PEOPLESCES ORDINATEURS SONT DANGEREUX ★ CHAPITRE VI ★

Ces Ordinateurs Sont Dangereux: L'aventure Amstrad - Chapitre 06

Vous avez dit compatible ?
où le lecteur est entraîné dans une polémique médiatique, comique et informatique

2 septembre 1986 à Londres

Queen Elizabeth Conference Centre, alias le Palais des Congrès de la Reine Elizabeth, dans le centre de Londres, à ne pas confondre avec Buckingham Palace. Une bâtisse moderne au style indéfinissable et incertain.

Il fait beau en cette fin d'été. Les bobbies sourient sous leurs casques ronds et dirigent limousines, autobus et les taxis noirs londoniens vers l'entrée des artistes. Ils viennent des quatre coins du monde : l'Australie, l'Autriche, Bahrein, le Bangladesh, la Belgique, le Sultanat de Brunei, Chypre, le Danemark, l'égypte, la Finlande, la France, Gibraltar, la Grèce, la Hollande, l'Islande, l'Indonésie, Israël, l'Italie, la Jordanie, le Kenya, le Koweït, le Luxembourg, la Malaisie, Malte, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, la Pologne, le Portugal, Qatar, la République d'Irlande, Singapour, l'Espagne, le Sri Lanka, la Suède, la Suisse, la Syrie, la Tanzanie, la Turquie, les émirats arabes Unis, les états-Unis d'Amérique, l'Allemagne Fédérale et la Zambie.

Autrement dit des pays où Amstrad a un distributeur ou une filiale (pas mal pour une boîte qui ne vendait qu'en Angleterre en 1981). Il y a donc les distributeurs, beaucoup de journalistes, quelques revendeurs sélectionnés, une poignée de gourous de l'informatique, (autoproclamés gurus), des analystes financiers de la City, en tout un bon millier de personnes de toutes races, religions et couleurs. Pour la première fois, Alan Sugar a vu grand ; les précédentes annonces avaient pris la forme de conférences de presse destinées principalement aux journalistes. Mais, en ce mardi 2 septembre, c'est le grand jeu. Spectacle vidéo avec laser dans tous les sens, une brochure en quadrichromie sur papier glacé présentant Amstrad, ses produits, ses filiales et sa philosophie ; seule la restauration laissait un peu à désirer pour des estomacs français, mais nous avons échappé à l'agneau à la menthe et à la panse de brebis farcie.

D'abord petit historique d'Amstrad sur l'écran géant vidéo, puis une petite saynète futuriste avec un acteur du genre Terminator pour situer la micro-informatique.

Incidente linguistique : ayant voulu vérifier l'orthographe du mot saynète, j'ai lu dans le dictionnaire que ce mot d'origine espagnole avait vieilli ; le synonyme le plus courant était sketch. Véridique ! (Petit Larousse Illustré en couleurs, 1992). Et après, les défenseurs de la langue françoise me reprocheront de parler franglais ; c'est un exemple typique de dérive linguistique et de la paresse intellectuelle du Français moyen, nous avons un mot bien français (enfin depuis 1764) qui correspond exactement au mot sketch, petite pièce comique, mais c'est le mot anglo-saxon qui est passé dans le langage courant. Pauvres de nous ; c'était ma diatribe « Défense et illustration de la langue française », en hommage à Joachim.

Retournons à notre vidéo show, pardon, notre spectacle d'images animées. Le moment fatidique arrive. Sur l'écran, des lèvres géantes et pulpeuses annoncent les caractéristiques d'un ordinateur compatible.

À la question : « Quel serait le prix d'un tel ordinateur ? », les lèvres géantes murmurent « mille sept cent livres sterling... ? », puis ajoutent avec emphase « un seul homme dans toute la galaxie connaît la réponse : Alan Sugar ! »

Applaudissements à l'apparition du grand homme qui est plutôt petit, qui annonce la gamme des prix des PC 1512, puisqu'il faut les appeler par ce nom. Le couperet tomba, plus rapidement qu'Alberto :

— Three hundred and ninety nine pounds, pour les Anglais.
— Trois cent quatre-vingt-dix neuf livres, pour les Français.
— Trois cent nonante neuf livres, pour les Belges et les Suisses.
— Trescientos novento y nueve libros, pour les Espagnols.
— θρεε υνδρεδ ανδ νινετψ νινε πουνδσ, pour les Grecs.

J'ai oublié les versions portugaises, marocaines, turques et autres (si vous pratiquez le grec, vous vous doutez de la raison).

Bon. D'accord. C'était un prix hors-taxes. Et puis en francs français, cela allait se traduire par 4 997 francs, taux de change et marketing obligent.

Mais c'était révolutionnaire. Car pour ce prix, vous aviez un ordinateur complet, c'est-à-dire une unité centrale, un clavier, un moniteur, une souris, deux systèmes d'exploitation, un basic génial, un logiciel de dessin, quatre disquettes en couleurs, un beau manuel de 600 pages clair et précis, et 16 tons de gris pour votre moniteur monochrome.

Aujourd'hui, six ans plus tard, le prix ne paraît pas ridicule, alors que le prix de l'équivalent IBM fait frémir. À cette époque donc, extrait du catalogue, la version équivalente qui n'avait que 256 K de mémoire, pas de sortie série, pas de souris, peu de logiciels valait 18 057 francs hors-taxes ; bien sûr, la concurrence était moins chère qu'IBM, mais dans le même ordre de prix.

Bof !

Les comparaisons de prix ne vous intéressent pas. Je vous comprends. Sans intérêt. Il vous faut de la violence et du sang ! De la lutte et des combats à couteaux tirés. Une guerre sans merci entre de valeureux chevaliers et des ennemis sans foi ni loi.

Vous allez être servis.

Car l'annonce de l'arrivée du PC 1512 allait déclencher une guerre des plus mémorables de la micro-informatique, une guerre où les preux chevaliers d'Amstrad, ayant attaqué le grand géant bleu IBM, allaient trouver sur leur chemin 80 % de la presse informatique inféodée par certains côtés au géant d'Armonk, une guerre de dix-huit mois, sournoise, vicieuse qui allait animer dans la coulisse des milliers de participants volontaires ou inconscients.

Jusqu'au 2 septembre 86, Amstrad faisait des ordinateurs ludiques ou des ordinateurs de traitement de texte. Pas de quoi chatouiller les poids lourds de la micro-informatique dite professionnelle, qui considéraient avec condescendance cette petite boîte de HI-FI qui s'était lancée dans la micro...

Après le 2 septembre 86, tout va changer. Amstrad veut jouer dans la cour des grands, on va lui montrer... Alan Sugar, après avoir annoncé les prix des différents modèles (huit en fait, avec un ou deux lecteurs, avec disques durs de 10 Mo ou 20 Mo, écran monochrome ou couleur), de 399 livres à 949 livres, enfonce le clou :

« Avec Amstrad, le marché des compatibles ne sera plus le même. Les constructeurs vont se rendre compte qu'ils ne peuvent plus fourguer leurs machines à des prix ridiculement élevés. »

Et il ajoute :

« Je veux préciser que l'apparition de cette gamme de machines n'est pas une attaque directe contre le Goliath de l'industrie de la micro-informatique, mais une épitomisation de l'approche Amstrad. »

Pardon, vous épitomisez, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ? Oui, j'abrège. Un épitomé est un abrégé, un raccourci, un best of !

Alan Sugar est en forme. Il invente des mots, des expressions qui pourraient passer à la postérité. Il ne mentionne pas IBM : le slogan, c'est « Compatible avec qui vous savez, à un prix Amstrad. » En anglais c'est plus subtil : “Compatible with you know who. Priced as only we know how.” Subtilement anglais, intraduisible, quel beau dommage !

La mirobolante présentation vidéo étant terminée et l'annonce faite aux marris de la concurrence (je sais, c'est pauvrement claudélien), Alan Sugar accepta de répondre aux questions des journalistes grâce aux microphones diligemment trimbalés dans l'assistance par des hôtesses accortes.

— Quand les machines seront-elles disponibles ?
— Les premières machines seront disponibles chez Dixons la semaine prochaine (Dixons ayant demandé une expédition par avion), et d'une manière générale dans 6 semaines.
— Quelle part de marché pensez-vous atteindre ?
— Je ne sais pas. Vous pourriez le dire mieux que moi, car je ne raisonne pas en parts de marché. Ce que je sais, c'est que la production pourra atteindre 70 000 ordinateurs par mois très prochainement et devrait atteindre 100 000 mensuels au cours de l'année prochaine.
— Est-ce que vous préparez un compatible AT ?
— Qu'est ce que cela ? Roland, est ce que nous préparons une machine AT ? s'adressant à Roland Perry qui était au premier rang de l'assistance.

Sur un signe négatif de Roland, Sugar poursuivit avec un sourire :

— Roland n'est pas au courant d'un compatible AT...

éclats de rire dans l'assistance publique : pendant 6 mois, Amstrad avait refusé de parler du compatible PC 1512, qui était devenu un secret de polichinelle... aussi cela valait presque confirmation.

Les quelques questions portèrent sur le réseau de distribution, sur la disponibilité des machines en France, en Espagne et en Allemagne ; lorsque l'essentiel eut été évoqué, Alan Sugar invita l'assistance à assister à des démonstrations de PC 1512 dans un hall attenant.

Le PC 1512 était lancé.
Le PC 1512 était sur orbite.
Le PC 1512 allait faire des vagues.

Les journalistes se penchèrent sur les machines. Quelques privilégiés, à savoir Guy Kewney de Personal Computer World en Angleterre, Seymour Dinnemation et Yann Garret de Science et Vie Micro en France, avaient eu droit à une présentation exclusive et le numéro de septembre sortit avec le PC 1512 en couverture avec « Exclusivité mondiale » bien en évidence et un sous-titre typique de Science et Vie Micro : « Le concurrent absolu au banc d'essai. »

Les journalistes du Groupe Tests (l'Ordinateur Individuel, Décision Informatique, Temps Micro, Micro V.O... etc) tiraient une gueule longue d'une aune.

L'accueil dans la presse anglaise est comme d'habitude extatique : les compliments pleuvent dans les quotidiens comme le Guardian et le Financial Times, les hebdos comme l'Observer et le Sunday Times. Quant à l'essai réalisé par Guy Kewney pour Personal Computer World, il résume assez bien le ton de la presse micro-informatique anglo-saxonne :

« Le PC 1512 est plus rapide qu'IBM, il est plus petit, les couleurs à l'écran sont meilleures et il possède des fonctions qui sont optionnelles (et coûteuses) sur les machines du type IBM. Quant au prix, c'est beaucoup, beaucoup moins cher. »

En France, les réactions de la presse sont très contrastées : la presse magazine comme le Nouvel Obs ou Le Point sont plutôt favorables, la presse micro-informatique est divisée. Science et Vie Micro, Hebdogiciel et les journaux objectifs sont enthousiastes. Les publications du Groupe Tests tirent à boulets rouges sur le PC 1512.

