à vendre d'ici la fin de l'année. »

José-Luis est content.

Bien sûr, il va avoir quelques problèmes avec ses banques, car Alan Sugar veut être payé cash, mais c'est un problème mineur à côté de la victoire qu'il a remportée. Il a sa machine ; son ordenador à lui et l'avenir lui appartient.

Et dans un article paru dans la presse anglaise, sous le titre VIVA EL CPC 464 !, il annonce la couleur : « L'Espagne est probablement le pays européen qui possède le plus grand potentiel de croissance en micro-informatique. Nous pensons que le 464 sera le leader du marché d'ici quelques mois et nous prévoyons de vendre plus de 30 000 machines en 1985. »

Olé !!
Cela mériterait presque les deux oreilles.
Non, cela mérite les deux oreilles !

L'or du Rhin

L'attaque du marché allemand est plus classique et sans risques pour Alan Sugar. Depuis plusieurs années les produits HI-FI Amstrad sont distribués en Allemagne par Schneider, sous la marque Schneider. Cette société importante, qui n'a rien à voir avec la société française du même nom à part l'homonymie, est un poids lourd en Allemagne. Son chiffre d'affaires est comparable à celui d'Amstrad et son catalogue de matériel HI-FI est important : seuls les produits économiques viennent d'Amstrad, les autres sont en majorité fabriqués en Allemagne.

La notoriété de Schneider en Allemagne implique que le produit sera appelé Schneider CPC 464 et il va devoir se frotter à un adversaire costaud : le Commodore 64 est le leader incontesté du marché d'outre-Rhin. Bien que d'origine américaine, le Commodore est fabriqué en Allemagne et c'est la référence, encore plus que le Spectrum ne l'est en Angleterre

Mais les dirigeants de Schneider ont vu les possibilités du 464 et ont bon espoir de prendre une part du marché au Commodore.

Et les commandes qu'ils passent à Alan Sugar sont des commandes fermes, payées cash en bons marks allemands. Rien à voir avec la structure d'Indescomp en Espagne, ni même avec Amstrad France : les machines destinées à la France, il va falloir qu'elles soient vendues, les micros à la marque Schneider sont vendus, bien vendus.

L'accueil de la presse en Allemagne en 1984 est élogieux et présente bien le 464 comme un concurrent valable du Commodore 64 ; et le fait que le produit vienne d'une société bien établie en Allemagne rassure. L'avenir teuton est bien assuré.

Le CPC 464 va aussi être lancé sur d'autres marchés plus restreints : les Kangourous peuvent se mettre un CPC dans la poche dès novembre en Australie et la machine est présentée à Singapour pour tous les marchés du sud-est asiatique : les quantités ne sont pas encore importantes, mais elles vont croître sans cesse.

Discobolons

31 décembre 1984

La première étape de l'aventure micro-informatique d'Amstrad, d'Alan Sugar et de ses merveilleux fous sur leurs drôles de bécanes est terminée. Mais c'est évidemment un commencement.

Il faut consolider.

Consolidons donc.

La consolidation a commencé dès le lancement réussi du CPC 464. Dès mars 84, Alan Sugar a vu la nécessité d'un lecteur de disquettes ; le choix s'est porté sur le 3 pouces, un choix qui va conditionner l'avenir d'Amstrad et valoir des polémiques homériques avec la presse. Pourquoi ce choix étrange, à bien des égards ?

En 1984, le standard en lecteur de disquettes est le 5 pouces 1/4. C'est le choix d'IBM pour son PC, et la plupart des micros professionnels en sont équipés. Il a deux avantages, une technologie qui a fait ses preuves et un coût relativement économique dû à sa popularité et au nombre de machines qui l'utilisent. Il a un inconvénient, la fragilité des disquettes utilisées, qui sont enfermées dans une enveloppe souple de carton plastifié.