Science et Vie Micro, fort de son exclusivité (le qualificatif « mondial » étant légèrement gonflé) développe les qualités du PC 1512 sur 8 pages bien fournies d'un essai complet.

Le titre de l'article reprend l'annonce de la couverture : le concurrent absolu.

L'introduction est plutôt favorable :

Elle courait, elle courait, la rumeur. Depuis des mois, de spéculations hasardeuses en fuites d'informations invérifiées, le petit monde de la micro-informatique s'interrogeait sur le compatible IBM PC préparé dans le plus grand secret par Amstrad. Voici donc en exclusivité le banc d'essai du PC 1512, qui sera en boutique au début du mois de novembre. événement majeur de cette rentrée par son prix, par ses caractéristiques, par ses performances, l'Amstrad PC paraît bel et bien en mesure de « terroriser » l'ensemble du marché de la micro-informatique, familial ou professionnel. De 4 997 francs HT avec un seul lecteur de disquettes et un moniteur monochrome jusqu'à 11 890 F HT pour le modèle à disque dur de 20 Mo et moniteur couleur, les huit configurations proposées se posent en concurrents absolus pour l'ensemble des constructeurs de compatibles...

Après une telle introduction, le client potentiel est alléché. Citons quelques extraits de l'article, histoire de présenter un peu plus le PC 1512 sur lequel je ne me suis pas encore étendu longuement :

Organisé autour d'un microprocesseur 8086, un vrai 16 bits plus rapide que le 8088 qui équipe l'IBM PC et la plupart des compatibles, le PC 1512 dispose en standard de 512 Ko de mémoire vive extensible à 640 Ko sur la carte-mère. Jusque-là, rien de bien étonnant. Ce qui l'est davantage, c'est de trouver en standard sur un compatible PC à bas prix des possibilités graphiques largement supérieures à celles de la carte couleur d'IBM : 640×200 avec 16 couleurs ou 16 teintes de gris sur un moniteur monochrome, une horloge-calendrier, une interface série (RS232), une interface parallèle, un disque virtuel, une souris, et un connecteur pour manette de jeu ! Prix de l'ensemble dans la configuration la plus pauvre (avec un seul lecteur et un moniteur monochrome) : 5 927 F TTC.

... Comparé à celui d'un matériel semblable chez IBM, le prix de l'Amstrad PC est bien sûr encore plus impressionnant. Le PC 1512 DD par exemple, avec deux lecteurs de disquettes et un moniteur couleur, coûte 9 713 F. Chez IBM, la configuration la plus proche est le PC-XT DD avec 512 Ko de mémoire. équipé de deux lecteurs, de sorties série et parallèle et livré avec un moniteur couleur, il est vendu 32 187 F...

... L'allure générale de la machine est indéniablement réussie. Intelligemment conçu, le boîtier de l'unité centrale est très compact, l'alimentation étant intégrée au moniteur, comme c'est la tradition chez Amstrad.

évidemment, nos gardiens du temple de la compatibilité érigée en ergastule ont dénigré le boîtier plastique de nos machines et prétendu qu'il n'était pas standard : malheureusement quand IBM a abandonné la conception Panzer des PC pour ses PS, il a suivi notre route en polymère et en polinester ; d'ailleurs maintenant que 98 % des micro-ordinateurs ont des boîtiers en plastique... ils ont l'air fin avec leurs critiques !

... Les moniteurs sont d'ailleurs une bonne surprise de la part d'Amstrad, qui n'avait jamais jusque-là brillé par la qualité de ses écrans. Monochrome et couleur sont tous deux d'excellente qualité, largement supérieurs en tout cas aux modèles proposés par IBM. Conservant une bonne habitude dont devraient s'inspirer tous ceux qui lancent un ordinateur comme un papier gras dans une corbeille, Amstrad livre avec la machine quatre disquettes, qui contiennent les programmes, déjà intégralement francisés : les deux systèmes d'exploitation, GEM, GEM Paint, et le Basic.

... Pour accompagner cet ensemble de logiciels, Amstrad n'a pas là non plus failli à ses traditions : le manuel de l'utilisateur est un classeur de 550 pages... on retrouve en tous les cas sur l'ensemble de la documentation le même souci qu'a toujours eu IBM de livrer ses PC avec des manuels extrêmement bien faits et éminemment lisibles par tous.

C'est du genre tout bon.

Vous voulez la conclusion, je pense. La voici :

Ce qui est certain, c'est que le PC 1512 a de fortes chances de bouleverser très rapidement le monde de la micro-informatique, familiale comme professionnelle. Constructeurs, distributeurs, éditeurs de logiciels, tous vont avoir à se déterminer très rapidement par rapport à ce qui pourrait bien devenir un nouveau standard de qualité et de prix, pour un marché encore élargi.

Qu'ajouter à cela ? Qu'il y avait un comparatif graphique des performances où même les néophytes pouvaient voir que le PC Amstrad était un phénomène. Que les photos mettaient en évidence les éléments novateurs dudit PC. Enfin que l'article était signé Yann Garret. En 1986, il était chef de rubrique à SVM ; aujourd'hui, en 1993, il est directeur de la rédaction à SVM. Je vous laisse à vos méditations.

SVM, c'est la philosophie Science et Vie, compétent et fier de l'être, sans fioritures.

Hebdogiciel, quant à lui intitule son article sur six colonnes à la une :

« AMSTRAD : BOUM ! »

Je ne résiste pas au plaisir de reproduire in extenso l'éditorial de Gérard Ceccaldi en page 3 de l'Hebdogiciel du 12 septembre 1986 :

éDITO

Pourvu que cet enfoiré (*) de Sugar ne se lance pas dans la presse. Parce que l'HHebdo, mieux que l'HHHebdo et à 2 F 50, ça me ferait drôlement chier. Ceci dit, son clone IBM est extra et ça aussi, ça me ferait drôlement chier. Cet enfoiré (
) qui invite toute la presse sauf nous et qui cache soigneusement sa nouvelle bécane pour pas que les journaux de l'HHHHebdo la voient, c'est petit et mesquin mais malheureusement son engin est grandiose. Pour se le procurer, par contre, il va falloir se lever de bonne heure parce qu'avec ses mauvaises habitudes et la demande de marché américain sur lequel il compte se lancer, la demande a de fortes chances de dépasser l'offre et ça ne va pas être de la tarte apple-pie (
*) pour en avoir. Et tout ça pour un vieux machin même pas 16 bits.

Gérard Ceccaldi

* (enfoiré est une marque déposée par Coluche. Vu son état actuel, je pense qu'il ne nous en voudra pas de l'utiliser ici.)

(Répéter 2 fois « enfoiré » dans un si petit article ? C'est suspect, appelez Chirac, vite)

* (Apple est une marque déposée)

Fin de l'édito. Bien envoyé. Ainsi que je vous l'ai narré en amont, Amstrad et Hebdogiciel sont en froid depuis le faux CPC 6128 512 K cinq pouces et demi, et les couvertures d'Hebdogiciel avec Sugar en Mickey et en porc. Procès et polémiques plutôt amusants au demeurant, mais nous sommes en froid.

Mais malgré cela, les journalistes d'Hebdogiciel ne perdent pas leur objectivité, et tout en tapant sur la société Amstrad, savent reconnaître le produit qui va faire un tabac.

Abraraccourcix

Tout le contraire des journalistes du Groupe Tests : déjà, pendant le voyage de retour en avion avec lesdits journalistes, j'ai senti que nous avions commis un crime de lèse-majesté : donner l'essai exclusif du PC 1512 à un journal d'une écurie concurrente à celle du Groupe Tests. Ça ne se fait pas.

Marion m'a chargé de mettre de l'huile dans les rouages, mais je me heurte à une cabale. Elle est dirigée par un journaliste de Décision Informatique, que j'ai surnommé par la suite Jean-Yves la Peste.

Ce pseudo-journaliste, Jean Cordier l'avait connu deux ou trois ans auparavant comme apprenti-vendeur de chaînes HI-FI chez un grand revendeur parisien.

Je ne sais pas où il avait appris son métier de journaliste et la micro-informatique, mais il avait tendance à péter plus haut que son derrière ; il savait frimer avec la plupart des gens, mais avec moi, il n'osait pas trop de peur de se faire river son clou.

Jean-Yves la Peste est donc vexé et très colère. Lui, le grand journaliste de la micro spécialiste des Compatibles avec un grand c (grâce à quelques logiciels piratés aux états-Unis, il a les outils pour décortiquer une machine sans y connaître grand-chose lui-même.), il va perdre la face vis-à-vis de ses rédacteurs en chef, pour s'être fait souffler une exclusivité aussi médiatique.

Aussi Jean-Yves me prévient : « Vous allez me le payer, je vais vous la descendre en flammes, votre machine, d'abord, elle n'est même pas compatible... » Et pendant tout le voyage du retour, il rameute les autres journalistes du Groupe Tests qui l'admirent car ils en savent encore moins que lui. Il arrive à persuader le journaliste du « Quotidien de Paris », qui est aussi nul qu'il est vaniteux et désagréable.

Eh oui, je suis d'habitude bonne pâte, mais aujourd'hui, il va y en avoir pour tout le monde ; quand j'entends parler de l'objectivité des journalistes, je me rappelle la saga des PC 1512 et la cabale du Groupe Tests (il faut dire que tous les journalistes qui ont participé à cette cabale ont tous été virés du Groupe Tests ou l'ont quitté avec pertes et fracas dans les années qui suivirent, maigre consolation).

J'ai vu ce que la susceptibilité de certains journalistes pouvait donner : la déontologie disparaît vite et l'homme revient au galop ; si c'est normal, alors que les journalistes ne se drapent pas dans la vertu offensée de la vierge agressée.

Donc certains journalistes du Groupe Tests (ne généralisons pas...) préparent une attaque en règle ; je suis prévenu, je vais pouvoir préparer la contre-attaque et je ne vais pas me gêner.

Mais rejoignons le cœur du sujet : nous admirions Hebdogiciel, qui, tout en traitant Sugar d'enfoiré trouvait le PC 1512 génial.

À côté de l'ordinateur, sous le gros titre Amstrad : Boum !, il y avait une photo d'Alan Sugar les mains sur son PC 1512, affublé seulement d'une oreille de Mickey, avec la légende suivante :

Ok, Alan, Ok il est bien, ton ordinateur. Pour te récompenser, on t'enlève une oreille. Encore un effort !

Le début de l'article est dans le style habituel, débridé :

Et puis, surtout chez les familiaux, il y avait l'Amstrad PC. Alors là, c'est un événement. Justement, au milieu de tous les braillards qui s'extasiaient sur tel ou tel soft, il y avait une enclave de plumitifs en costard autour du stand Amstrad, qui regardaient le PC 1512 avec de gros yeux, avec l'air de penser « Mais un ordinateur si esthétique et si peu cher est-il vraiment un ordinateur ? » Ça je m'en vais vous en toucher 2 mots, parce que ça vaut vraiment le coup.

LE AMSTRAD PC

Je vais vous faire une visite guidée, c'est le meilleur moyen de vous faire une idée de l'engin. D'abord, on voit de très loin le stand Amstrad et les panonceaux fléchés qui indiquent « PC 1512 ». Donc c'est son nom. Ensuite, il faut éviter les mecs qui sont venus du pro pour venir voir la merveille. Déjà, faut compter dix bonnes minutes parce qu'ils s'agglutinent, les rats.

Putain, le look. C'est un PC ça ? Vous êtes sûr ? Ça me paraît bien joli pour un PC. J'étais plutôt habitué aux caisses métalliques genre IBM, grosses et moches. Là ça ressemble à un petit truc hyper compact et très chicos. Oh dis-donc, René, t'as vu comment il commence, l'HHHebdo ? C'est mauvais signe, ils vont lui rentrer dedans dans pas longtemps.

C'est bien le style inimitable d'Hebdogiciel. Pour le reste de l'article, reportez-vous au descriptif tiré de SVM, ils racontent les mêmes choses et admirent la simplicité de la carte-mère, les 16 couleurs et les 16 tons de gris, la souris, GEM, les sorties, etc, etc.

Avec ce commentaire qui se passe d'iceux (= de commentaires...) :

C'est à un tel point que jusqu'à preuve du contraire, tous ceux qui achètent un PC autre qu'Amstrad sont des cons finis à partir de maintenant.

Fermez le ban.

Merci Hebdogiciel. S'il ne tenait qu'à moi, Amstrad retirerait sa plainte... mais on m'a toujours dit que j'étais trop gentil.

Pour la défense du PC 1512, donc, nous avons Science et Vie Micro et Hebdogiciel. SVM, le plus fort tirage de la presse micro-informatique. Plus quelques journaux indépendants et Amstrad magazine, indépendant d'Amstrad, qui trouve que SVM a été trop gâté et ne publiera son essai complet qu'en octobre.

Donc je suis content.

Même si pour attaquer le PC 1512, il y a l'artillerie lourde du Groupe Tests. Car si l'Ordinateur Individuel, Décision Informatique et Temps Micro attaquent bien le PC 1512, je crois que ce n'est pas forcément néfaste pour Amstrad. Il vaut cent fois mieux une machine qui suscite la polémique et fait parler d'elle que l'ignorance et le silence. Aussi, ayant pris mon parti d'accepter la bagarre, je ne vais pas hésiter à attiser la polémique.

Car les critiques et les contrevérités proférées par certains journaux vont valoriser la machine tant certaines sont ridicules.

Allons-y, dans le désordre et en ordre dispersé.

— Tout d'abord, ce n'est pas un compatible PC, ce n'est pas un vrai compatible, il n'est compatible avec l'IBM PC qu'à 50 %, il n'est compatible qu'à 80 %, il est compatible à 85 %, en un mot la compatibilité est variable. D'ailleurs, il y a des logiciels qui tournent sur Amstrad et ne tournent pas sur le PC IBM, et puis Night Pinball ne marche pas.
— Windows ne tourne pas sur le PC 1512, c'est pour cela qu'ils ont mis GEM.
— La machine chauffe car elle n'a pas de ventilateur ; on dit même que le plastique a fondu sur certaines machines, alors qu'avec un IBM en métal, ça ne peut pas arriver.
— L'alimentation n'est pas assez puissante. Sur un compatible normal, elle est de 120 watts au moins alors qu'elle est moitié moins sur un PC 1512.
— Il n'y a que trois slots (emplacements) pour mettre des cartes supplémentaires alors qu'il y en a 8 sur un IBM ou un vrai compatible.
— La qualité des composants est médiocre.
— Le Basic Microsoft ne marche pas.
— La souris n'est pas compatible Microsoft.
— La fiabilité est douteuse.
— La machine n'est pas sûre, si on met les deux doigts sur la prise, on risque de s'électrocuter.
— Flight Simulator ne tourne pas.
— Lotus 123 ne marche pas.
— On ne peut pas mettre une carte disque dur.
— Les cartes EGA et les écrans EGA ne fonctionnent pas sur le PC 1512...
— 50 % des logiciels de l'IBM PC ne tournent pas sur le PC 1512...
— Compatest dit que le 1512 n'est pas un vrai compatible.
— L'Amstrad n'a pas les bonnes adresses.

Arrêtons là, la coupe est pleine ; car toutes ces affirmations, écrites ou orales, développent une rumeur qui va croissant. Et ces rumeurs se retrouvent aussi en Angleterre. Alan Sugar a toujours affirmé qu'elles venaient d'IBM et il en a trouvé la confirmation dans le journal professionnel Microscope qui vendit la mèche : l'origine des rumeurs provenait des commerciaux et des revendeurs IBM...

Je ne pense pas que ce fut organisé... mais je peux me tromper (innocent, va !).

Dans cette liste des défauts du PC 1512, on pouvait argumenter dans deux ou trois cas. Le reste était facile à retourner. Le fait que la cabale ait misé principalement sur la non-compatibilité était une erreur : il était tellement facile de prouver le contraire, et cette rumeur et ces affirmations ne furent mises en avant qu'en France.

Il était évident que nous avions des IBM PC (des vrais) dans nos bureaux. Et je jubilais quand un soi-disant développeur venait me montrer un logiciel qui ne tournait pas sur l'Amstrad. Je le chargeais sur l'IBM pur sucre, et notre développeur était tout penaud de voir que son merveilleux logiciel ne tournait pas non plus sur l'IBM PC, tout cela parce qu'il avait développé son logiciel sur un autre compatible genre Olivetti ou Victor.

Aussi, en prévision du Sicob, nous préparons nos arguments sous la forme d'une liste de logiciels. D'un côté, tous les logiciels qui tournent, de l'autre un logiciel qui ne fonctionne pas, un seul, Night Mission Pinball, un jeu de simulation de flipper, qui effectivement, ne tournait pas sur le PC 1512 (par la faute du logiciel, of course).

Et au Sicob, CNIT la Défense, 15 au 20 septembre, il y a une vingtaine de PC 1512 arrivés par avion de Corée le vendredi 12 septembre (non, ce n'était pas le 13). C'est le clou du salon. Et les clients qui viennent avec leurs disquettes les essaient sur nos ordinateurs et s'étonnent :

— Mais Décision Informatique a dit que le 123 ne tournait pas sur cette machine...
— Voyez-vous même, tout fonctionne normalement... je ne sais pas, ou bien les journalistes de DI ont quelque chose contre Amstrad, ou ils ne sont pas très doués...

La vengeance est un plat qui se mange chaud ou froid suivant les saisons. Et il est facile de transformer un visiteur incertain en thuriféraire prosélyte du PC 1512. Car la clientèle première des PC 1512, c'est évidemment l'adulte qui ne pouvait pas s'acheter un IBM PC mais qui craque pour notre PC, d'autant plus que le CPC 464 ou le 6128 qu'il a offert à son fils lui a permis d'apprécier la fiabilité des Amstrad.

Tilt, encore un client de gagné.

Car la compatibilité des PC, autrement dit la capacité des machines à se comporter comme un vrai IBM PC, c'est quelque chose d'important en 1986.

Il existe un logiciel, COMPATEST, conçu et distribué par une société française, qui vous annonce le taux de compatibilité d'une machine par rapport au standard IBM. Mais ce logiciel évolue avec le temps ; et s'il est vrai que certaines versions antérieures montraient un Amstrad peu compatible, nous pouvons brandir triomphalement la version 1.5 (la dernière, elle vient de sortir, toute chaude, toute fraîche) qui montre que l'Amstrad est compatible à 95 % ou même à 98 % suivant les cas.

— Vous comprenez, avec les anciens tests, on trouvait qu'un IBM AT, un vrai, n'était pas compatible avec un IBM XT, un vrai aussi...

Pauvres journalistes du Groupe Tests, leur réputation a beaucoup souffert pendant ce Sicob. Car il va sans dire que le stand Amstrad était sans contestation possible le plus fréquenté. Et par des acheteurs potentiels et inquiets à leur arrivée sur le stand, convaincus et apôtres à leur départ.

Le coup de grâce était l'argument Hebdogiciel

— Vous savez que nous sommes en procès avec l'HHHebdo, eh bien, malgré ça, ils ne disent que du bien de la machine... vous voulez voir l'article ?
— Mais monsieur, pourquoi il n'est pas compatible à 100 %, votre PC ? Où est le lézard tapi ? Où est tapi le lézard ?
— Mais, il ne peut être compatible à 99 %, sinon IBM nous ferait un procès. Et vous verrez sur la feuille que le temps de mise en route du moteur du disque n'est pas conforme : mais ça, nous l'avons fait exprès.

Car nous distribuons la feuille de résultats Compatest à tout le monde. Même aux journalistes ! Surtout aux journalistes ! Surtout aux journalistes du Groupe Tests, quand ils osent s'aventurer sur notre stand.

Pour les autres défauts attribués au PC 1512, une fois réglé le problème de la compatibilité, l'argumentation devenait plus sereine mais pas moins convaincante.

— L'alimentation n'est pas assez puissante ?...

au mode interro-négatif subtil :

— Mais, mon bon monsieur, quand on parle d'alimentation, il faut aussi parler de consommation ! Et certains journalistes qui ne sont pas techniciens (et je suis gentil), n'ont vu qu'un seul côté de l'équation : bien sûr, un compatible ordinaire a besoin de 120 watts ou plus : il doit alimenter sept à huit fois plus de processeurs que l'Amstrad ; il faut alimenter la carte graphique, la carte parallèle et série, la carte souris, que sais-je encore ? Sur un PC 1512, tout est sur l'unique carte-mère ; et c'est pour cela que nous n'avons besoin que de trois slots là où les autres ont besoin de huit.

Et il suffisait de montrer un de nos PC avec 2 cartes disques durs supplémentaires tournant sans fatigue.

Inzepoquet de nouveau.

Fascinant.

Les gens arrivaient avec leurs doutes instillés par les rumeurs vagabondes, mais toutefois prêts à être convaincus car un PC à 6 000 francs, c'était tentant. Il suffisait qu'ils voient la machine, la touchent, discutent pendant 5 minutes avec un des valeureux démonstrateurs pour se convaincre qu'ils avaient bien fait de venir. Il faut dire que nos démonstrateurs connaissaient leur machine sur le bout de leurs ongles pour avoir participé pendant 6 mois à l'adaptation de la machine et à la traduction des manuels et de la littérature. L'équipe de développement était au complet.

Le reste des prétendues déficiences ne valait pas mention. Il y avait un seul problème avec le PC 1512, mais comme d'habitude, c'était un faux problème ; c'était l'histoire de la carte EGA et du moniteur EGA. EGA était le système graphique le plus récent d'IBM, plus élaboré et plus joli que le système CGA que possédait l'Amstrad. Un écran EGA a des caractères mieux formés et les dessins sont plus nets. EGA avait 16 couleurs, mais le système CGA Amstrad aussi, alors qu'un IBM CGA ne pouvait afficher que 4 couleurs.