Apple a choisi pour son Macintosh un nouveau type de disquette et de lecteur, au format 3 pouces ½ : la disquette est enfermée dans un boîtier en plastique et la fiabilité du système est très supérieure au 5 pouces 1/4. Un inconvénient majeur en 1984, le coût nettement supérieur des lecteurs et des disquettes par rapport au standard 5 pouces 1/4.

La tendance en 1984 est de dire que le 3 pouces ½ est le standard de l'avenir alors que le 5 pouces 1/4 garde ses atouts, d'autant plus qu'IBM a sorti, en août 84, un PC plus performant, le PC AT, et celui-ci utilise des lecteurs de disquettes 5 pouces 1/4 de grande capacité, 1,2 Méga Octets, presque quatre fois la capacité des disquettes du PC XT qui peuvent contenir seulement 360 Kilo Octets.

Face à ces deux formats, quels sont les avantages du 3 pouces pour Amstrad ? Sur le plan de la fiabilité et de la capacité, le même que le format 3 pouces ½, le 3 pouces étant lui aussi doté d'un boîtier en plastique rigide. Sur le plan du coût, les efforts d'Hitachi, le concepteur et constructeur pour imposer ce standard face au 3 pouces ½ sont importants et il accepte de livrer les lecteurs à Amstrad pour un prix nettement plus intéressant que le prix courant des lecteurs 3 pouces ½.

Pour Alan Sugar, les problèmes de standard et de compatibilité ne sont pas encore importants. Le CPC 464 est son premier ordinateur et, si la machine doit avoir le succès qu'il espère, ce standard de disquettes s'imposera avec ses machines.

D'autant plus que le format n'est pas le seul élément qui entre en ligne de compte. Par exemple, l'Atari ST, l'Apple Macintosh et le PS/2 d'IBM utilisent tous les trois des lecteurs 3 pouces ½. Mais il est impossible d'utiliser une disquette d'Atari sur un PS ou une disquette de PS sur un Apple.

Donc Amstrad choisit le 3 pouces. En mars 84. En avril 84, le lecteur de disquettes 3 pouces DDI-1 a été présenté en même temps que le CPC 464, lui donnant une image professionnelle et lui ouvrant la porte d'une bibliothèque importante de logiciels.

L'ordinateur et la course à pied

27 juillet 84, Brentwood

L'Angleterre est en liesse. Sébastian Coe vient de gagner le 1500m aux Jeux Olympiques de Los Angeles, quatre ans après avoir gagné la même épreuve à Moscou. La télévision anglaise repasse la course au ralenti sans se lasser, d'autant plus qu'un autre Anglais, Steve Cram, a obtenu la médaille d'argent.

Ces Anglais, ils aiment la course de demi-fond. Pour eux, courir un mile (1 609 mètres), c'est le pied.

Je pensais à Alan Turing, un Anglais né en 1912, mort en 1954, coureur de demi-fond et de fond, un des fondateurs ignoré de l'informatique et de l'intelligence artificielle. Accessoirement, il participa pendant la Deuxième Guerre mondiale à l'effort de guerre anglo-saxon en découvrant le secret des messages radio codés des Allemands.

Remarquable mathématicien, il écrivit un article en 1937 sur les « nombres calculables », qui fut à la base de l'inspiration décisive de John Von Neumann, considéré à l'heure actuelle comme le créateur de l'ordinateur tel que nous le connaissons aujourd'hui.

En 1937, Turing définissait une machine (hypothétique) capable de résoudre tous les problèmes pouvant être formulés en terme d'algorithmes, autrement dit opérations logiques et mathématiques. (c'est diablement plus compliqué, mais il vaut mieux ne pas s'égarer).

Mais, où allons-nous ?

Nulle part, c'est une réflexion par-devers moi, en août 84, qui me faisait penser que sans la course à pied, sans Alan Turing, il n'y aurait peut-être pas eu d'Amstrad CPC 464 et vous ne seriez peut-être pas en train de lire ce livre... quelle perte !