SVM avait réussi à brancher un moniteur EGA et une carte EGA, mais je n'ai jamais vu l'intérêt de la chose. Car pourquoi rajouter un moniteur et une carte valant environ 8 500 francs HT pour une amélioration discutable à ce prix-là.

Je disais aux gens :

— Si vraiment il vous faut ce genre de qualité graphique, achetez un autre ordinateur que le PC 1512.

Car il fallait garder le moniteur du PC 1512 pour alimenter l'unité centrale. Un peu galère d'avoir 2 moniteurs en même temps.

M'enfin ! Il y a toujours des gens compliqués. Non seulement, il leur faut le beurre et l'argent du beurre, il leur faut aussi le sourire de la crémière.

Non, il n'y avait pas de problème de persuasion. Il y avait néanmoins un gros problème, la disponibilité.

— Quand est-ce que je vais pouvoir acheter mon PC 1512 ?
— Nous aurons des PC en quantité raisonnable en décembre, à coup sûr à partir du premier trimestre 87 en grande quantité.

Rebelote. Les gens enchantés par les pénuries successives de 464 et de 6128 voulaient leur PC Amstrad dans leur petit sabot de Noël.

Et lorsqu'on annonçait des délais de livraison, il était difficile d'être cru. Nous étions plutôt cuits. Pour couper court au suspens, sachez que nous vendîmes 2 397 PC en novembre, 5 496 en décembre 1986 ; en janvier 1987 nous arrivons à 6 426, puis 5 776 en février et 10 302 en mars. En tout 30 397 machines en 5 mois, il y avait de quoi être satisfait. Nous fûmes donc satisfaits. Revenons au Sicob.
17 septembre 1986

« Le téléphone sonne. »

C'est l'émission sur France-Inter, animée de main de maître par Alain Bédouet. Le sujet, c'est évidemment la micro-informatique et l'émission a lieu en direct depuis une petite salle du CNIT. Autour d'Alain Bédouet, des personnalités qui représentent IBM, APPLE et THOMSON et Marion Vannier, plutôt inquiète, car elle ne veut pas rater l'entrée d'Amstrad dans la cour des grands.

Alain Bédouet introduit la discussion, présente les participants, donne un bref aperçu du marché de la micro-informatique et prend un premier appel :

— C'est à vous monsieur, à qui voulez-vous poser votre question ?
— C'est une question pour les représentants d'IBM, de Thomson et d'Apple...

Marion Vannier se dit :

— Zut, et alors moi, je compte pour du beurre ?

Et l'auditeur continue :

— Comment se fait-il, et la question s'adresse en particulier à Mr Gerothwohl de Thomson, qu'aucun de ces constructeurs ne sache produire des machines aussi économiques et performantes que le PC 1512 d'Amstrad ?

Ouf !

Le sourire de Marion Vannier en disait plus long que tous les discours.

Je n'ai pas grand souvenir du reste de l'émission, du moins sur le plan de la micro-informatique. Car ce jour-là à 17 h 45, l'attentat de la rue de Rennes devant le magasin Tati avait fait 7 morts et 51 blessés, et nos petites discussions paraissaient dérisoires face à cet événement relaté en direct sur l'antenne.

Il y eut d'ailleurs plusieurs alertes à la bombe durant ce Sicob. Tout le monde avait en mémoire l'attentat dans une cafétéria de la Défense le 12 septembre qui avait fait 41 blessés. Dans des circonstances pareilles, on relativise.

Perspective

Peut-être faut-il resituer dans le temps et dans l'espace cette lutte homérique avec quelques esprits chagrins du Groupe Tests.

Le point de départ évident est donc le 2 septembre 86 à Londres lorsque nous commettons la faute de distribuer à nos invités de la presse et à des revendeurs triés sur le volet le numéro tout frais sorti des presses de Science et Vie Micro avec le PC 1512 en couverture ; pas de problème avec les journalistes de la presse magazine et de la presse quotidienne ou encore avec les revendeurs : ils sont tout heureux de disposer de ce document. Mais il est vrai que pour les autres journalistes de la presse micro-informatique, nous faisions preuve de manque de tact. Pour ma défense, je dois dire que mon choix s'était porté sur SVM car je voulais l'impact maximum et que l'Ordinateur Individuel et Temps Micro refusaient de mettre en avant une machine sur leur couverture. Ils préféraient montrer des utilisateurs en situation...

De plus, SVM avait déjà présenté en couverture le PCW 8256 un an auparavant, et ce, sans aucune sollicitation de notre part.

J'estimais qu'il était bon de renvoyer l'ascenseur.

Tests minuscules

Les escarmouches avec le Groupe Tests vont durer près d'un an. Une vraie guerre de position, avec ses tranchées et ses positions de repli.

Après trois mois d'articles assassins sur le PC 1512, nous déciderons de ne plus passer de publicité dans aucune publication du Groupe Tests. Le budget publicitaire d'Amstrad étant à cette époque de 50 millions de francs annuels, vous pouvez imaginer le manque à gagner pour le Groupe Tests, qui avec sa douzaine de périodiques informatiques, ratissait large.

La direction du Groupe Tests disait qu'elle ne pouvait déontologiquement faire pression sur la rédaction, nous rétorquions que la cabale montée contre Amstrad était d'une objectivité douteuse.

La bagarre ne se limite pas à un combat entre Amstrad et le Groupe Tests. Les journalistes « cabalistes » de Test s'en prennent à ceux de SVM : dans leurs articles, ils lancent des insinuations sur la vénalité de leurs confrères et quand ils les rencontrent dans une exposition ou à une présentation (le monde de la micro-informatique est microcosmien), les injures volent plutôt bas.

Mais les valeureux journalistes de SVM, passablement ulcérés, répondent dans le numéro de décembre 86 de manière élégante avec un dossier en béton, que du technique (enfin, presque) : « Tout ce que vous devez savoir sur ce qu'on a voulu vous faire croire ! »

« LES MENSONGES SUR L'AMSTRAD PC »

L'introduction est légèrement polémique :

Si SVM a été le premier à proposer à ses lecteurs un banc d'essai complet de l'Amstrad PC 1512, votre journal préféré a également été l'un des rares à dire tout le bien qu'on pouvait en penser. La majeure partie de la presse micro-informatique française a, en effet, accueilli la machine pour le moins fraîchement. Que retire-t-on de la lecture de nos confrères ? Une mise en cause extrêmement sévère de la compatibilité IBM PC de la machine, tests, chiffres et preuves à l'appui, le tout dans un parfum de scandale révélé. La presse micro-informatique tient enfin son Watergate, avec SVM dans le rôle de Richard Nixon ! Un seul petit détail a été oublié : une information sérieuse exige des tests complets et fiables, des chiffres exacts, et des preuves en béton. Il est plutôt consternant de constater qu'on en est très loin. Rumeurs stupides, informations non vérifiées et mensonges purs et simples ont alimenté une invraisemblable campagne d'intoxication. Pire : les vrais problèmes de l'Amstrad PC – alimentation insuffisante dans certaines configurations et compatibilité très partielle avec les cartes graphiques de type EGA – n'ont pas trouvé la plus petite place dans le tissu d'âneries dont le public a été abreuvé. De nombreux lecteurs nous demandent des comptes, c'est bien volontiers que nous leur donnons.

Il est certain que les journalistes de SVM auraient bien aimé écrire con...frères, mais se sont retenus, âneries étant déjà une attaque nucléaire dans la con...frérie journalistique. Le corps de l'article est une réfutation des élucubrations avancées par les journaux de l'écurie Test, avec quelques piques acérées là où ça fait mal : de toute évidence, Seymour Dinnematin et Yann Garret n'ont pas digéré certaines accusations. Quelques morceaux choisis, en vous faisant remarquer que les citations citées par SVM sont en gras, et que les quadruples guillemets sont nécessaires :

« du fait des faibles dimensions du boîtier de l'Amstrad PC, les cartes longues du type Hardcard ne peuvent s'y loger », a-t-on lu dans le numéro de novembre de Micro-Ordinateurs. C'est bien sûr faux, il suffit d'essayer. « L'Amstrad PC n'accepte pas la carte Hercules », apprend-on dans Temps-Micro no 22. C'est tout aussi faux, il suffit là aussi d'essayer... Dans l'Ordinateur Individuel no 85, on apprend que « si les logiciels développés pour l'Amstrad PC ne fonctionnent que sur cette machine, alors celle-ci n'est pas un vrai compatible IBM PC, et n'accepte donc pas tous les programmes de la bibliothèque MS-DOS. » On admirera la richesse du raisonnement...

Dans les discussions que j'ai eues avec certains journalistes de Tests, (nous avions beau polémiquer, je m'entendais toujours avec la plupart d'entre eux), ils n'en démordaient pas : puisque le PC 1512 en fait plus que l'IBM, il n'est pas compatible. C'est comme si vous disiez : une voiture standard a quatre cylindres, donc votre six cylindres n'est pas une voiture.

Jetons un voile pudique sur le problème qu'a rencontré Micro V.O. avec Flight Simulator, « qui charge et fonctionne sans problème à partir du drive A, mais refuse totalement de démarrer à partir du drive B » ; en fait, on ne « boote » aucun logiciel sur le lecteur B, ni sur Amstrad, ni sur IBM PC... De plus en plus fort, les techniciens viennent à la rescousse des poètes : « L'examen de l'organisation mémoire du PC 1512 a montré qu'une très grande liberté avait été prise avec le standard PC. Ainsi une zone mémoire explicitement réservée aux cartes contrôleurs pour disques durs est occupée par de la RAM » lit-on dans Décision Informatique no 111 du 6 octobre. À nouveau, tout faux : la carte mémoire de l'Amstrad PC est strictement conforme à celle de l'IBM PC... En l'occurrence, la zone mémoire réservée au contrôleur de disque dur commence à l'adresse C8000, conformément au modèle. Cette zone...

Je pense que vous voyez le topo, fondamental pour les experts qui ont toujours aimé débattre du sexe des anges : SVM avait écrit que le PC 1512 était bon après l'avoir testé, le Groupe Tests avait écrit que ce PC était mauvais sans l'avoir testé...

Le reste de l'article était une analyse détaillée des éléments de la controverse. Comme vous pouvez le deviner, cela tournait autour de la compatibilité, et je sens que pour vous, cela vous intéresse encore moins que le sexe des anges... alors coupons.

Chaque Amstrad vendu fut une épine pour chaque rédacteur minuscule du Groupe Tests ; à noter pour l'album de la comtesse.

Un des avantages de cette polémique pour les journalistes de tous bords : pas besoin de se creuser la cervelle pour trouver de la copie ; le dossier SVM s'étale sur 7 pages, les journaux du Groupe Tests ne sont pas en reste.

Au milieu de cela, Hebdogiciel tape sur tout le monde, sur le Groupe Tests, sur Alan Sugar, sur SVM ; heureusement qu'ils défendent le PC 1512, malgré leur peu de goût pour les compatibles. On peut résumer leur argumentation d'une manière succincte : L'IBM PC et les compatibles, c'est de la merde (surtout comparé à l'Atari ST), mais si vous avez vraiment envie ou besoin d'un compatible, achetez un PC 1512. Thomson a droit à quelques coups de patte, la FNAC se fait taper sur les doigts, Commodore et son patron Kleber Paulmier disputent à Amstrad le titre de tête de turc no 1 d'Hebdogiciel.

C'est la vie.

Mais la vie pour Amstrad France est très dense. Ça danse de tous les côtés. Pour préparer l'arrivée du PC 1512 et faire patienter les revendeurs qui risquent d'attendre plus longtemps les machines, nous organisons des stages de formation. C'est la danse des professionnels. Et puis il faut organiser la danse des disques durs.

Car Alan Sugar, Amstrad Angleterre, Amstrad France, Amstrad International, tout le monde il s'est trompé. À l'origine nous pensions que la demande des machines équipées en disque dur allait représenter 10 % du total. Les premières indications venant d'Angleterre laissent à penser que ce pourcentage pourrait être situé entre 25 % et 35 %. Donc il risque de ne pas y avoir assez de machines à disque dur. Que faire ? Alan Sugar envoie donc ses estafettes (non, c'est mon anniversaire) de par le monde pour trouver des disques durs. Il en trouve. Mais la demande étant pressante, il va falloir transformer des machines à disquettes en machines à disque dur. Et Amstrad France devra produire ces machines. Branle-bas de combat. Il faut monter 5 000 machines à disque dur avant fin mars. D'une manière professionnelle.

Car les professionnels ont besoin de professionnels.

Entrons dans la danse.

Amstrad se professionnalise.

Amstrad France a engagé pour promouvoir les PC 1512 et autres bécanes professionnelles à venir un cadre écossais, qui ne porte pas de kilt (du moins pas au travail), qui n'a pas l'accent écossais mais une pointe d'accent anglais et qui vient de Rank Xerox (France). Il a droit au titre « Directeur des ventes du département professionnel », ce qui permet à Jean Cordier de devenir illico presto « Directeur des ventes du département grand public ». Ah, j'oubliais, il s'appelle Ian Weale (prononcé Ouile).

Avec Jean Cordier, il va former un tandem légendaire : un grand blond costaud (85 Kg) plutôt extraverti, et un petit brun mince plutôt introverti ; tous les deux vont se chamailler sur la répartition des secteurs professionnels et grand-public, les allusions aux soi-disant professionnels répondant à celles concernant les casseurs de prix de la grande distribution.

Car, comment définir un distributeur professionnel ? Est-ce par antinomie avec le familial ? Comment définir un ordinateur professionnel ? Un CPC 6128 qui pilote une centrale nucléaire est-il moins professionnel qu'un PC qui joue aux tortues Ninja ? Qu'est-ce qui fait la différence ? Mais c'est le service ! La compétence ! Le professionnalisme, quoi ! On tourne en rond. Donc Amstrad France se dote d'un secteur professionnel, chargé de vendre des ordinateurs professionnels à des professionnels par l'intermédiaire de revendeurs professionnels.

Mais tous les revendeurs Amstrad veulent être professionnels. Ils se considèrent tous comme professionnels et ils veulent tous vendre des PC 1512.

Par contre si nous vendons nos PC à Auchan et Euromarché, ça va les dévaloriser et ils vont casser les prix !

Mais si nous ne vendons pas nos PC à Auchan, ils ne vont plus vouloir vendre nos CPC 6128 !

Dilemme.

Cruel dilemme.

Et la FNAC, on les met où ?

Et Général Vidéo ? (voir chapitre 1)

— Mais si on donne (façon de parler) les PC à la FNAC, il va falloir les donner à Conforama. Et si on vend à Conforama, bonjour l'image du PC 1512 !
— Mais, mon petit Ian, qui-est-ce qui vend nos machines ? Enlève la FNAC, Confo, Darty, Général et la Redoute, qu'est-ce que tu vas vendre ? et où ?
— Mais dans les boutiques micro !

Ce à quoi Jean Cordier gonflait la joue, mettait son index dessus et faisait, « PFFFFF... »

La saga des deux secteurs ennemis/amis, grand-public/professionnel a rempli la vie d'Amstrad France depuis lors ; comment concilier deux cultures, deux types de produits, deux styles d'approche dans une même société. Ou y avait-il vraiment deux types de produits ? Les produits grand-public et les produits professionnels ?

Allons, je vous donne un indice sur ma philosophie, s'il y a vraiment deux types de produits, ne sont-ce pas les bons et les mauvais ?

Donc Amstrad organise des stages de formation pour les revendeurs professionnels qui vont avoir l'insigne honneur de vendre les PC 1512.

Avec mon équipe d'assistants, Helène Dennery et Eric Zingraff en tête, nous produisons un programme et une documentation digne d'éloges : classeur relié en peau de crocodile véritablement plastifiée, présentation vidéo avec Amstrad PC 1512 relié directement à un grand écran avec une interface IBM (on est compatible ou on ne l'est pas). Le grand jeu, historique, le phénomène Amstrad, le matériel, les rumeurs, Compatest... Mais ce qui intéresse les revendeurs se résume à trois points :

— Quand auront-ils les machines ?
— Qui d'autre en aura ?
— Combien de machines auront-ils rapidement ?

Au fur et à mesure des stages, la partie questions et réponses deviendra de plus en plus importante, tant sur le plan technique que sur le plan commercial.

Ce qui permettra de répondre de manière forte aux rumeurs répandues par certains journalistes (verba volent, ... Jean Yves la Peste en a encore les oreilles qui sifflent) et d'admirer le numéro de duettistes de Jean et Ian sur la distribution.

C'était bien la première fois qu'il y avait un contrat de distribution formel avec les revendeurs.

L'avantage de ce type de rassemblement est que l'on rencontre les voix de la France profonde, disons la province. À force de travailler à Sèvres et de multiplier les expositions à Paris, on tombe dans le travers du centralisme non démocratique et parisien. Les revendeurs privilégiés sont à Paris, que ce soit les grands groupes multispécialistes ou les revendeurs qui font du volume.

Alors qu'autour d'un Beaujolais nouveau, même si c'est dans un grand hôtel parisien, il est plaisant de retrouver le terroir par l'intermédiaire du libraire de Lorient ou du revendeur de Pamiers (un des plus anciens revendeurs d'Amstrad en France, et pour les fâchés avec la géographie, je rappelle que Pamiers, c'est dans l'Ariège... Difficile de trouver France plus profonde que ça).

À la limite, c'était du genre réunion d'anciens combattants : « Tu te rappelles, c'était sur le front des CPC 464 en novembre 84, il n'y avait pas plus d'une dizaine de cassettes de jeux disponibles, et même que c'est Marion Vannier qui faisait les cartons... »

Entre octobre et décembre, nous avons vu défiler près de trois cents revendeurs venus des quatre coins du pentagone hexagonal français, et dans l'ensemble, seulement trois ou quatre furent désagréables.

Les Français sont formidables. Surtout les revendeurs français d'Amstrad. Bien sûr, ils ont de bons produits à vendre, à savoir des produits qui se vendent facilement, ordinateurs familiaux, ordinateurs de traitement de texte, et quelques compatibles PC pour la fin de l'année. Il y en a même qui vendent des chaînes audio pour les fêtes. Mais la bagarre fait rage car ce sont des produits phares, et il y a du cassage de prix dans l'air.

Jean Cordier et son équipe de commerciaux jouent les pompiers : ça se passe en général de la manière suivante : un petit revendeur, de ceux qu'on appelle les trad (traditionnels) dans le métier, téléphone à Jean Cordier un lundi matin :

— Dis, Jean, y a le magasin Auchan d'à côté qui casse le prix du 6128 couleurs, il est presque à prix coûtant, à moins que vous leur fassiez des prix canons...
— Mais tu sais bien qu'ils ont les mêmes prix... Je vais voir ça.

Jean fait vérifier et téléphoner au dit magasin Auchan.

— Mais c'est la FNAC qui a commencé, nous on est obligés de suivre...

Coup de fil à la FNAC de la localité :

— Si on a mis le 6128 à ce prix, c'est que Darty a mis le paquet vendredi dernier...

Le casse-tête.

Jean Cordier contacte les grands chefs des centrales d'achat à Paris ou en province, pousse un coup de gueule, menace de ne plus livrer (mais, c'est du refus de vente !) et organise la remise à niveau des prix pour mardi 14 heures précises. C'est peut-être illégal, du genre entente illicite, mais il faut bien défendre le petit commerce de détail. D'octobre à décembre, le scénario se répète des dizaines de fois.

Mais on arrive, en gros, à éviter les dérapages. Ce qui est d'une importance critique pour certains revendeurs qui font près de 50 % de leur chiffre d'affaires avec Amstrad. Le réseau s'est étoffé depuis l'époque héroïque de la fin 84, et le nombre de points de vente a dépassé le millier. Cela va du petit magasin de jeux qui vend une dizaine de machines pour les fêtes à Général Vidéo qui vend plusieurs milliers d'ordinateurs (sur un seul point de vente !), en passant par les multispécialistes, les hypermarchés et évidemment les boutiques micro ; pour la vente par correspondance, tous les ténors vendent de l'Amstrad : la Redoute, La Camif, la Maison de Valérie, les Trois Suisses.

La plupart des revendeurs défilent à Amstrad Expo, qui a lieu à la grande Halle de la Villette du 21 au 24 novembre, avec la journée du 24 intitulée journée professionnelle pour attirer de nouveaux revendeurs et un type d'acheteurs différent : le PC 1512 a comme il se doit la vedette et tout le monde vient vérifier s'il est vraiment compatible. Un peu plus de 20 000 visiteurs, c'est la foule des grands jours, comme d'habitude. Loriciels a construit un château médiéval qui fait sensation et attire les jeunes, et la consommation des joysticks est pharamineuse. Le côté ludique domine encore.

AU RAPPORT

Entre temps Amstrad UK a annoncé ses résultats le 1er octobre 86, l'année financière d'Amstrad courant (très vite) du 1er juillet au 30 juin. Ces résultats sont développés dans le rapport annuel et je ne résiste pas au plaisir de vous livrer les principaux extraits, car ce rapport est de la main même de Sugar, dans sa totalité ; il y exprime sa philosophie d'entreprise et son style, s'il n'a pas le souffle de Shakespeare, est fort honnête pour quelqu'un qui a arrêté ses études à 16 ans :

L'an dernier dans mon rapport intérimaire, j'avais insisté sur ma perception de la croissance de la société. Une fois de plus, j'ai le plaisir d'annoncer des ventes record de 304 millions de livres, en augmentation de 123 %, et des bénéfices avant impôt exceptionnels de 75,3 milliards de livres, en augmentation de 273 % sur l'an dernier... (Bla bla bla sur les dividendes).