Que de digressions ! Veuillez revenir à votre sujet ! Donc, été 84 à Brentwood, sixième étage. William Poel s'est emparé d'une scie à métaux, et il a coupé un CPC 464 en morceaux. Il a fait la même chose avec un lecteur de disquette DDI-1 et il a entrepris de nous montrer qu'on pourrait faire un 464 avec un lecteur de disquette à la place du lecteur de cassette.

Il y a des morceaux de plastique partout. Mais ça ressemble à quelque chose. À droite de la console, l'excroissance du lecteur de disquette est visiblement inesthétique (l'esthétique tranquille), mais nous admirons.

Pourquoi pas ?

Alan Sugar est de passage au sixième étage :

— Qu'est-ce que c'est que cet animal ?
— Peut-être le prochain ordinateur Amstrad ?

Tout le monde rit. Mais ce sera le prochain ordinateur Amstrad. Il s'appellera CPC 664. C'est un 464 avec un lecteur de disquette. Il a vu le jour un soir d'été, par hasard, mais le hasard fait parfois bien les choses.

Sur la cendrée de la micro-informatique, le CPC 664 sera notre sprinter, notre spécialiste du cent mètres sans lendemains ; mais qui donc sera le coureur de fond ?

Dessin au crayon dans les nuages

Alan Sugar voyage beaucoup. Londres, Hong Kong, Séoul, Tokyo et retour. C'est long, même par avion. Au-dessus de la Mer de Chine, il prend son crayon... Pas de papier ! Qu'à cela ne tienne, une brochure avec une page blanche fera l'affaire.

Il dessine son nouvel ordinateur : un écran inversé, c'est-à-dire plus haut que large, une imprimante au-dessus de l'écran, un lecteur de disquette à côté de l'écran et un clavier.

Satisfait de son croquis, il le montre à Bob Watkins, assis sur le siège d'à côté.

— Qu'est-ce que tu en penses ?
— What ? (car Bob Watkins était anglais)
— Toujours la même chose, une seule prise, une seule alimentation commune à l'écran, l'unité centrale, le lecteur de disquette et l'imprimante. Comme ça, c'est moins cher, et à fabriquer et à vendre !
— Pour quoi faire, ton ordinateur ?
— Pour écrire des lettres, des milliers de lettres, des millions de lettres !
— Oui, une machine à écrire, en quelque sorte.

Nouvelle idée géniale, qu'Alan Sugar et Bob Watkins n'ont pas encore pleinement réalisée. Il y a des millions de machines à écrire. Jour après jour, des millions de secrétaires retapent cent fois la même lettre sur une machine à écrire bruyante, lourde, et très limitée. Remplacer ces machines à écrire, désuètes par des ordinateurs à un prix compétitif, avec un programme de traitement de texte, c'était l'avenir.

Mais Alan Sugar voyait différemment. Les gens ont peur (avaient peur ?) de l'informatique. Ils se demandent s'ils vont comprendre, s'ils vont savoir se servir d'un ordinateur, s'ils vont pouvoir faire la même chose qu'avec leur machine à écrire.

Alan Sugar pense marketing, c'est-à-dire qu'il pense à l'utilisateur final : si on lui dit que c'est un ordinateur, il va paniquer. Si on lui dit que c'est le dernier cri en matière de machine à écrire, il va respirer. N'oublions pas qu'en 1984, l'ordinateur n'est pas encore banalisé et que les gens craignent que l'informatique et les ordinateurs prennent leur place !

Alan Sugar et Bob Watkins parlent de cette machine dans l'avion qui les ramène à Londres pendant des heures. C'est l'été.

Le PCW est né ! L'écran vertical disparaîtra car c'était trop cher, l'imprimante intégrée à l'écran sera dissociée car des problèmes de chauffage étaient prévisibles. Mais le PCW 8256 avait vu le jour en juillet 84, quelque part au-dessus de la Mer de Chine.

Décidément la conception des ordinateurs Amstrad n'avait rien à voir avec une programmation informatique ou une planification industrielle quelconque. La conception, car pour le reste, c'était, ce fut programmé et planifié !