L'année débuta bien avec le lancement du 6128, un produit de transition destiné au marché « hobby » en même temps qu'aux utilisateurs sérieux.

Il fut suivi par le traitement de texte PCW, qui non seulement devint un succès immédiat, mais a bouleversé l'industrie des micro-ordinateurs personnels en montrant que l'augmentation en volume et en part de marché pouvait être atteinte en mettant sur le marché un produit à un prix très compétitif destiné à l'utilisateur néophyte, qui n'avait auparavant ni désir ni intention d'acheter un ordinateur. Ce n'est ni un marché grand public ni un marché de loisirs, mais sa cible est composée d'écrivains, journalistes, comptables, hommes de loi, docteurs et autres professions qui représentent un marché plus stable.

Le PCW fut annoncé à la fin du mois d'août 85 avec une promesse de livraison avant la fin septembre. Suite à une campagne de publicité agressive mettant en évidence les avantages du traitement de texte par rapport à une machine à écrire, 350 000 unités ont été vendues en 8 mois, ce qui nous a permis d'atteindre 1 million d'ordinateurs pour l'année financière.

Notule : contrairement aux habitudes de certains concurrents, Alan Sugar ne gonfle pas ses chiffres de ventes ; certains diront qu'il n'en avait pas besoin.

L'imprimante DMP 2000, fabriquée dans notre usine Amstrad Microtronics, est également un succès. Le rapport qualité/prix est tel que la demande a fortement dépassé la production qui a été doublée récemment.

Cette année a aussi vu l'entrée d'Amstrad sur le marché croissant des systèmes audio avec lecteur de disques compacts, avec l'introduction de deux modèles bien accueillis, comme l'ont été nos magnétoscopes.

Suite à notre politique d'ouverture sur les marchés étrangers, nos possibilités d'expansion se sont confirmées pour les produits établis et les nouveaux produits. En volume les ventes ont augmenté de 104 % en Angleterre, de 173 % en France et nous avons ouvert de nouveaux marchés en Espagne (32 millions de livres) et en Amérique du Nord (17 millions de livres).

En avril 1986, nous avons acheté les droits et la marque Sinclair avec pour objectif principal de poursuivre la commercialisation de l'ordinateur Sinclair Spectrum, pour lequel il y a toujours un marché important dans le domaine des loisirs. La base logicielle installée est telle qu'elle permettra des ventes importantes dans les années à venir. Ce produit a subi une cure de jeunesse dans la tradition Amstrad et a été accueilli avec enthousiasme au dernier salon de la micro ; c'est une illustration de la capacité d'Amstrad à imaginer un nouveau produit et à le sortir en un temps record (moins de 6 mois), au bon prix avec une bonne fiabilité.

Politique de développement

La société a maintenant une base saine avec des marchés importants répartis dans le monde entier. Nous avons une politique produit active dans tous ces marchés. Tous les segments du marché de l'ordinateur personnels sont couverts, loisirs, personnel et professionnel. Les échecs précédents d'autres sociétés dans le domaine de la micro-informatique proviennent d'une focalisation sur un seul secteur et de l'incapacité à surmonter la saisonnalité d'un type de produit. Nous pouvons maintenant prévoir le bon produit au bon moment.

(bla bla bla marketing)

Notre société est maintenant bien équipée sur le plan marketing et sur le plan technique. La plupart des observateurs mettent en avant la qualité de notre marketing, alors que nos capacités dans le domaine du développement sont souvent sous-estimées. Nous n'avons jamais prétendu être des innovateurs, mais nous savons utiliser les développements de la technologie à notre avantage. Nous avons la ferme intention de développer le secteur recherche pour nous permettre de pouvoir lancer de plus en plus de produits novateurs dans ce marché fantastique de l'électronique.

Activité produits-ordinateurs

Le 2 septembre de cette année, nous avons lancé notre nouvelle gamme de 8 modèles d'ordinateurs de la série PC 1512. Ces nouvelles machines ont été présentées à une audience de 850 personnes de la presse, des distributeurs, des médias et des institutions financières. Notre nouvelle gamme d'ordinateurs est conçue pour utiliser les logiciels célèbres qui fonctionnent sur les machines du standard IBM et compatibles. Leur prix comprend des caractéristiques non présentes sur les machines présentement sur le marché.

Les 8 combinaisons de machines avec lecteur ou disque dur, moniteur monochrome ou couleur représentent un éventail performant de 399 livres pour le modèle monochrome avec un lecteur de disquettes à 949 livres pour le modèle couleur avec disque dur 20 Moctets. Cette gamme de prix va ouvrir un marché dans bien des secteurs ; pour commencer avec le marché de l'ordinateur familial, auquel nous apportons une machine au standard actuel à un prix de marché de masse, permettant à l'utilisateur pour la première fois de ramener son travail à la maison tout en pouvant être utilisé par les autres membres de la famille pour les loisirs ou autre application.

La souplesse du produit est telle que tout en procurant une machine économique de base, toutes les versions peuvent être mises en réseau et reliées à des ordinateurs centraux et peuvent servir pour toutes les applications « sérieuses », ne laissant pas d'autre alternative logique à la plupart des directeurs informatiques.

Je tiens à préciser fermement que l'introduction de cette machine n'est pas destinée à confronter de face le Goliath de l'industrie, mais représente l'approche caractéristique d'Amstrad, procurer un ensemble complet à un prix compétitif pour un marché établi. Nous avons démontré dans le passé que cette approche a engendré une expansion massive du marché et rendu caduques les chiffres connus auparavant. (Le Financial Times du 15 septembre 86 écrit : « le traitement de texte Amstrad a un avantage : son prix extraordinairement bas a créé un nouveau marché. »)

Remarque : admirez l'art de parler d'IBM sans le nommer et de faire le modeste, non, nous ne voulons pas marcher sur les plates-bandes d'IBM ; tout le contraire de l'approche conflictuelle d'un Victor.

Avant le lancement du PCW 8256 en Angleterre, le marché pour les machines de traitement de texte était d'environ 50 000 par an, les ventes du PCW ont rendu ces statistiques ridicules.

J'ai l'impression que nous allons aussi être à l'origine d'une révolution dans l'industrie du logiciel en introduisant des versions des logiciels les plus populaires à des prix en rapport avec les prix de notre machine. Nous avons déjà signé des licences d'exploitation pour des produits comme Wordstar, Supercalc 3, Reflex et Sidekick et nous sommes persuadés que d'autres suivront lorsque des vendeurs de logiciels réaliseront la manière dont Amstrad révolutionne leur industrie.

Nous produisons une imprimante très compétitive, la DMP 3000, complémentaire du PC. Nous avons commencé à travailler sur une imprimante à grand chariot, la DMP 4000, qui sera disponible en janvier 87.

Cette gamme d'ordinateurs et de logiciels aura un impact exceptionnel sur notre croissance dans l'année financière en cours, aussi bien dans le Royaume Uni qu'à l'exportation, et, contrairement à d'autres produits d'électronique grand public, ces produits ont une vie plus longue et plus stable.

Nous ne laisserons pas ce produit empiéter sur la gamme PCW qui a été positionnée délibérément sur le marché des machines à écrire. Nous allons assurer la promotion du PC 1512 avec de la publicité presse et télé, avec un slogan qui, je pense, résume bien Amstrad :

« Compatible avec qui vous savez. équipé comme personne. Tarifé comme Amstrad. » (Ça c'est la version française ; pour les Anglophones je donne la version anglaise : “Compatible with you know who. Priced as only we know how.” La rime est plus riche, n'est-elle pas.) Inutile de dire que nous n'allons pas nous arrêter là dans le développement. L'an prochain verra de nouveaux produits informatiques qui compléteront notre gamme d'une manière logique.

Conclusion

Cette année, je viens d'annoncer la formidable croissance du chiffre d'affaires et des bénéfices et je voudrais insister sur le fait que ce n'est ni un « coup de pot » ou un « feu de paille ». Nos prévisions de ventes pour l'année financière est très encourageante autant pour les produits établis que pour les nouveaux produits, avec des possibilités non encore exploitées sur les marchés de l'exportation.

Pendant l'année, la balance des comptes s'est renforcée et nos liquidités se sont accrues de manière substantielle, nous permettant d'aller de l'avant avec des ressources pour financer la croissance à laquelle nous avons été habitués.

L'industrie de l'électronique est une industrie fascinante dans la mesure où il y a toujours de nouveaux produits à développer et de nouveaux marchés à explorer. Je pense que l'avancement des technologies offrira de nouveaux objectifs et de nouveaux défis.

Je tiens à remercier toute l'équipe, aussi bien en Angleterre qu'à l'étranger, pour leur persistance dans l'effort et leur enthousiasme. Je tiens à remercier également nos fournisseurs, sous-traitants et consultants pour leur collaboration sans faille.

Les carnets de commande du groupe sont pleins et je suis persuadé que nos résultats de l'année en cours suivront le cours vigoureux auquel nous sommes habitués.

1er octobre 1986

Alan Sugar

Chairman.

Ce rapport, présenté à l'assemblée des actionnaires en présence des analystes financiers de la City (la City of London désignant tous les acteurs du marché de l'argent avec un grand A, banques, Bourses, investisseurs, régulateurs, en français on dirait la place financière de Londres), montrait la santé d'Amstrad.

Il me permet aussi d'écraser avec les plus gros sabots possible le mythe des prix cassés : les concurrents, Thomson notamment, susurraient que si les ordinateurs Amstrad étaient si peu chers, c'est qu'Amstrad cassait les prix. Or les chiffres montraient que la marge brute (bénéfices avant impôt/chiffre d'affaires) était de 24,8 %. Pour la marge nette (bénéfice après impôts/chiffre d'affaires), elle était de 17,1 %. Je veux bien accepter que les comptabilités et les systèmes d'impositions différents entre la France et l'Angleterre, mais pas dans d'énormes proportions.

Et parmi les 100 premières sociétés françaises en 1986, celle qui avait la marge nette la plus élevée était Moët-Hennessy avec 10,8 % ; que je sache, les producteurs de cognac et de champagne ne sont pas réputés comme casseurs de prix.

Donc Amstrad faisait des bénéfices faramineux en vendant des ordinateurs avec plein de marge, merci beaucoup. Demandez à n'importe quel chef d'entreprise, 75 millions de bénéfices pour un chiffre d'affaires de 304 millions, il n'y croira pas (ou si on en parle en francs français, 825 millions de bénéfices pour un CA de 3,344 milliards).

Pour ceux que la finance intéresse, je précise que plus de 95 % des bénéfices étaient réinvestis, ce qui explique le faible taux de taxation... et la croissance d'Amstrad.

Refermons la parenthèse financière.

Et restons dans la blanche Albion.

Les Anglais sont confrontés à des rumeurs comme en France, mais de manière moins systématique et organisée qu'en France. Pas de campagne de presse, mais des allusions lancinantes, lancées comme on l'a vu par des revendeurs et des commerciaux IBM. Celle qui revenait le plus souvent concernait la chaleur dégagée par nos PC (le plastique qui fondait, dixit la rumeur), et qu'il fallait mettre un ventilateur. Alan Sugar avait beau expliquer aux journalistes que l'alimentation était dans le moniteur et non dans l'unité centrale comme pour la concurrence, rien n'y faisait.

Alan Sugar convoqua les journalistes et leur parla crûment : (c'est un euphémisme)

— Je suis une personne réaliste et nous sommes une organisation commerciale, aussi, si cela est indispensable pour que les gens l'achètent, je vais mettre ce putain de ventilateur.
— Et s'ils veulent des machines à pois roses, je le ferai. Cela ne sert à rien de se taper la tête contre les murs en disant : « Vous n'avez pas besoin de ce maudit ventilateur, mon joli cœur. »

Cru et véridique. Il est comme ça, chouchou.

L'insinuation selon laquelle Amstrad n'avait pas fait les tests élémentaires de qualité l'énervait au plus haut point. Comme il le disait à un journal professionnel « la fiabilité des CPC et des PCW est légendaire ; cela fait 20 ans que nous sommes dans le métier, dans la HI-FI. Nous simulons les conditions les plus extrêmes : nos ordinateurs, on les fait tomber, on les fait chauffer, on leur pisse dessus... » ! (si, si, il l'a dit, il était très énervé !).

D'ailleurs, un laboratoire indépendant montrera que la température d'un PC 1512 s'élève de 1,4° à l'intérieur d'un boîtier lorsqu'il fonctionne dans une pièce à 20°. Comme d'habitude, on oubliait que c'est le bloc d'alimentation qui chauffe et que le bloc était dans le moniteur, pas dans le boîtier d'unité centrale. C'est à se demander où ils mettaient le thermomètre, ces journalistes...

Entre temps, Sugar avait réussi à trouver suffisamment de disques durs aux états-Unis, chez Tandon. Nous allions pouvoir lancer notre unité de production à Sèvres.

Revenons donc à Sèvres.

Novembre et décembre sont hystériques, surtout décembre. Tiens, faisons le récapitulatif des ventes pour décembre 86 :

— 7 377 chaînes audio dont 1 787 avec lecteur de CD laser
— 19 232 ordinateurs CPC 464
— 28 274 ordinateurs CPC 6128 (dont 24 123 en couleurs)
— 1 908 ordinateurs PCW 8256
— 1 724 ordinateurs PCW 8512
— 3 ordinateurs PCW 8256 QWERTY (avec un clavier anglais, probablement pour un anglais)
— 5 496 ordinateurs PC 1512 (dont seulement 739 en couleurs car les autres appareils couleurs étaient arrivés en novembre et avaient été vendus immédiatement)
— 781 ordinateurs Sinclair ZX 128 (à comparer avec les ventes de CPC 464, la catastrophe prévue par certains, la bérézina...)
— 7 368 imprimantes
— 3 361 rubans d'imprimante
— 932 lecteurs de disquettes pour les CPC 464
— 1 391 souris pour les CPC
— 1 690 crayons optiques
— 4 920 cassettes vierges
— 12 614 manettes de jeux ou joysticks
— 458 synthétiseurs vocaux
— 174 090 disquettes 3 pouces (comme quoi la pénurie était bien terminée)
— 1 248 câbles divers
— 15 834 logiciels de jeux sur cassettes
— 686 logiciels éducatifs
— 192 livres du basic 2
— 19 991 logiciels de jeux sur disquettes
— 1 018 logiciels dBase II pour PCW
— 1 048 logiciels multiplan pour PCW
— 753 logiciels pour PC 1512 et
— 1 soft 453 logiciel easi-Amscalc, un tableur pour CPC 464 sur cassette, écrit en basic, lancé en 1984... et ça se vendait encore !
— pas de raton laveur

Logiciels, mon mardi !

J'allais oublier de vous parler des logiciels professionnels. Je termine mes remarques sur l'inventaire des ventes de décembre 86 et j'y reviens. Si vous faites un calcul rapide, vous voyez que cela fait 57 418 ordinateurs expédiés en 1 mois, c'est-à-dire 114 055 cartons car chaque ordinateur se composait d'un carton pour le moniteur et un carton pour l'unité centrale (pour les mathématiciens observateurs qui me diront que 2 fois 57 418 n'égalent pas 114 055, je répondrai que les 781 ordinateurs Sinclair ZX 128 étaient vendus sans moniteur donc un seul carton par Sinclair).

(Pour les analystes en mercatique ; le fait que les Sinclair étaient vendus sans moniteur explique peut-être leur insuccès.)

Donc tout plein de cartons à mettre sous le sapin de Noël. Vous imaginez la logistique et l'organisation. Un chiffre d'affaires de 250 millions de francs sur ce mois, et tout cela avec seulement 50 personnes ; je me demande comment nous avons réussi cela. Enfin je me rappelle que c'était dingue. Je me souviens qu'il fallait ouvrir tous les cartons de PC 1512 pour y mettre le manuel (qui était imprimé en France) et que nous avons travaillé plusieurs nuits de suite pour pouvoir finir ce manuel, 530 pages bien tassées avec tout plein de dessins. Dingue mais gratifiant. La vie n'était pas triste, et les fous rires nombreux ; Jean Cordier avait notamment une assistante, Annick, dont les rires retentissaient dans tout le 5e étage. Ils étaient rares les jours où nous ne finissions pas la journée avec une bonne bouteille sur le coup de 19-20 heures. Moi aussi je verse dans la mentalité d'ancien combattant.

Logiciels, avons-nous dit.
Professionnels, avons-nous ajouté.

Le PC 1512 était fourni en standard avec MSDOS 3.2 et DOS plus qui sont des systèmes d'exploitation, autrement dit des ensembles de programmes assurant la gestion de l'ordinateur et de ses périphériques, principalement les disquettes et les disques durs. MSDOS vient de l'écurie Microsoft et DOS plus venait de l'écurie Digital Research, 2 sociétés de logiciels américaines, comme de bien entendu. Au départ le PC 1512 ne devait être fourni qu'avec DOS plus, mais les distributeurs des états-Unis firent remarquer à Sugar que la situation exigeait de fournir MSDOS. Alan Sugar, qui trouvait les royalties exigées par Microsoft beaucoup trop élevées, discuta les prix jusqu'au dernier moment et réussit à obtenir une réduction substantielle.

Le PC 1512 était aussi fourni avec GEM. Qu'est-ce ? En langage technicien on appelle cela interface graphique ou intégrateur, ou encore GUI (Grafical User Interface). Mais pour le béotien ? Et bien, c'est ce qui fait ressembler l'écran de l'ordinateur à un bureau bien organisé, avec des icônes pour représenter les disques, les fichiers, les programmes. On pointe avec la souris un fichier ou un programme pour le lancer et l'ouvrir. C'est la méthode popularisée par Macintosh d'Apple et les inventeurs étaient des ingénieurs de Xerox au laboratoire de Palo Alto.

Pour mieux voir les différents éléments, il y a des fenêtres qui servent aussi pour les commandes et les dialogues avec la machine.

Autrement dit le PC 1512 avec sa souris et GEM était un PC en habit de Macintosh. Ce fut une des raisons du succès du PC 1512, cette synthèse d'une machine standard qui avait la logithèque (alias bibliothèque de logiciels) la plus importante et d'une machine dont la convivialité était l'atout majeur.

Certains journalistes (toujours les mêmes...!) nous reprochèrent d'avoir mis GEM alors que selon eux, Windows était l'interface de l'avenir. C'est vrai que Windows est devenu l'interface la plus répandue, mais son succès ne s'est affirmé que depuis 88, et encore... mais en 86, Windows n'était pas encore au point et de toute façon, n'a jamais fonctionné correctement sur un XT, c'est-à-dire un PC avec processeur 8086, comme l'était le PC 1512, la mémoire n'étant pas suffisante. Donc GEM était l'interface idéale pour le PC 1512, n'en déplaise à ces journalistes qui ont trop tendance à confondre leurs désirs avec d'hypothétiques réalités ; c'est à se demander si certains d'entre eux n'ont pas en même temps une araignée au plafond et un petit vélo dans la tête.

Le problème des interfaces graphiques avec zolies fenêtres, menus déroulants, icônes et souris baladeuses étant ainsi exposé, arrive à ce qui est l'essence de l'ordinateur, je veux dire le carburant et non la substance, l'être, la quiddité de l'ordinateur, qui mériterait un livre à lui tout seul (je suis content d'avoir placé le mot quiddité, ça vous permettra d'amortir votre dictionnaire.)

Car un ordinateur ne vaut rien tout seul, il faut le faire carburer à l'essence, au diesel ou au super. Il faut lui donner à manger, et de bons logiciels. Vous avez dit manger ? Pourquoi pas, voici la carte d'un grand restaurant informatique 3 étoiles :

À LA PUCE FOLLE

Entrées : Traitements de texte
WORD mitonné par Microsoft, avec les versions 1, 2, 3, 4, et 5 suivant les arrivages de la marée, le leader.
WORDPERFECT une spécialité très goûtée aux USA, peu répandue en France.
WORDSTAR une vieille recette de grand-mère Micropro, très anglo-saxonne, elle aussi.
TEXTOR une spécialité typiquement française, qui a du mal à résister aux mastodontes américains.
EVOLUTION un plat typique de la nouvelle cuisine française du chef Priam, agrémenté de sauces GEM ou Windows très piquantes.
NATHALIE un plat économique à la sauce française, roboratif mais simple.
WORD JUNIOR le petit frère de Word, où l'on a remplacé le foie gras par du pâté de campagne.
Toutes nos entrées sont servies avec les célèbres fonctions « copier, couper, coller » et « rechercher, remplacer ».

Produits de la mer : Tableurs
Tous ces produits sont extra frais et viennent d'outre-atlantique par avion ou de Bretagne par TGV.
LOTUS 1,2,3 : un produit classique, issu de la lotte à l'américaine (d'où le nom lot... us). Le leader mondial, no 2 en France.
MULTIPLAN bien que d'origine américaine, ce plat est le leader sur le marché français grâce à sa sauce marquetinge concoctée par Microsoft.
QUATTRO un poisson hybride, car l'origine est américaine, mais le chef, Philippe Kahn, est français émigré en Californie. Très belles couleurs graphiques, une sauce à damner un saint.
SUPERCALC un plat de grand-mère, remis à la mode grâce aux petits légumes qui l'accompagnent.
EXCEL un autre succès du chef Microsoft qui utilise la sauce Windows. Un régal pour l'œil, un peu lourd à l'estomac délicat.
CALCOMAT petit plat à base de sardines concocté par un chef français pur sucre. économique, simple et très joli. Accompagné par une sauce GEM.
Vous pouvez compter sur les tableurs de la maison.