CPC 464, CPC 664, PCW 8256

Trois machines au destin inégal. Le CPC 464, fruit du génie visionnaire d'Alan Sugar et d'une équipe rassemblée par hasard dont les idées originales n'avaient rien à envier à Alan Sugar, le CPC 664, résultat d'une analyse élémentaire (à la Watson ou faut-il dire à la Sherlock) et le PCW 8256, produit d'une réflexion aérienne, éthérée mais également sublime, vous avez là tous les ingrédients qui ont fait le succès d'Amstrad et son caractère inimitable. C'est, ce fut une aventure dont je vais continuer à vous narrer les tenants et aboutissants.

Le CPC 464, qui pour des raisons légales, ne peut plus s'appeler CPC 464, mais 464 parce qu'une société inconnue de vous tous, mais très connue d'elle-même, avait déposé les initiales CPC auprès d'un organisme très peu connu mais vérifié, sous prétexte que ça leur posait des problèmes de notoriété... Le (CPC) 464 donc, a survécu et a subi en 1990 une cure de rajeunissement (c'est vrai que c'est plus beau que lifting, mais c'est long) et s'appelle le 464+, ou 464 plus, suivant que c'est écrit ou parlé, donc le 464 (quand vas-tu mettre un verbe à cette phrase interminable, tu te prends pour Marcel Proust, ou quoi ?) (et alors, il y a déjà trois formes verbales...) créé en 1984, se vend toujours bien, et a permis à 1 149 428 petits Français de se plonger dans les délices de la micro-informatique. Détail important, j'ai multiplié le nombre de 464 vendus en France par 4, pour faire comme les journaux qui prétendent qu'avec 10 000 exemplaires, ils ont un lectorat (un bon mot) de 40 000, vu que le journal est lu par quatre personnes dans la famille.

Le CPC 664 est le vilain petit canard, puisqu'il n'a pas duré. Mais il vaut bien un 6128 (voir plus loin) et il va bientôt avoir une valeur pour les collectionneurs. D'ailleurs, je me propose d'acheter le premier 664 que je vais trouver sur le marché. C'est le seul qui manque à ma collection. Disons que j'aime bien les vilains petits canards. J'ai déjà un ZX80 Sinclair (pas un ZX81, c'est trop commun) et un Apple I (pas II) dans ma collection. Mais, attention, je préviens tout de suite les collectionneurs, Amstrad a quand même vendu plus de 70 000 CPC 664, c'est donc pas exactement le genre exemplaire unique comme la Joconde ou une Ferrari 256B.

Quant au PCW, contrairement à ce que les experts journalistes en micro-informatique pensent, c'est le produit qui a fait le succès durable d'Amstrad. Non seulement il a persuadé Alan Sugar que la micro-informatique pouvait être aussi « Grand Public » que l'audio, mais il lui a permis d'atteindre une toute autre dimension, que ce soit au niveau financier, boursier, médiatique, et même informatique.

Mais me direz-vous, avant que j'ose continuer, vous aimeriez en savoir un peu plus sur ce 464, ce qu'il a dans le ventre. Vous avez eu les descriptions de la presse, notamment l'article mémorable d'Hebdogiciel, mais vous en voudriez un peu plus rayon explications, le pourquoi du comment, où ça travaille et quand est-ce que ça se repose, un ordinateur comme le CPC, bref, vous voulez une visite guidée.

Eh bien, suivez le guide.

★ EDITEUR: QWERTY
★ AUTEUR: François QUENTIN

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L'Amstrad CPC est une machine 8 bits à base d'un Z80 à 4MHz. Le premier de la gamme fut le CPC 464 en 1984, équipé d'un lecteur de cassettes intégré il se plaçait en concurrent  du Commodore C64 beaucoup plus compliqué à utiliser et plus cher. Ce fut un réel succès et sorti cette même années le CPC 664 équipé d'un lecteur de disquettes trois pouces intégré. Sa vie fut de courte durée puisqu'en 1985 il fut remplacé par le CPC 6128 qui était plus compact, plus soigné et surtout qui avait 128Ko de RAM au lieu de 64Ko.