Viandes-Bases de données :
dBase III : et son ancêtre dBase II. Un classique, qu'il soit en tournedos ou en côte à l'os. À l'origine, le chef était Ashton Tate, mais il a été remplacé par P. Kahn du restaurant Borland.
PARADOX : Un autre plat roboratif de P. Kahn, d'une structure fine et complexe, pour les gourmets.
FOXPRO : un clone de dBase, parfois meilleur que l'original.
SUPERBASE : Un grand plat à la sauce Windows, très facile à digérer il plaira aux petits et aux grands.

Fromages-comptabilité-gestion commerciale :
La France étant le pays de la diversité, il existe plus de 300 sortes de ces fromages, du plus fin au plus odorant, de la roue de gruyère au crottin de chavignol.

Desserts :
Un grand choix de PAO au chocolat, de DAO aux fruits, de CAO, de dessins plus ou moins animés, avec des crèmes anglaises, françaises, américaines.

Carte des vins :
Les langages provenant de différentes régions et différents crus. Nous avons en cave de très bons BASIC (surtout le BASIC 2 de locomotive), des PASCAL très long en bouche. Pour les amateurs de millésimes anciens, nous avons des COBOL forts en tanin, les C sont un peu jeunes mais ont un bouquet balsamique à moins qu'il ne soit empyreumatique. Dans les crus plus rares nous avons des PROLOG 83 plutôt acides, des LOGOS pimpants et verts, quelques FORTRAN 59 de bon aloi, et des raretés comme des ALGOL et des PL1 ainsi que le vin de pays LSE dont la production a cessé.

À lire cette carte, je suis sûr que vous en avez l'eau à la bouche, que vos papilles gustatives se trémoussent. On en mangerait.

La cuisine dans les restaurants de l'IBM PC et des compatibles était donc très variée en 1986 quand arrive le PC 1512, mais elle était plutôt chère, et même du genre prohibitif. Le prix d'une simple entrée comme Word était de 3 990 francs ou 5 850 pour Wordstar, dBase III se vendait à 7 950 francs et Lotus 123 4 100 francs. Ça risquait de vous rester en travers de la gorge, beaucoup plus qu'une arête de saumon, surtout quand vous avez payé 5 900 francs pour votre PC 1512. Le logiciel, au prix ou plus cher que l'ordinateur, il faut argumenter pour l'admettre.

Donc Amstrad se triture la cervelle pour trouver une solution et prospecte les éditeurs de logiciels, avec un objectif prioritaire : des logiciels de base, génériques, généraux et généreux, à moins de mille francs, un traitement de texte, une gestion de fichiers et un tableur à un prix économique. Avec Borland, un accord est vite trouvé, car Philippe Kahn, le patron de Borland est un partisan des logiciels économiques, son langage Pascal ayant montré la voie aux états-Unis. Nous mettons à notre catalogue SideKick, un petit programme résident (que vous pouvez consulter même en utilisant un autre programme), qui comprend calendrier, agenda, annuaire et calculette, pour un prix de 330 francs ; Reflex une base de données au prix de 835 francs. Nous traitons avec Micropro pour avoir un Wordstar 1512 spécial à 750 francs et pour le tableur, nous arrachons Supercalc 3 à 750 francs. Tout cela en prix public hors taxes, donc un prix toutes taxes comprises en-dessous de la barrière fatidique des mille francs.

Pour protéger leur marché habituel sur les autres PC et compatibles, les éditeurs, qui ne veulent pas tuer la poule aux œufs d'or, utilisent des subterfuges : ainsi Wordstar 1512 ne peut tourner que sur un Amstrad et Supercalc lance une version nouvelle pour les autres PC.

Ce qui permet à la cabale du Groupe Tests de faire preuve de parti pris et de mauvaise foi : l'Ordinateur Individuel et onaniste prétend que s'il y a des logiciels qui tournent sur le PC 1512 et pas sur les autres, c'est qu'il n'est pas compatible. Quant à Temps Micro, Supercalc 3 est une « ancienne version à fonctionnalités moindres, peu intéressante », alors que cinq mois plus tôt, l'Ordinateur Individuel avait décerné à cette même version la meilleure note devant Multiplan, alors qu'il coûtait 3 400 francs. Donc un logiciel génial à 3 400 francs deviendrait peu de temps après sans valeur, pour la simple raison qu'il est adopté par Amstrad et vendu moins de mille francs ! Allons, Messieurs les Journalistes du Groupe Tests, et l'objectivité ? Vous l'aviez mise en gage au mont-de-piété ? L'animosité est mauvaise conseillère...

Les faits sont là : l'apparition du PC 1512 va entraîner une floraison de logiciels économiques, qui sans avoir toutes les fonctionnalités des « grands logiciels » dont ils proviennent, sont amplement suffisants pour 90 % des particuliers qui les utilisent.

Hugues Leblanc, qui dirige la Commande électronique, distributeur de dBase, lance Framework Premier et en vendra plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Même Microsoft s'y mettra en lançant Word Junior et Multiplan Junior pour ne pas être absent de ce marché de masse.

Huit mois après la sortie du PC 1512, on trouvera sur le marché plus d'une centaine de logiciels de ce type, économiques et suffisamment performants pour les utilisateurs, couvrant tous les domaines de l'informatique et de la gestion.

Décembre 1986

L'année tire à sa fin, ce qui n'est pas très surprenant pour un mois de décembre. L'affaire du Carrefour du Développement fait la une avec un vrai faux passeport, les étudiants manifestent contre le projet de loi Devaquet. Plus ça change et plus c'est pareil, on se croirait en 1992, ou 1993. L'année a été fastueuse : trois nouveaux ordinateurs, le PCW 8512, le Sinclair ZX+2, et surtout le PC 1512, absorption en douceur de Sinclair, nos premières chaînes avec lecteur de compact Disc laser, un chiffre d'affaires et des bénéfices qui crèvent le plafond, et toujours, toujours le même président, qui, pour se changer les idées, cohabite ; nos relations avec la presse sont passionnantes et passionnées ; justement, à propos de la presse, j'avais oublié le petit dernier : Hebdogiciel a lancé un petit frère, AmstradHebdo ; oui, un autre hebdomadaire, uniquement consacré à l'Amstrad, aux Amstrad devrais-je dire, lancé le 22 octobre : plein de couleurs, des essais, des programmes, des jeux, tout plein de belles choses, et pas une critique sur Amstrad, faut pas pousser !

Et en parcourant le numéro 6 dudit AmstradHebdo daté du 26 novembre, je m'aperçois que j'ai commis un oubli : les CPC sont passés en AZERTY ; eh oui, pendant deux ans nous avions vendu les CPC avec des claviers QWERTY (comme les Anglais). Le marché français ayant montré sa solidité, il était possible de passer en clavier AZERTY, ce qui sera bénéfique sur deux fronts : il nous sera plus facile de pénétrer sur le marché des lycées et collèges où le clavier AZERTY, Thomson oblige, était la norme ; et cela nous permettra de mieux contrôler les importations parallèles. En contrepartie, nous n'avions plus le droit de nous tromper dans nos commandes, vu que ces machines ne convenaient qu'au marché français. Auparavant, nous pouvions taper dans le stock des Anglais ou des Espagnols et réciproquement. Avec le clavier AZERTY, cette flexibilité disparaissait ; mais comme la France va devenir le plus gros marché pour les CPC 464 et les 6128, c'était tout bénéf ; remarque en passant, je n'arrive pas à comprendre comment et pourquoi les Anglais et les Espagnols arrivaient à vendre plus de Sinclair ZX+2 128k (la version conçue par Amstrad), que de CPC 464. Comme quoi les marchés nationaux ont des caractéristiques spécifiques. Il faudra que je vous en cause dans le chapitre que j'envisage de consacrer à une analyse exhaustive des raisons du succès d'Amstrad dans un contexte mercatique. La partie didactique de ce livre, si jamais j'y arrive.

Pour le moment, restons-en au mode descriptif et linéaire du temps qui ne suspend pas son vol. L'agence de publicité a produit un quatre pages en quadrichromie qui résume bien cette année : 1986, l'année du Crocodile : la campagne publicitaire y est décrite et on y voit apparaître pour la première fois des spots publicitaires pour la télévision. Pour ceux qui ont de la mémoire, on y voit deux crocodiles jouant avec des ordinateurs Amstrad sur un mode comique, le vieux crocodile se retrouvant avec la prise de courant dans les narines... Je l'ai trouvé réussi.

Le tournage a duré quatre jours... pour quarante-cinq secondes de pub ; nous avions des problèmes pour les incrustations dans l'écran, qui ont été rajoutées après, car, comme vous l'avez peut-être remarqué, lorsque des ordinateurs passent d'habitude à la télé, l'image de l'écran de l'ordinateur est toujours sautillante à cause de problèmes de fréquence. Les marionnettes avaient été fabriquées par les experts du Bébête-Show et le tournage ne fut pas triste ; avant d'avoir participé au tournage de ce clip, je n'avais pas réalisé le peuple qu'il fallait : près de quarante personnes sur le plateau. Pas étonnant que cela coûte la peau des fesses ; encore que ça ne coûte rien en comparaison avec l'achat d'espace publicitaire à la télé, vu qu'UNE seconde de pub sur TF1 en prime time vous permettrait de vous acheter une belle voiture ; et puis si ça coûte, ça rapporte aussi, les dizaines de milliers de CPC vendus en octobre, novembre et décembre étant là pour le prouver.

De plus, toutes les pages publicitaires que nous avions sucrées au Groupe Tests se retrouvaient à la télévision. Na ! Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

31 décembre 1986

C'est vraiment la fin de l'année, une étrange et bonne année. Je suis sûr que vous avez hâte de savoir ce qui va se passer en 1987. Moi aussi. Car je ne sais pas encore ce que je vais vous raconter, ni comment. Car cinq ans, ça fait long. Il va falloir vous munir de votre dictionnaire latin-français, le fameux Gaffiot. À moins que les pages rousses du petit Larose ne soient suffisantes. Mais ne vous inquiétez pas trop. Ce ne sera pas long. Si j'ai bonne souvenance, seul le titre est en latin ! Vous avez failli avoir peur, n'est-il pas ?

★ EDITEUR: QWERTY
★ AUTEUR: François QUENTIN

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L'Amstrad CPC est une machine 8 bits à base d'un Z80 à 4MHz. Le premier de la gamme fut le CPC 464 en 1984, équipé d'un lecteur de cassettes intégré il se plaçait en concurrent  du Commodore C64 beaucoup plus compliqué à utiliser et plus cher. Ce fut un réel succès et sorti cette même années le CPC 664 équipé d'un lecteur de disquettes trois pouces intégré. Sa vie fut de courte durée puisqu'en 1985 il fut remplacé par le CPC 6128 qui était plus compact, plus soigné et surtout qui avait 128Ko de RAM au lieu de 64Ko.